La garde des Sceaux présente, en exclusivité pour « La Croix », ce que seront les grandes lignes du projet de loi ouvrant le mariage et l’adoption aux couples de même sexe.
La Croix. Ouvrir le mariage aux personnes de même sexe change profondément le sens d’une institution qui a traversé les siècles. Pourquoi n’avoir pas plutôt choisi d’étendre les droits des personnes pacsées ?
Christiane Taubira : Le mariage est en effet une institution ancienne qui occupe une place très particulière dans le code civil. C’est un acte juridique solennel, inventé pour structurer la société, qui codifie plus strictement que d’autres formes d’union (le pacs et le concubinage) les conditions de la vie commune. Réformer le mariage en l’ouvrant aux couples de même sexe fait, il est vrai, débat. Mais, vous savez, les réformes touchant au mariage se sont toujours faites dans un climat passionnel.
En 1884, lorsque le divorce a été introduit, il a provoqué des débats extrêmement violents et intenses : il y avait là déjà une confrontation philosophique et anthropologique évidente entre ceux qui avaient une perception plus religieuse du mariage et ceux qui, sous l’influence de Lumières, en avaient une perception plus laïque. Nous sommes donc bien conscients de toutes les dimensions philosophiques et anthropologiques entourant le mariage. Mais nous estimons qu’elles ne peuvent venir percuter l’exigence d’égalité. C’est à cela, à cette exigence d’égalité, que nous satisfaisons avec ce projet de loi.
Autoriserez-vous les maires qui le souhaiteront à ne pas célébrer de mariages entre homosexuels ?
C. T. : Non. Les maires sont des officiers publics qui représentent l’État lorsqu’ils célèbrent un mariage, c’est une mission dont ils sont très fiers. Nous sommes dans un état de droit, le code civil va être modifié, il s’impose à tous, y compris aux maires. Il ne sera pas inscrit dans la loi qu’ils puissent se soustraire au code civil.
En même temps, je travaille actuellement avec ces élus, notamment l’Association des maires de France. Nous allons systématiser ces contacts, afin que les maires soient étroitement associés au travail de réflexion et d’élaboration du projet de loi. D’une façon générale, nous allons consulter – nous avons d’ailleurs déjà commencé – de nombreux acteurs de la société : des personnalités, des associations favorables et d’autres hostiles au mariage pour tous, des institutions, des représentants des cultes, etc. Je peux vous dire que ces auditions sont conduites dans un esprit de grande franchise et de grande écoute.
Qu’envisagez-vous en matière de parentalité et de reconnaissance de filiation ?
C. T. : Le projet de loi va étendre aux personnes de même sexe les dispositions actuelles du mariage, de la filiation et de la parenté. Nous ouvrirons donc l’adoption aux couples homosexuels et ce, dans un cadre identique à celui actuellement en vigueur. Ils pourront, comme les autres, adopter de façon individuelle ou conjointe (de façon simple ou plénière).
Ainsi, les personnes homosexuelles désireuses de devenir « parent » de l’enfant biologique de leur conjoint pourront accéder à la procédure d’adoption dans les mêmes conditions que les hétérosexuels. Le projet de loi ne prévoit pas d’équivalent à la « présomption de paternité », qui existe aujourd’hui au sein des couples mariés. Voilà ce que prévoit notre texte, ce qui ne préjuge pas de ce que les parlementaires décideront.
Une telle réforme ne fera-t-elle pas primer le « droit à l’enfant » sur le « droit de l’enfant » ?
C. T. : Le droit à l’enfant n’existe pas dans sa conception absolue, c’est une fiction ! À l’heure actuelle, la procédure d’adoption est sérieuse, elle sera appliquée de la même façon pour les couples de même sexe. Je rappelle que pour adopter un enfant, les conditions sont strictes, justement pour protéger ses droits : il faut tout d’abord obtenir un agrément, délivré par le conseil général qui mène une enquête. Une fois que cet agrément est accordé, le juge intervient pour autoriser ou pas l’adoption.
Mais jusqu’ici, deux mères ou deux pères ne pouvaient pas adopter ensemble… Donne-t-on les mêmes chances à l’enfant dans ce cadre qu’au sein d’un couple formé par un père et une mère ?
C. T. : C’est bien sûr un sujet sérieux et le gouvernement ne sous-estime pas ce qui est en jeu. Il assume la position qu’il prend. Les choses ne sont pas binaires. Qui peut dire qu’un couple hétérosexuel élèvera mieux un enfant qu’un couple homosexuel, qu’il garantira mieux les conditions de son épanouissement ? Ce qui est certain, c’est que l’intérêt de l’enfant est une préoccupation majeure du gouvernement.
Envisagez-vous d’ouvrir l’aide médicale à la procréation (AMP) aux couples de femmes dans ce cadre de ce texte ? Si oui, ne craignez-vous pas que des couples d’hommes réclament, de leur côté, la légalisation des mères porteuses ?
C. T. : Notre projet de loi ne prévoit pas d’élargir l’accès à la procréation médicalement assistée. Je vois bien, dans le cadre des consultations que nous menons avec l’ensemble de la société civile, que cette question revient souvent. Certains y sont hostiles et d’autres favorables, mais notre projet de loi est très clair : l’accès à la PMA ne rentre pas dans son périmètre. Quant à la gestation pour autrui, elle ne sera pas légalisée. Le président de la République a toujours été très clair sur ce sujet lors de la campagne.
- Source La CROIX