Pendant des décennies, le gouvernement fédéral a traqué et renvoyé des milliers de ses employés. Leur crime ? Être des personnes homosexuelles. Le documentaire La purge raconte cette histoire en misant sur celle de trois ex-militaires.
icenciements, vies détruites, suicides, les conséquences de ce qui a été baptisé la « purge LGBT » au sein de la fonction publique fédérale et de l’armée canadienne ont été tragiques, souligne Martine Roy, une ex-militaire qui fait elle-même partie des victimes. Elle est loin d’être la seule : selon le documentaire réalisé par Orlando Arriaga, la Gendarmerie royale du Canada (GRC) a ouvert environ 30 000 dossiers entre 1950 et 1990.
Cette discrimination trouve sa source à la fin des années 1940, au début de la guerre froide, alors que les Américains décident que les homosexuels qui travaillent pour le gouvernement constituent une menace à la sécurité de l’État. Forcés de vivre leur sexualité en cachette en raison des mœurs de l’époque, les fonctionnaires, diplomates ou espions gais, par exemple, devenaient, selon eux, susceptibles d’être victimes de chantage… et d’y céder. L’affaire Guy Burgess, Anglais homosexuel devenu espion pour le régime soviétique, a semblé leur donner raison au début des années 1950.
Dès lors, une « chasse aux sorcières » a été lancée au sein des pays de l’OTAN pour débusquer les employés homosexuels, notamment au sein des corps diplomatiques. Ici, cette traque a mené à l’arrestation de John Watkins, qui fut ambassadeur du Canada en URSS, et qui est mort au cours d’un interrogatoire visant à déterminer s’il avait trahi sa patrie à la suite d’un chantage exercé sur lui en raison de son homosexualité.
Les circonstances de sa mort, par arrêt cardiaque, ont été camouflées avec la bénédiction du premier ministre de l’époque, Lester B. Pearson.
Dans les années 1950 et 1960, être homosexuel était criminel. « C’était évident pour les gens à ce moment-là qu’on ne voudrait pas avoir des criminels qui travailleraient pour le gouvernement fédéral », dit l’avocat Douglas Elliott, qui a mené l’action collective des victimes de la purge LGBT. D’où, sans doute, l’effort qui a été mis pour débusquer et sortir les homosexuels de l’armée canadienne.
Trois vies brisées
L’essentiel du documentaire s’attarde ainsi à l’histoire de trois d’entre eux. Martine Roy, qui a été soldate, Lucie Laperle, qui fut la première femme à faire partie de la police militaire, et Steven Deschamps, lui aussi ex-militaire.
Ce qui est étonnant, c’est qu’ils ont tous les trois subi des traitements humiliants, parfois carrément violents, dans les années 1970 et 1980, alors que l’homosexualité avait été décriminalisée en 1969 par le gouvernement Trudeau père, qui avait affirmé que l’État n’avait rien à voir dans la chambre à coucher des gens.
« Quand je me suis enrôlée, à 18 ans, je n’étais pas gaie et je n’étais pas gaie, je n’étais rien ! », lance Lucie Laperle, qui a justement vécu sa première aventure homosexuelle – mais aussi un viol – dans les Forces armées canadiennes. Steven Deschamps dit lui aussi que sa sexualité n’occupait pas une place importante dans sa vie à l’adolescence et au début de l’âge adulte. Vivre la vie militaire lui importait bien davantage.
En 1970, c’était dangereux de déclarer que vous étiez homosexuel, alors on ne le faisait pas, militaire ou pas militaire.
Martine Roy raconte pour sa part avoir eu un chum dans l’armée avant d’y rencontrer une femme, qui lui a conseillé de garder son amoureux pour ne pas se faire prendre. « C’est là que j’ai réalisé que c’était dangereux », dit-elle, parce que même si l’homosexualité n’était plus criminelle au pays, l’armée estimait que ses membres, qu’ils soient gais ou lesbiennes, constituaient encore un risque pour la sécurité nationale. La soldate Martine Roy, comme Lucie Laperle et Steven Deschamps, a été arrêtée et interrogée jusqu’à ce qu’elle craque. Puis l’armée l’a jetée.
L’ancienne membre de la police militaire Lucie Laperle
J’ai donné les meilleures années de ma vie aux Forces armées canadiennes et ils m’ont recrachée dehors comme un vulgaire déchet.
Martine Roy et Steven Deschamps admettent avoir traversé des années difficiles au cours desquelles ils ont sombré dans l’alcool et la drogue pour avoir été victimes non pas de leur incompétence – ils se savaient compétents –, mais de ce qu’ils sont.
La force du documentaire d’Orlando Arriaga tient essentiellement à celle de ces trois témoignages, qui sont à la fois émotifs et très éloquents et qui donnent à imaginer ce que des milliers d’autres Canadiens, dans l’armée et ailleurs dans la fonction publique, ont subi au cours des nombreuses années au cours desquelles cette politique discriminatoire a été maintenue.
SOURCE:lapresse.ca