On ne sait pas encore précisément par quoi ils seront remplacés. On sait, en revanche, qu’ils ne devraient pas être généralisés à la rentrée 2014. Les « ABCD de l’égalité », outil phare de lutte contre les inégalités entre filles et garçons issus de la Convention interministérielle pour l’égalité – signée pour la période 2013-2018 par six ministres, dont Vincent Peillon à l’éducation et Najat Vallaud-Belkacem aux droits des femmes –, vivent sans doute leurs dernières heures.
« On ne renoncera pas à l’ambition, mais on s’apprête à en renouveler les modalités, en misant sur la formation des enseignants, en respectant leur liberté pédagogique », se défend-on Rue de Grenelle, en promettant un « plan d’action » pour lundi 30 juin.
Sacrifier les « ABCD », expérimentés depuis l’automne dans 275 écoles – sur 48 000 –, pour que les enseignants, pris pour cible par les lobbys traditionalistes, puissent endosser plus sereinement leur mission ? C’est le message que s’échine à faire passer le ministre de l’éducation, Benoît Hamon, sans réussir à gommer l’impression, quatre mois après l’abandon de la loi famille, que le gouvernement cède du terrain aux « anti-genre ».
« NOUS SERONS AMBITIEUX SUR LES PROGRAMMES »
« Je veux apaiser », a reconnu le ministre sur France Culture, mercredi 25 juin. « Je regrette qu’on s’attache à l’enveloppe, au contenant, et pas au contenu. » Une « enveloppe » que la Manif pour tous et les partisans de la militante proche de l’extrême droite Farida Belghoul persistent à voir comme le cheval de Troie d’une prétendue « théorie du genre » à l’école.
Prenant ses distances avec le concept d’expérimentation – « Ça m’inquiète, a glissé le ministre, j’ai eu beaucoup de remarques des parents d’élèves disant : “Expérimentation, sur les enfants, si vous pouviez éviter”… » –, M. Hamon entend inscrire l’égalité entre les sexes dans la formation et les enseignements. « Nous serons ambitieux sur les contenus des programmes qui vont du CP jusqu’à la 3e du socle commun », a-t-il assuré mercredi, laissant de côté la grande section, pourtant concernée par les ABCD.
Inscrire la thématique dans le « socle commun » – ce que tout élève doit maîtriser à 16 ans ? C’est l’une des hypothèses qui avaient circulé lors de la démission d’Alain Boissinot de la présidence du Conseil supérieur des programmes, le 9 juin, même si le principal intéressé avait démenti avoir été saisi du dossier. Quant à l’intégrer dans les programmes du primaire, cela n’a rien de nouveau : le thème figure déjà dans ceux de 2008, comme dans ceux de 2002. Sans garantie que cela suffira à calmer les milieux « tradis », l’option laisserait un an de plus au gouvernement pour sortir de la polémique : le nouveau « socle » n’entrerait en vigueur qu’à la rentrée 2016, si l’on se fie à un agenda mouvant.
« C’EST UN BILAN POSITIF GLOBALEMENT »
Le calendrier fixé par l’ex-ministre de l’éducation Vincent Peillon prévoyait une « évaluation » des ABCD entre avril et juin, « en vue de généralisation » à la rentrée. Avant même la divulgation du rapport d’évaluation attendue lundi, M. Hamon a donc tranché. « En dépit » du rapport, pourrait-on dire, car le ministre l’a reconnu sur France Culture : « C’est un bilan positif globalement, [qui ressort] de ces initiatives pédagogiques. »
Selon nos informations, bon nombre des classes pilotes souhaitent aller de l’avant. Un « bilan d’étape » communiqué par le ministère le 13 janvier faisait état de remontées très positives. « 75 % des enseignants pensent désormais pouvoir agir sur la durée, sur eux-mêmes et sur les élèves pour créer les conditions d’une éducation à l’égalité pour les filles et pour les garçons », indiquait le ministère.
Car le constat est là : quarante ans après que la mixité a été rendue obligatoire à tous les niveaux d’enseignement, trente ans après que l’éducation nationale a inscrit dans ses missions la promotion de l’égalité, un rapport des inspections générales divulgué à l’été 2013 rappelait que « les stratégies des élèves sont largement influencées par leur appartenance de genre ». A l’époque, le mot n’était pas – encore – tabou.
- Source Le Monde