Jan-Paul Pouliquen (et non Jean-Paul, attention) est mort à l’âge de 69 ans, dix ans après l’ouverture du mariage aux homosexuels, chemin qu’il avait ouvert en militant dès le début des années 90 pour une union civile qui donnera le Pacs. Ses camarades de route partagent leurs souvenirs d’une figure forte de la communauté LGBT.
“Un jour, j’ai lu l’histoire d’un couple d’hommes dont l’un était décédé du sida. Les parents de celui qui était mort ont fermé l’appartement et le survivant n’a même pas pu récupérer sa brosse à dents.” Jan-Paul Pouliquen se souvenait de cette histoire, parue dans le journal Gai Pied (ancêtre de têtu·), comme du point de départ du plus grand combat de sa vie militante : le Pacs. Si après l’adoption de la loi instituant le pacte civil de solidarité, le nom des militants qui y avaient œuvré a souvent été oublié, Jan-Paul Pouliquen était de ceux-là, lui qui portait le projet dès le début des années 1990, quand personne ne s’en préoccupait encore. Il est mort ce vendredi 28 avril, à Trappes dans les Yvelines, à l’âge de 69 ans.
En 1999, alors que le Pacs vient d’être adopté, c’est un soulagement pour les députés socialistes porteurs du projet, Jean-Pierre Michel et Patrick Bloche. Le second, alors député de Paris, se souvient de cette bataille menée aux côtés de Jan-Paul Pouliquen qu’il avait rencontré en 1984, quand ce dernier était président de l’association politique LGBT Homosexualités et Socialisme. “Sa ténacité a fait la réussite du Pacs. C’est Gérard Bach-Ignasse et Jan-Paul Pouliquen qui en ont eu l’idée. C’était une personnalité forte, il n’était pas dans le compromis et il a eu raison.” Les pires heures de la crise sida sont la toile de fond de ce combat. “Cela nous a amené à une véritable prise de conscience. Il était impossible de protéger les homosexuels qui perdaient leur partenaires du sida, rappelle l’ancien parlementaire. Aucune reconnaissance n’était possible tant que le Code civil ne reconnaissait le couple que comme l’union d’un homme et d’une femme.” Celui qui est désormais adjoint à la maire de Paris se rappelle des soirées passées dans le petit appartement de Jan-Paul Pouliquen, rue Oberkampf à Paris, pour préparer la proposition de loi.
La longue marche vers le Pacs
Irène Théry évoque un homme déterminé et inventif. “La Cour de cassation, par deux arrêts successifs, avait empêché de donner un statut de concubin aux couples homosexuels, retrace la sociologue spécialisée dans le droit de la famille. Avec sa proposition d’un contrat d’union civile, Jan-Paul contournait ce blocage en proposant un projet qui dissolvait la notion de couple dans l’idée de paires solidaires.” En 1992, Jan-Paul Pouliquen et l’équipe qu’il a réunie rendent un premier projet. “Cette proposition n’a pas été très soutenue, même par les élus socialistes. Ils étaient huit à y être favorables, sur 275, se remémore Patrick Bloche. Et la perte de la majorité par la gauche en 1993 n’a pas arrangé les choses.”
Codirecteur de l’observatoire LGBTI+ de la fondation Jean Jaurès, Denis Quinqueton a accompagné Jan-Paul Pouliquen pendant huit ans dans cette bataille politique, malgré les oppositions. “C’était un peu comme Retour vers le futur pour nous, parce que c’était une droite conservatrice, mais on a continué de militer comme on le pouvait, sur d’autres terrains.” Il n’a pas oublié non plus la passion qui pouvait animer le militant au long de ces années de lutte pour le Pacs. “On était convaincu que c’était la chose à faire. J’ai vraiment appris la diplomatie avec Jan-Paul… parce qu’il ne l’était pas toujours, plaisante-t-il. Il m’arrivait de passer après lui pour recoller les morceaux avec certaines personnes. C’était quelqu’un d’entier, parfois on pestait contre lui, mais on ne s’attardait pas.”
“Il ne se laissait pas effrayer. On peut lui reconnaître le courage de ses convictions dans un moment où il y avait peu d’espoir”.
“On a eu quelques différends quand j’étais chez Les Verts, mais on défendait les mêmes causes. J’ai toujours eu une grande estime pour lui”, abonde Alain Piriou, qui représentait la commission Gay et Lesbienne des Verts en 1996 quand il a rencontré Jan-Paul Pouliquen. Malgré ces désaccords, il lui reconnaît une grande force de persuasion et de stratégie : “Il avait compris très rapidement qu’il fallait convaincre des élus individuellement, mais aussi obtenir l’appui de mouvements sociaux comme la Pride, etc. Il maîtrisait vraiment cette articulation.” Irène Théry se souvient des changements qui sont intervenus entre la première idée du CUC (Contrat d’union sociale) et l’adoption du Pacs. “Comme beaucoup à cette époque, Jan-Paul a évolué avec le texte. Je pense qu’au début, il n’avait pas perçu l’intérêt de changer la définition du couple en droit. Mais quand il a vu que c’était possible, il a eu l’intelligence de ne pas se bloquer et d’accompagner l’évolution du projet”, explique celle qui a rencontré le militant dans le cadre des débats organisés à l’époque, notamment à la radio : “Il ne se laissait pas effrayer. On peut lui reconnaître le courage de ses convictions dans un moment où il y avait peu d’espoir”.
Ne pas oublier Jan-Paul Pouliquen
L’adoption du Pacs, comme le rappelle évidemment Irène Théry, “a fait sauter de nombreux verrous, ce qui a permis d’ouvrir les discussions autour du mariage dans les années qui ont suivi”. Mais loin d’être uniquement le créateur du projet qui a donné le jour au Pacs, Jan-Paul Pouliquen a milité pour les droits des homosexuels très tôt. “Il m’a aussi transmis sa mémoire militante, il avait vécu les années 70, la dépénalisation de l’homosexualité, l’apparition du sida, c’était passionnant”, égrène Denis Quinqueton. En 1979, il a notamment participé à la création du Comité d’urgence anti-répression homosexuelle (CURAH), avant de prendre part au lancement de l’association Homosexualités et socialisme, qui fête ses quarante ans cette année.
Patrick Bloche salue la fougue militante de son ami : “Il mettait toujours toute son énergie. Il ne faisait pas de concession, ce qui ne lui a pas apporté que des amis. Mais il allait toujours au bout de ses convictions.” Comme lors de son voyage en URSS au début des années 1980 : “Il s’est fait arrêter après avoir manifesté pour les droits des homosexuels. C’était dangereux, il pouvait courir des risques insensés”. Et de souligner : “L’injustice de tout ça, c’est que les noms de Jan-Paul ou de Gérard Bach-Ignasse ont été oubliés”. La disparition de Jan-Paul Pouliquen, c’est celle d’une force de conviction et d’un courage qui ont marqué l’histoire politique et sociale du pays, et qui ont ouvert la voie à de nouvelles revendications LGBTQI+. Adieu, camarade défricheur !
SOURCE : tetu.com