En mai 2023, l’Ouganda a promulgué une nouvelle loi contre l’homosexualité. Désormais les couples de même sexe sont passibles de prison voire de la peine capitale. Quitter le pays pour sauver sa vie reste souvent la seule option.
Le 29 mai, le président ougandais, Yoweri Museveni, a promulgué une loi anti-LGBT+ prévoyant de lourdes peines pour les relations homosexuelles et la “promotion” de l’homosexualité. Désormais, afficher sa relation avec une personne de même sexe dans la rue est passible de prison. Soutenir des personnes homosexuelles, en louant un appartement à un couple ou en étant vu en public avec elles, est également puni par la loi. Les peines peuvent aller jusqu’à 20 ans de prison.
Les journalistes risquent aussi une peine d’emprisonnement s’ils publient du contenu pouvant être considéré comme favorables aux droits des personnes LGBTQIA+.
Pire, la “loi anti-homosexualité 2023” prévoit même la peine de mort en cas d'”homosexualité aggravée”, c’est-à-dire en cas de propagation du VIH/SIDA lors de relations entre personnes de même sexe, pour les actes de viol, ou lorsqu’une personne est considérée comme “délinquant en série”.
Atteinte aux droits humains
Ce nouveau tour de vis n’a pas manqué d’être condamné au niveau international, d’Antionio Guterres, le secrétaire général des Nations unies, à Joe Bien, le président des États-Unis.
La Maison Blanche a dénoncé une “atteinte tragique” aux droits humains, en soulignant que la loi “met en péril les perspectives de croissance économique indispensable pour l’ensemble du pays”.
L’administration américaine pourrait même réévaluer l’aide qu’elle fournit à l’Ouganda, y compris l’aide d’urgence pour lutter contre le VIH/SIDA.
La Banque mondiale note à son tour que cette nouvelle loi “met en danger les populations en créant un obstacle supplémentaire aux soins médicaux vitaux, au dépistage des maladies et à la prévention”. Elle constituera un obstacle supplémentaire pour “mettre fin à l’extrême pauvreté et à stimuler une prospérité inclusive”.
Enfin, Washington, Londres et Berlin envisagent d’imposer des sanctions à l’Ouganda, y compris le gel des avoirs étrangers, ce qui aurait pour effet de plonger l’un des pays les plus pauvres du monde dans une crise encore plus grave.
Par ricochet, cette guerre déclarée aux homosexuels par le pouvoir pourrait provoquer de nouveaux mouvements migratoires, qui ne concerneraient pas seulement les gays et les lesbiennes en Ouganda.
Les relations homosexuelles étaient déjà illégales en Ouganda bien avant que la nouvelle loi ne soit adoptée – approuvée par 341 des 389 membres du Parlement au début de l’année.
L’Ouganda avait en effet adopté une loi similaire criminalisant les relations entre personnes de même sexe en 2013, surnommée “Kill the Gay Act” (la loi pour “tuer les homosexuels”). Cependant, un an plus tard, la Cour constitutionnelle du pays a fini par retoquer le texte pour des raisons techniques.
La loi de 2023 pourrait également faire l’objet de contestations juridiques. Adrian Jjuuko, avocat ougandais spécialisé dans les droits de l’homme, juge la loi clairement inconstitutionnelle, car elle viole le droit à la dignité des Ougandais garanti dans la Loi fondamentale.
“Est-ce un crime d’assumer mon identité ?”
“En criminalisant ce que nous appelons l’activité homosexuelle consensuelle entre adultes, la loi va à l’encontre de dispositions clés de la Constitution, y compris la violation des droits à l’égalité et à la non-discrimination”, précise l’avocat.
Les Nations unies estiment également que le texte doit être réexaminé “de toute urgence”.
Interrogés sous couvert d’anonymat par nos partenaires de la Deutsche Welle, plusieurs membres de la communauté LGBTQIA+ en Ouganda expliquent devoir se cacher.
“Est-ce un crime d’assumer mon identité ? J’ai peur pour ma vie et pour mes amis. J’ai peur pour ma famille”, confie l’un d’entre eux.
“Nous allons maintenant quitter le pays parce qu’il semble que tout le monde soit contre nous. Nous devons chercher l’asile dans des pays qui nous acceptent”, explique de son côté une Ougandaise lesbienne.
Francis confie lui aussi sa peur de rester en Ouganda. “Je vais probablement fuir pour me mettre en sécurité ailleurs. L’acceptation totale des droits des personnes LGBTQIA+ en Afrique reste un vaste défi”.
Evolution des mentalités
Si la rhétorique homophobe et les discours de haine se multiplient au niveau politique, l’opinion de la population a évolué ces 15 dernières années.
En 2007, selon un sondage réalisé par le Pew Research Center, basé aux États-Unis, 96 % des Ougandais estimaient que l’homosexualité n’est pas acceptable. Dix ans plus tard, en 2017, une enquête de l’Association ILGA indiquait que près de 60 % des Ougandais estimaient que les personnes LGBTQIA+ devaient jouir des mêmes droits que les hétérosexuels. Elles devraient aussi être protégées contre les discriminations sur leur lieu de travail.
Ce sondage note aussi que seul un tiers des Ougandais chercherait à “changer” l’orientation sexuelle d’un voisin s’ils découvraient qu’il était gay.
Le rôle des évangélistes américains homophobes
Kasha Nabagesera, militante ougandaise des droits des homosexuels, constate que l’Ouganda “n’a pas réussi à séparer l’Église de l’État”. De nombreux chefs religieux anti-homosexuels se retrouvent également au Parlement.
“Ils finissent par mélanger leurs opinions et leurs valeurs personnelles avec l’élaboration des politiques. Ils deviennent plus agressifs, organisent des conférences de presse, des manifestations dans tout le pays, poussent à l’adoption de lois très strictes, ce qui nous oblige en tant que militants, à travailler encore plus dur”, a-t-elle ajouté.
“Nous sommes un pays essentiellement chrétien et religieux. Nous avons beaucoup de fondamentalistes. Mais la situation a empiré lorsque des évangélistes américains sont arrivés ici et ont poussé les choses encore plus loin.”
L’activiste Kelly Mukwano partage ce sentiment : “On voit constamment des évangélistes arriver en Ouganda et propager l’homophobie.”
Se réfugier, mais dans quel pays ?
Quitter le pays pour sauver sa vie reste souvent la seule option. Mais là encore, la route vers l’exil peut s’avérer dangereuse. Des personnes ayant fui vers le Kenya disent ainsi avoir été victimes d’abus et de viols dans des camps de réfugiés.
D’autres espèrent atteindre l’Afrique du Sud, le seul pays du continent à offrir une protection totale à la communauté LGBTQIA+, même si la xénophobie se développe au gré des difficultés économiques du pays.
Le Mozambique, le Botswana, l’Angola et la Namibie peuvent également être une option. Les lois homophobes n’ont pas encore été totalement abrogées, mais l’homosexualité y est tolérée.
Aucune garantie de protection dans l’UE
Au sein de l’Union européenne, l’orientation sexuelle à elle seule n’est pas une garantie pour obtenir une protection.
En 2020, une lesbienne ougandaise a dû saisir la justice allemande pour obtenir un statut de protection après avoir échoué dans sa demande.
En Allemagne, la plupart des demandes d’asile en provenance de l’Ouganda sont rejetées, selon les chiffres de l’Office allemand pour les migrations et les réfugiés (BAMF). Mais le BAMF ne collecte pas de statistiques liées à l’orientation sexuelle, il est donc difficile de mesurer son impact sur une demande.
En 2020, au Pays-Bas, le gouvernement a décidé de réévaluer près de 250 dossiers d’Ougandais ayant obtenu l’asile sur la base de leur orientation sexuelle. Les autorités affirmaient avoir découvert un réseau criminel ayant aidé au moins 36 migrants à mentir sur leur orientation sexuelle.
Depuis, il serait devenu plus difficile de demander l’asile aux Pays-Bas au motif que l’on est persécuté pour sa sexualité.
L’Ouganda est loin d’être le seul pays à criminaliser l’homosexualité. Dans le monde, 66 pays ont des lois homophobes. Et la peine capitale est toujours en vigueur pour les relations homosexuelles dans onze pays : l’Afghanistan, l’Arabie saoudite, le Brunei, l’Iran, la Mauritanie, le Nigeria, le Pakistan, le Qatar, la Somalie, les Émirats arabes unis et le Yémen.
SOURCE : infomigrants.net