Steeve Briois vient d’être élu maire d’Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais). Il porte les couleurs du Front national. Et il est aussi homosexuel. Voici trois éléments d’information − maire, FN, homo − qu’il est intéressant de recombiner deux par deux.
Le premier allié au deuxième donne un résultat calamiteux, mais le peuple est souverain. Il a le droit de donner sa voix à qui il veut et de se choisir un élu d’extrême droite, tant que celui-ci respecte les règles du jeu démocratique. Ce qui, pour l’instant, est le cas.
A l’inverse, le rapprochement des deux derniers éléments constitue plutôt une bonne nouvelle. Qu’un élu FN puisse être gay prouve que l’orientation sexuelle n’est pas déterminante. La bêtise politique n’a pas plus de sexe qu’elle n’est tributaire d’une quelconque inclination sexuelle, d’autant que cette dernière est sans doute plus fluctuante et réversible que ne voudraient le croire les essentialistes et les prosélytes avides de fixer chacun dans un registre verrouillé.
On peut être gay et FN, comme on peut être femme et anti-IVG, noir et ennemi de Mandela, musulman et contre le voile, juif et opposé à l’existence de l’Etat d’Israël, catholique et en faveur de l’euthanasie. L’homosexualité n’est évidemment pas affermée à un camp politique. Pourtant, jusqu’à présent, ce sont principalement des hommes de gauche qui ont revendiqué des préférences de ce genre. Bertrand Delanoë en a été l’emblème le plus visible. C’est aussi le camp des progressistes qui a donné des droits aux minorités sexuelles (dépénalisation, pacs, mariage pour tous).
Il sera intéressant de voir comment Steeve Briois agira en ces domaines. S’il célébrera lui-même l’union de deux personnes du même sexe, s’il montera en ligne contre l’homophobie. Répétons qu’il n’est tenu à rien en ces domaines, juste au respect de la loi. Il a tout à fait le droit de s’inscrire en faux contre les valeurs et les intérêts d’une communauté à laquelle il peut tout à fait refuser d’appartenir. En république, un citoyen s’honore à se constituer un corps de doctrine qui lui permette d’échapper à ses origines, à ses appartenances, à ses déterminismes. Le paradoxe veut que le FN reste le parti qui préfère sa femme à sa cousine, sa cousine à sa voisine, etc.
Dernière chose. Il me faut avouer un embarras assez insoluble. Je suis pour le respect de la vie privée de tous, des connus et des élus comme des anonymes et des indifférents. Je suis pour que chacun puisse vivre sa sexualité en secret s’il le souhaite. Dans l’absolu, je n’aurais jamais dû faire état de l’homosexualité de Briois, outé voici quelques mois. J’étais l’un des premiers à reprocher à Act Up de vouloir crier le nom d’un élu de droite gay qui défilait contre le pacs. Et me voilà à élucubrer sur la vie privée du maire d’Hénin. Et qu’importe si c’est pour me féliciter de cette dualité qui n’en est pas une.
La difficulté de l’histoire, c’est que le placard est ouvert en place publique et qu’un procès intenté par Briois et son compagnon n’a fait qu’amplifier la chose. Et me voilà bien embêté à me demander si j’aurais pratiqué de même avec un élu homo PS ou UMP. Et à m’interroger pour savoir si cet outing recommencé ne participe pas à une dédiabolisation accélérée. Le tout en étant convaincu que diaboliser le FN fut une erreur funeste. Tout ça pour vous dire que le méli-mélo vire à l’inextricable.
- Luc LE VAILLANT
- Source Libération