A 26 ans, Maximilian Schrems a déjà une longue histoire avec Facebook. En 2011, le jeune Autrichien avait demandé au réseau social, par simple curiosité, ce qu’il savait à son sujet. Facebook lui avait alors envoyé un CD avec un document PDF de 1 200 pages, contenant notamment des informations qu’il avait supprimées…
Quelques mois plus tard, Maximilian Schrems avait déposé vingt-deux réclamations à la commission de protection des données en Irlande, où Facebook est installé.
Visiblement peu satisfait de la façon dont l’Irlande traitait l’affaire, il a décidé de porter plainte, vendredi 1er août, devant la cour de commerce de Vienne et a demandé à toutes les personnes majeures de se joindre à lui pour donner plus de poids à son action. Lundi 4 août, ils étaient déjà onze mille à le soutenir.
Pourquoi poursuivez-vous Facebook ?
Maximilian Schrems : J’ai étudié aux Etats-Unis pendant un semestre. Et quelqu’un de Facebook est venu nous expliquer comment les lois européennes sur la vie privée fonctionnaient. J’étais le seul Européen. Et il disait : « Vous pouvez faire ce que vous voulez, rien ne vous arrivera jamais. » Il interprétait la loi européenne d’une façon qui était complètement fausse. Il disait des choses comme : « Tant que personne ne vous dit non, vous pouvez continuer à utiliser leurs données. » Mon idée était donc de montrer aux entreprises que l’on peut faire appliquer la loi européenne.
Actuellement, en Europe, nous ne faisons que nous lamenter que la vie privée ne soit pas respectée en ligne et du fait que les entreprises ne respectent pas la législation européenne. De notre côté, nous avons donc décidé de faire quelque chose au lieu de continuer à nous plaindre.
Sur quelles bases attaquez-vous Facebook ?
La liste est assez longue. Nous avons choisi les violations de la loi les plus basiques. La politique de confidentialité, la participation au programme PRISM de la NSA (National Security Agency), la fonction « Graph Search », le tracking sur les pages autres que Facebook, via par exemple le bouton « like »…
En fait, nous voulons que le réseau social se soumette à différents points de la loi, comme par exemple avoir des politiques de confidentialité compréhensibles.
Vous avez demandé un dédommagement de 500 euros par personne à Facebook. Avez-vous eu peur que les gens qui se joignent à la plainte ne viennent que pour l’argent ?
Ces 500 euros sont symboliques. Ils servent à montrer qu’il y a bien un dommage, mais que nous ne voulons pas une plainte avec des montants de réparation fous.
Nous ne savons pas si les gens viennent pour cela ou non. Nous ne pouvons pas nous mettre à leur place. Les gens nous disent qu’ils vont tout reverser à la cause. Le plus souvent, ils nous disent : « Enfin, quelqu’un fait quelque chose ! » Je n’ai pas l’impression que l’argent soit le moteur de tous ces soutiens.
Y a-t-il un risque pour ces gens si vous veniez à perdre le procès ?
Le pire qui pourrait arriver, c’est de perdre et donc de devoir payer toutes les indemnités légales. Mais nous nous sommes arrangés avec Roland ProzessFinanz, un financier juridique qui prendrait alors en charge ces frais.
En échange si l’on gagne, ils prendront une partie (20 % après remboursement des frais) des indemnités.
Pourquoi attaquer la filiale irlandaise de Facebook et non le siège de l’entreprise, aux Etats-Unis ?
Facebook Irlande est responsable de l’Europe. En fait, tous les utilisateurs de Facebook, à part ceux présents aux Etats-Unis et au Canada ont un contrat avec Facebook Irlande. Comme je suis Autrichien, j’ai déposé la plainte dans mon pays.
« L’Irlande n’a pas vraiment envie de faire respecter la loi »
Ce n’est pas la première fois que vous vous attaquez à Facebook.
En 2011, nous n’avions pas attaqué Facebook en justice. Nous nous étions plaints auprès de la commission de protection des données en Irlande. Il est possible d’aller voir les autorités et de leur demander si elles peuvent faire quelque chose. Mais si elles n’ont pas envie de faire quoi que ce soit ou si cela prend trop de temps, ou devient trop compliqué, on peut aussi attaquer en justice.
Nous sommes donc allés voir les autorités irlandaises. Elles n’avaient pas vraiment envie de faire respecter la loi. Il y avait donc ensuite cette possibilité d’aller devant la justice.
Et attaquer Facebook était-il plus simple en Autriche qu’en Irlande ?
Les lois sont plus ou moins les mêmes dans les deux pays. L’Autriche est peut-être un peu plus stricte, mais la différence n’est pas flagrante. La principale différence, c’est que l’Irlande ne fait pas respecter la loi.
Si vous ne vous garez pas au bon endroit, vous êtes soumis à une contravention. Mais si vous utilisez les données de millions de personnes à des fins qui ne sont pas prévues par la loi, il ne se passe rien, à part un avertissement. Vous recevez une lettre de la commission de protection des données qui vous dit que vous n’avez pas intérêt à recommencer.
Combien de personnes se sont associées à cette plainte ?
Vingt-cinq mille ; nous avons choisi de nous arrêter là. Ce chiffre nous paraît raisonnable et possible à gérer administrativement. Mais ceux qui le souhaitent peuvent toujours s’ajouter en tant que partie intéressée, et nous verrons ensuite si nous parvenons à les intégrer aux vingt-cinq mille premiers.
Est-ce une « class action » contre Facebook ?
C’est la version autrichienne d’une class action. Nous n’avons pas de véritable class action en Autriche. Mais nous avons des sessions qui font que cela revient quasiment au même. Les gens peuvent donc assigner leurs demandes à une personne qui ensuite attaque la compagnie au nom de toutes ces personnes.
J’aurais pu attaquer tout seul, mais Facebook aurait juste eu à corriger mes données. Si nous sommes suffisamment nombreux, nous pourrons obtenir des changements qui bénéficient à tout le monde.
Facebook pourrait vous dire : « Vous avez accepté nos conditions et nos services. Personne ne vous oblige à utiliser Facebook, et si vous n’aimez pas la façon dont nous gérons tout cela, vous pouvez partir. »
C’est l’une de leurs positions, en effet. Le problème, c’est que ce n’est plus que Facebook qui agit ainsi mais tout l’industrie technologique. Si vous voulez utiliser des produits Google, Apple ou commander sur Amazon, vous devez accepter leurs conditions d’utilisation avec tout le temps les mêmes termes.
Et donc soit on les accepte et on participe à ce Nouvel Age, soit on revient en arrière. Ces termes ne sont cependant pas valides selon la législation européenne. On pourrait mettre dans ces conditions d’utilisation que l’on vend son âme à l’autre partie, cela n’aurait pas de valeur.
L’une des principales incompréhensions, c’est que nous ne sommes pas au Far West. On ne peut pas mettre n’importe quoi dans les termes. Même les gens qui travaillent pour Facebook ne savent ce qu’il y a dedans exactement. Nous nous sommes rencontrés pendant sept heures, il y a deux ans, et quand nous leur demandions des choses comme : « Où avez-vous obtenu l’accord pour que d’autres personnes mettent en ligne vos informations personnelles ? », leur réponse était : « On ne sait pas. »
Mais comme vous le dites, Facebook n’est pas le seul à agir ainsi. Alors pourquoi s’attaquer à Facebook et pas à Google, à Amazon ou à Apple ?
Nous avons commencé avec Facebook. J’ai étudié le sujet, donc je sais de quoi je parle. Je suis sûr à cent pour cent de ce que je dis. Ce n’est pas forcément le cas avec d’autres entreprises. Ce ne serait pas vraiment logique de nous attaquer à une autre société si nous voulons nous servir de cela comme d’un exemple par la suite.
Avec l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne sur Google et le « droit à l’oubli », ce seraient des signaux envoyés à l’industrie. J’étais dans la Silicon Valley en mai, quand la Cour a rendu son jugement, et les gens se disaient : « Les Européens prennent vraiment leurs lois au sérieux. » Vous n’avez pas forcément besoin d’attaquer tout le monde. Il faut juste qu’ils sachent qu’on ne peut pas transgresser la loi en Europe et s’en sortir impunément.
« Personne ne fait rien au niveau légal. C’est ça le vrai problème »
Et si vous perdez ?
J’aurais essayé. Des journalistes parlent de ce sujet, des gens s’en plaignent… mais personne ne fait rien au niveau légal. Et c’est ça le vrai problème.
- Source Le Monde