La proposition de loi créant une union civile pour les couples de même sexe en Italie déchire la classe politique et mobilise partisans et opposants, tous prêts à descendre dans la rue.
L’Italie est le dernier grand pays d’Europe occidentale à ne reconnaître aucun statut aux couples homosexuels, et malgré plusieurs tentatives par le passé, le texte qui sera présenté le 28 janvier aux sénateurs est le premier à parvenir jusqu’aux élus.
Il prévoit d’instaurer une union civile, enregistrée par un officier d’état-civil, entre personnes du même sexe qui s’engagent à une vie commune dans la fidélité et à une assistance morale et matérielle réciproque. Le texte permet de prendre le nom de famille de son conjoint, d’adopter ses enfants naturels s’il n’ont pas d’autre parent reconnu et de bénéficier le cas échéant d’une pension de réversion.
C’est "le minimum syndical", insiste Marilena Grassadonia, présidente de Famiglie Arcobaleno (familles arc-en-ciel). "Un premier pas" pour rattraper "un retard qui ne fait pas honneur à notre pays", renchérit Gabriele Piazzoni, secrétaire national d’Arcigay, la principale association de défense des homosexuels du pays.
Samedi après-midi, soutenus par des syndicats et des partis politiques de gauche, ils seront dans la rue, un réveil à la main, pour scander "Italie, réveille-toi, c’est l’heure d’être civile". Plutôt qu’un grand rendez-vous, ils ont opté pour près de 90 rassemblements simultanés à travers la péninsule: "Nous ne cherchons pas à impressionner mais à aller à la rencontre des gens", explique Marilena Grassadonia.
Pas moyen en effet de rivaliser avec la manifestation massive prévue le 30 janvier sur le site du Circo Massimo de Rome par des organisations essentiellement catholiques sous le slogan "Défendons nos enfants", où l’on attend des centaines de milliers de personnes. "Penser qu’on puisse enseigner à nos enfants, à mes petits-enfants, qu’il existe différents modèles de familles (…) est inacceptable", explique Massimo Gandolfini, neurochirurgien et coordinateur de ce "Family Day".
Pour lui, l’Italie n’a pas les moyens d’offrir la pension de réversion aux couples homosexuels "quand 1,4 million de familles vivant sous le seuil de pauvreté". Et surtout, il est hors de question d’ouvrir une brèche avec l’adoption de l’enfant du conjoint, qui reconnaîtrait qu’un enfant peut avoir deux pères ou deux mères et légitimerait a posteriori le recours de certains couples d’hommes à une mère porteuse à l’étranger.
Alors qu’une partie des évêques souhaitaient rester discrets sur le sujet tout en répétant leur attachement à la famille traditionnelle, à l’image du pape François, le président de la conférence épiscopale, Mgr Angelo Bagnasco, a clairement dénoncé "une distraction grave et irresponsable" par rapport "aux vrais problèmes du pays".
La famille chrétienne est basée sur "le mariage indissoluble, qui unit pour procréer", et fait partie du "rêve de Dieu pour sauver l’Humanité", a de son côté réitéré vendredi le pape en personne.
Dans la classe politique, le sujet divise profondément la majorité gouvernementale de centre-gauche de Matteo Renzi: les centristes et une frange catholique du parti démocrate sont vent debout contre les mesures trop proches du mariage et surtout l’adoption de l’enfant du conjoint.
Le texte devrait passer avec le soutien d’élus de la gauche non-gouvernementale, du Mouvement 5 étoiles de Beppe Grillo et même de Forza Italia de Silvio Berlusconi, qui s’est déclaré personnellement favorable au projet. "Cette loi n’a pas une majorité gouvernementale mais transversale", assure Gabriele Piazzoni. Mais le débat pourrait être long et houleux.
Des milliers d’amendements ont déjà bloqué le texte pendant des mois en commission et devraient ralentir le débat au Sénat puis à la Chambre des députés. Après avoir promis une loi avant l’été 2015 puis pour l’automne, Matteo Renzi ne se fixe plus de délai. Il a explicitement laissé la "liberté de conscience" aux élus et ne devrait donc pas chercher à accélérer le mouvement en posant la question de confiance, comme il l’a souvent fait pour ses principales autres réformes.
Si le texte est adopté, même fortement amendé, les opposants au projet s’attendent à une invalidation par la Cour constitutionnelle ou prévoient un référendum d’initiative populaire pour tenter de l’abroger. "Ceux qui sont convaincus de remporter ce référendum verront une bombe leur exploser dans les mains", assure Massimo Gandolfini. Les sondages, très variables, semblent en effet indiquer une légère majorité en faveur des unions civiles, mais une opposition encore forte aux adoptions.
- SOURCE E LLICO