Mise en délibéré, la décision du tribunal correctionnel de Bordeaux pourrait faire progresser la jurisprudence sur la gestation pour autrui en France.
S’il y avait eu pour nous une manière légale d’avoir un enfant, nous y aurions volontiers eu recours ». Deux Girondins, homosexuels, en couple depuis plus de quatorze ans et mariés depuis près de deux ans, étaient jugés hier par le tribunal correctionnel de Bordeaux pour « provocation par don, promesse, menace ou abus d’autorité à l’abandon d’enfant né ou à naître », délit passible de six mois de prison et de 7 500 € d’amende.
Une qualification pénale qui cache en fait un dossier de GPA. Interdite en France, la gestation pour autrui suscite de plus en plus de débats. Alors que de récentes décisions nationales et européennes semblent aller dans le sens d’un assouplissement de la position française sur le sujet, le dossier examiné hier dénote par son contexte.
Suspect pour l’état-civil
C’est une employée de mairie de l’agglomération bordelaise qui, en voulant demander conseil, a malgré elle signalé un cas suspect pour l’état-civil. Un homme venait déclarer sa paternité sur une petite fille sans mentionner l’identité de la mère. Le parquet a immédiatement saisi les policiers de la brigade départementale de protection de la famille pour enquêter sur cette suspicion de gestation pour autrui.
De fait, les enquêteurs ont vite démêlé le vrai du faux. Le couple d’homosexuels, qui souhaitait fonder une famille, a trouvé sur Internet une agence à Chypre qui proposait de recourir à une mère porteuse. Une convention a été passée entre les parents d’intention, l’agence et la mère porteuse, une Bulgare vivant à Chypre.
Deux mois avant la naissance de l’enfant, la mère porteuse a été accueillie en Gironde par les futurs parents, avec son compagnon et son fils. « Nous voulions partager ses dernières semaines de grossesse, être présents pour l’accouchement et nous avions davantage confiance dans le médecin français », expliquent les deux hommes.
Comme le plaidera leur avocat Me David Dumontet, les deux époux ne nient pas avoir eu recours à une mère porteuse. « Mais ils contestent la qualification pénale donnée ». « Cette notion de provocation à l’abandon d’enfant, ce n’est pas notre histoire, on ne se reconnaît pas dans ce mot », confie l’un d’eux. « Nous n’avons pas demandé à une femme d’abandonner son enfant ». « Ce sont pourtant les termes du contrat », rétorque la présidente Cécile Ramonatxo. « Et cette femme dit avoir accepté ce travail de mère porteuse pour donner une meilleure vie à son fils ».
« Ce n’est pas qu’une question d’argent », fait valoir le père déclaré de la fillette, qui parle d’une « GPA éthique ». « Elle voulait aussi nous aider. Et une grossesse, c’est un inconfort, des contraintes, des risques », « Cela ne nous a pas choqués de la dédommager ». « Le Code pénal n’est pas si romantique », ironise la présidente.
Amende requise
« Ils ont usé d’artifices et servi un scénario extrêmement bien réfléchi », pose Marie-Madeleine Alliot, procureur de la République de Bordeaux. Démontant méthodiquement et rejetant un à un tous les moyens de défense, elle estime que « même si, de manière affective, ils n’ont pas l’impression d’avoir provoqué l’abandon d’un enfant, aux yeux de la loi, ils l’ont fait ».
« Une contrainte matérielle pesait sur la mère dans une situation précaire dans son pays. Elle n’avait pas son libre arbitre. » Pour la magistrate, les prévenus ne peuvent échapper à leur responsabilité, qu’elle chiffre à 7 500 euros d’amende chacun.
Me David Dumontet, qui distribue aux juges des photos de « l’objet du délit », bébé aux yeux et visage souriants, plaide quant à lui la relaxe. Parce que les faits reprochés auraient été commis à Chypre, qui n’incrimine pas la GPA. Parce que la Bulgare n’est pas la mère biologique de la petite, conçue par dons d’ovocytes et de gamètes, et qu’elle n’a jamais eu l’intention de la garder.
Parce qu’elle n’a pas été influencée pour repartir dans son pays sans l’enfant.
Le tribunal a pris le temps de la réflexion et rendra sa décision au cours de l’été. Une autre procédure est en cours au civil puisque le parquet a demandé l’annulation de la reconnaissance de paternité frauduleuse.
- SOURCE SUD OUEST