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 d’ADHEOS

Le suicide de Lucas, un jeune ado de 13 ans harcelé au collège en raison de son homosexualité, a relancé le débat sur la lutte contre le harcèlement homophobe dans le milieu scolaire, qui touche des milliers d’élèves en France. Alors que le ministre de l’Éducation a annoncé un nouveau plan sur le sujet, Gabrielle Richard, sociologue du genre et spécialiste de ces questions, estime que bien davantage pourrait être fait pour avoir une école réellement inclusive.

Quelques semaines après le suicide de Lucas, un ado de 13 ans harcelé au collège en raison de son homosexualité, le ministre de l’Éducation a annoncé un plan pour lutter contre l’homophobie dans le milieu scolaire.

Interrogé par le magazine Têtu le 1er février puis invité de Franceinter ce 2 février, Pap Ndiaye a précisé vouloir mettre en place plusieurs mesures pour lutter contre le harcèlement homophobe : campagne lors de la journée internationale de lutte contre l’homophobie et la transphobie, vérification que la sensibilisation aux LGBTphobies soit bien enseignée… « Nous devons faire mieux », a-t-il reconnu.

Mais cela sera-t-il suffisant pour éviter le harcèlement homophobe à l’école ? Et que pourrait faire l’école pour devenir un espace plus inclusif ? Nous avons posé ces questions à Gabrielle Richard, sociologue du genre et chercheuse l’Observatoire universitaire international éducation et prévention (OUIEP) de l’Université de Paris-Est Créteil. Autrice du livre Hétéro l’école ? Plaidoyer pour une éducation antioppressive à la sexualité, Gabrielle Richard estime que beaucoup d’efforts pourraient être faits pour rendre l’école plus inclusive pour les élèves LGBT + (acronyme utilisé pour définir les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres, ainsi que d’autres identités de genres discriminées).

“Le harcèlement homophobe reste un marqueur relativement commun de la scolarité de beaucoup de jeunes LGBT +”

Quel état des lieux peut-on faire du harcèlement homophobe dans les établissements scolaires aujourd’hui en France ?

C’est un phénomène qui demeure prévalent. Quand on regarde les statistiques sur le climat scolaire et sur les expériences rapportées par les jeunes, en tant que témoins ou observatrices, on se rend compte que les violences homophobes, qui ciblent une personne en raison de son appartenance sexuelle visible ou présumée, sont loin d’être rares. Une personne LGBT + sur deux rapporte avoir vécu à l’école des injures, des violences verbales, des menaces. Ce chiffre est d’un élève sur dix pour les violences physiques homophobes à l’école. Et pour les violences à caractères sexuels à l’école, on est à une personne LGBT + sur trente. Le harcèlement homophobe reste donc un marqueur relativement commun de la scolarité de beaucoup de jeunes LGBT +.

Selon vous, l’école française est-elle un espace inclusif pour les personnes LGBT + ?

Je ne dirais pas que c’est le cas. En fait, il y a un grand décalage entre les propos du milieu éducatif et les actes. Tout le monde est d’accord sur le fait que l’école devrait être un lieu de bien-être mais quand il s’agit de mettre en place les conditions de cette inclusivité, les ressources ne sont pas au rendez-vous.

Et là, on parle juste de l’inclusivité sur les sujets LGBT + mais on pourrait aussi questionner l’inclusivité scolaire par rapport à d’autres sujets comme le racisme.

Dans votre livre Hétéro l’école, vous expliquez que le milieu scolaire valorise les normes de genre et d’orientation sexuelle…

On entend souvent le discours que l’école est une institution neutre et que parler de l’homosexualité peut être vu comme inadéquat car ça serait idéologique. Or, la thèse que je défends dans mon livre est que le milieu scolaire n’est pas neutre sur le genre et la sexualité. De multiples façons, l’école transmet des normes plutôt strictes sur le genre, la binarité de genre et l’hétérosexualité mais elles ne sont pas vues comme une prise de position puisqu’elles sont la norme.

Lors de la campagne présidentielle, Emmanuel Macron s’était dit « pas favorable à ce que [les questions LGBT +] soient traitées à l’école primaire », et avait ajouté être « sceptique sur le collège », en raison du trop jeune âge des élèves. Qu’en pensez-vous ?

Ça montre à quel point le président est déconnecté des propres préconisations de l’Éducation nationale. Les circulaires en matière d’éducation expliquent qu’il faut avoir un discours qui ratisse large sur le plan de la diversité de genre et d’orientation sexuelle et qui doit venir déconstruire les inégalités de genre. Car travailler contre le sexisme est aussi un moyen de lutter contre l’homophobie.

Ces propos d’Emmanuel Macron s’inscrivent dans un discours global où on considère que les élèves sont trop jeunes ou trop inexpérimentés pour s’interroger sur leur identité sexuelle ou de genre. Mais il y a un double standard là-dessus : si une petite fille nous dit qu’elle est une fille, personne ne remettra ce propos en question, en revanche, si un enfant évoque la possibilité d’être trans, on va se dire que c’est inconcevable car il est trop jeune…

“Quand on regarde les propositions concrètes, on est loin des grands changements promis”

Que pensez-vous de l’action de Pap Ndiaye sur le sujet ? Il était apparu très ému au Sénat en évoquant le suicide de Lucas et a des propos très forts depuis sur le harcèlement homophobe…

Le ministre est en poste depuis quelques mois donc c’est difficile d’avoir une lecture de sa politique. Mais je remarque qu’il verbalise de façon très explicite son envie de travailler sur ces questions-là. Il dit que c’est une priorité, par exemple. C’est un discours très fort qu’on n’a pas entendu auparavant. On a besoin de cette impulsion.

En revanche, quand on regarde les propositions concrètes, on est loin des grands changements promis. Sur les mesures annoncées par Pap Ndiaye, certaines étaient déjà en place comme l’observatoire des LGBTphobies dans chaque académie. Quant à la campagne de communication annoncée sur l’accueil des élèves LGBT +, je ne suis pas contre son existence, mais ça paraît très peu comparé à la gravité de la situation dans le milieu scolaire. L’école pourrait faire beaucoup plus.

Que pourrait-il être fait sur le programme scolaire par exemple ?

Aujourd’hui, soit on ne parle pas de ces sujets soit le discours est misérabiliste et se focalise sur la souffrance d’être LGBT+. L’éducation sexuelle est l’exemple le plus parlant du manque d’éducation à ces sujets car c’est le moment où on peut s’attendre à ce que ces notions d’identité de genre et d’orientation de genre soit abordées. Or on voit que ces séances-là n’ont souvent pas lieu et même lorsqu’elles ont lieu, elles ne mentionnent pas explicitement la pluralité des orientations sexuelles et de genre.

La porte d’entrée pour parler de sexualité, en cours de sciences par exemple, est la reproduction humaine. Donc on est dans un discours qui naturalise le fait qu’il n’y a que des hommes et des femmes et qu’ils sont complémentaires, ce qui complexifie la possibilité d’aborder les thématiques LGBT +. D’où la nécessité de varier le discours. En sciences, on pourrait aussi parler des processus de sexuation des corps qui montrent que nos corps sont loin d’être aussi strictement binaires qu’on l’entend. En histoire, on pourrait aborder les mouvements de revendications des droits LGBT+ comme un exemple de mouvement social… Ça serait une manière de décloisonner ces sujets.

La lutte contre l’homophobie et la transphobie fait partie des programmes d’enseignement moral et civique (EMC). Mais ces cours sont très peu donnés, de l’aveu même du ministre de l’éducation qui a annoncé à Têtu une mission à l’inspection générale afin de vérifier que les trois séances annuelles soient bien données. Cette annonce va-t-elle dans le bon sens ?

Oui ça va dans le bon sens mais il faut avoir une compréhension plus globale sur ce qui empêche l’existence de ces cours. Ces questions-là sont le plus souvent éludées, sauf si un professeur est sensible à ces sujets. Elles sont éludées car elles sont peu dans les programmes mais aussi car elles suscitent beaucoup de malaise parmi les personnels. Ce malaise nous indique le besoin crucial de formation des adultes.

Une formation obligatoire des enseignants sur les sujets LGBT + me paraît indispensable

Pap Ndiaye a annoncé une généralisation de la formation des adultes qui travaillent en milieu scolaire. La généralisation de la formation des personnels, est-elle la clé pour une école plus inclusive ?

Pour l’instant, la formation existe mais sous une base volontariste. Or les gens qui estiment avoir besoin d’une formation sur ces sujets sont déjà au fait de ces enjeux. Donc on va former les personnes les plus formées. Dès lors que la formation n’est pas obligatoire, on ne forme pas les bonnes personnes. Donc une formation obligatoire me paraît incontournable. Elle doit donner l’occasion de verbaliser leur malaise et leur inconfort par rapport à ces questions-là car les questions LGBT + vont aller confronter leurs perceptions du genre les plus profondes.

Selon le rapport consacré aux LGBT phobies de SOS homophobie en 2022, 63 % des agresseurs sont des élèves mais 26 % sont de la direction et 21 % de l’enseignement. Or quand on parle de lutte contre le harcèlement scolaire homophobe, on se focalise surtout sur les élèves…

On se représente toujours l’homophobie et la transphobie comme un problème de jeunes entre eux. On se dit alors que si on intervient bien, les situations de harcèlement homophobes pourront cesser.

Mais le problème est plus profond que ce qu’il se passe dans la cour d’école. Les propos entre élèves sont la pointe de l’iceberg, c’est juste la partie visible. La culture scolaire est très normative sur ces questions-là et des adultes y contribuent aussi. Identifier ce problème me paraît déjà très important.

Quelles autres pistes pourraient permettre de rendre l’école plus inclusive ?

Je pense par exemple à l’initiative des AGIS (Alliance Genre Identité Sexualité) qui commencent à se développer, notamment à Paris ou à Grenoble. Ce sont des regroupements d’élèves au collège ou au lycée d’adolescents en questionnement ou qui intéressés par ces questions. C’est un espace sécuritaire dans l’école où les élèves peuvent partager leur expérience et organiser des activités (projections de films, venues d’associations…). C’est assez intéressant car ça permet de parler des besoins des élèves et d’améliorer leur vécu.

Y a-t-il d’autres pays dont on pourrait s’inspirer ?

Tous les pays n’abordent pas le sujet de la même façon. En France, on a beaucoup calé les sujets LGBT + sur l’égalité fille garçon. Sexisme et homophobie sont liés mais ne parler des sujets LGBT + à l’école que par le biais des inégalités filles garçons reste très binaire. Ça suggère qu’il n’y a que deux manières d’être. Ce n’est pas le cas dans d’autres pays. Je suis québécoise et les choses ne se structurent pas comme ça au milieu scolaire. Au Québec, il est vu comme plus légitime d’aborder frontalement les questions LGBT + là où en France, il y a plus de tabous sur ces questions.

Le rôle des parents est-il également important ?

Quand on parle de lutte contre le harcèlement homophobe à l’école, la question des parents est peu interrogée or elle est très importante. Je fais des formations depuis trois ou quatre ans en milieu éducatif et on m’a demandé d’intervenir auprès des parents que très récemment. Or l’école n’est pas un huis clos donc il faut chercher à agrandir les personnes auxquelles on parle sinon on peut avoir un grand décalage entre le discours entendu par les élèves à l’école et à la maison. Pour moi, c’est une partie incontournable de la lutte contre le harcèlement homophobe.

SOURCE : ouest-france.fr