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 d’ADHEOS

Selon l’écrivain, premier Marocain à avoir révélé publiquement son homosexualité, l’homophobie écrasante dans ce pays est plus une volonté politique qu’une réalité impulsée par la religion musulmane.
 
Deux Marocains lynchés dans leur appartement de Beni Mellal au Maroc parce qu’homosexuels, la vidéo de leur agression diffusée sur les réseaux sociaux, une des deux victimes qui prend quatre mois ferme, l’autre d’abord en fuite, qui a été arrêtée et attend son jugement, un des agresseurs qui écope de deux mois avec sursis… L’écrivain Abdellah Taïa, 43 ans, réagit à ces agressions homophobes qu’il qualifie de «phénomène de mode» grandissant au Maroc, encouragé par le pouvoir politique.
 
Cette agression homophobe suivie par la condamnation de l’une de ses victimes vous choque-t-elle ?
 
Cela ne me surprend pas du tout puisque l’homosexualité est considérée comme un crime au Maroc, passible de trois ans de prison. Ce qui s’est passé obéit bel et bien à une logique implacable. Il y a eu plusieurs cas de cet ordre en 2015 comme la condamnation de deux présumés homosexuels de la Tour Hassan, l’homme soupçonné d’être homosexuel passé à tabac à Fès, trois ans de prison ferme pour un mécanicien et son amant surpris «en flagrant délit» d’homosexualité à Taourirt, dans le nord-est du Maroc, dans son garage… Rien de nouveau de ce côté-là.
 
Cela dit, c’est la banalisation de la violence contre les homosexuels marocains dans leur pays qui me révolte et me chagrine profondément. Là, non seulement on les a agressés, mais en plus on les a jetés en pâture sur les réseaux sociaux… L’été dernier, à Casablanca, un homme soupçonné d’être gay à cause de sa façon de s’habiller a été déshabillé en pleine rue par une horde de personnes. Ces situations de violence sont de plus en plus fréquentes, un peu comme le kidnapping à la mexicaine.
 
Quelles sont les réactions homophobes les plus récurrentes ?
 
L’opinion publique condamne officiellement l’homosexualité : on entend souvent des remarques de type : «Ils l’ont bien cherché» ou encore «Ils n’avaient qu’à ne pas être homosexuels». En filigrane, c’est le statut de la victime au Maroc, au-delà de l’homosexualité, qui doit être remis en question, à savoir comment celle-ci est considérée aux yeux de la loi.
 
Pour atténuer la gravité des actes des agresseurs des victimes comme c’est le cas pour ceux du couple homosexuel de Béni Mellal, on s’appuie sur la religion en sous-entendant que ces derniers défendent l’honneur du Maroc et des Marocains des invasions politiquement correctes occidentales et qu’en ce sens, leurs actes sont légitimes et donc pas si graves. Mais ce qui me rend encore plus triste et inquiet, c’est le silence assourdissant des responsables politiques marocains…
 
Comment expliquez-vous justement ce silence des responsables politiques marocains ?
 
Ce silence montre à quel point l’homophobie au Maroc est une question politique. Je pense que les responsables politiques préfèrent rester dans le déni de ces questions pour ne pas véhiculer une mauvaise image du Maroc. Je pense aussi qu’ils ont peur que les remarques néocolonialistes rejaillissent du côté de l’Occident, de type «On avait raison, c’est bien des sauvages».
 
Mais en évitant de condamner les agressions homophobes, les responsables politiques les encouragent de fait, tout en provoquant un sentiment d’abandon chez les jeunes marocains en leur renvoyant l’idée qu’ils ne sont pas protégés.
«En tant que musulman et homosexuel, je fabrique mon propre rapport intime à l’islam»
 
Vous avez été le premier Marocain à avoir revendiqué votre homosexualité publiquement, c’était en janvier 2006. Dix ans après, quel est votre sentiment par rapport à l’évolution de la cause homosexuelle dans ce pays ?
 
Le principal changement que j’observe, il est du côté de la société civile et des journalistes. La cause homosexuelle est très présente dans le débat public. Et c’est une très bonne chose. Aujourd’hui, le collectif Aswat, pour la défense des droits des LGBT, a émergé et s’affirme même s’il reste très peu relayé par les associations marocaines des droits de l’homme. Celles-ci ne réagissent que lorsqu’il y a des agressions de ce type parce que, dans leur esprit, le Maroc n’est pas prêt. Ils ne comprennent pas qu’il faut initier quelque chose pour faire bouger les lignes, que c’est la seule façon de les faire évoluer.
 
Parmi les autres changements importants que je note, à titre personnel : le fait que mes livres soient tous distribués au Maroc, que mon film tiré d’un de mes livres, l’Armée du Salut, ait été tourné au Maroc et diffusé dans le cadre du festival de cinéma de Tanger, même s’il a été très mal accueilli et raillé.

Oui, pour autant, il n’y a eu aucun changement dans la loi. Que répondez-vous à ceux qui relient l’homophobie prégnante au Maroc au fait qu’il s’agisse d’un pays musulman qui plus est, sous la houlette d’un gouvernement islamiste ?
 
Justifier l’homophobie par l’islam ou y voir un lien direct avec la religion est réducteur et simpliste d’autant plus que l’homosexualité est condamnée par toutes les religions et pas seulement par l’islam. Pour moi, l’origine de ce mal est foncièrement politique. L’homophobie et la condamnation des homosexuels existaient bien avant que le gouvernement islamiste [Le Parti de la justice et du développement, ndlr] prenne le pouvoir au Maroc. La seule différence est que cette cause est davantage médiatisée aujourd’hui.
 
En tant que musulman et homosexuel, je fabrique mon propre rapport intime à cette religion. Pour moi, c’est comme cela qu’on doit comprendre la religion, sinon on considère les musulmans comme des analphabètes, des arriérés, ce qui pour moi est terrible et stérile.
 
Il faut bien avoir à l’esprit que ces amalgames font le jeu de tout le monde. Dans un premier temps, ils confortent les politiques marocains dans la confiscation de la liberté politique de toutes les minorités en situation de revendiquer leurs droits au Maroc. Dans un second temps, ils participent à projeter dans le combat des homosexuels marocains une sorte de contamination colonialo-orientaliste, ce qui renforce d’ailleurs ces mêmes fantasmes, du côté de l’Occident.