PRÉVENTION. Aucun règlement ne condamne l’homophobie en milieu scolaire. Pour protéger les victimes de dis crimination liée à l’orientation sexuelle, des acteurs de l’Instruction publique organisent des journées de réflexion.
«Dégage sale pédé.» Choquant? A l’école, ce genre d’insultes est pourtant monnaie courante. Dans les règlements des établissements scolaires, l’homophobie ne figure pas systématiquement dans la liste des discriminations à sanctionner, contrairement au racisme ou au sexisme.
Pas de protection officielle donc pour beaucoup de jeunes qui sont victimes de rejet à cause de leur orientation sexuelle. Pourtant, au moins un élève par classe se définira plus tard comme homosexuel, et plus de la moitié se questionne sur ses attirances pendant l’adolescence, selon les spécialistes. On connaît les conséquences des persécutions et du rejet à l’école: dépression, phobie sociale, décrochage scolaire ou encore suicide.
Raphaël Bize, médecin et chef de clinique au CHUV, souligne que «le risque de tentative de suicide est 4 à 7 fois plus élevé chez les jeunes homosexuel(le)s». Et de préciser que c’est le rejet social que subit l’adolescent qui cause l’état dépressif ou suicidaire, et non l’homosexualité.
Passage obligé. L’homophobie peut d’ailleurs aussi viser des hétérosexuels ou des personnes qui se cherchent. «Ce qui était difficile, c’est que je ne savais pas où j’en étais moi-même, et les autres étaient déjà en train de me traiter de pédé», raconte Laurent Progin, étudiant à la Haute Ecole d’art de Bâle, en revenant sur ses années au cycle d’orientation.
«J’ai eu une période dépressive, j’ai perdu 10 kilos, j’ai pensé au suicide», ajoute-t-il. S’il s’est épanoui par la suite, c’est grâce à une famille compréhensive et à des amis ouverts d’esprit. Mais l’école joue un rôle essentiel dans le bien-être social des élèves qui se cherchent, car elle est un passage obligé pour tous les jeunes. C’est pour chercher des moyens de combattre l’homophobie en milieu scolaire que se regroupent bientôt des acteurs importants de l’instruction publique (journées PREOS, lire encadré).
Stéphane André, enseignant et organisateur de ces journées de réflexion explique que, «plus que d’autres discriminations, l’homophobie isole les jeunes car ils n’ont souvent personne dans la famille à qui parler de leur questionnement ou de leur vécu, contrairement à ceux qui partagent l’appartenance ethnique ou culturelle avec leurs parents, par exemple».
Dans le plan d’étude romand, aucune mention de l’orientation sexuelle ne figure au programme. Lors des cours d’éducation sexuelle, beaucoup d’anima teurs n’abordent le sujet que si un élève pose une question. «Si l’on constate une amélioration, tout dépend encore de la manière dont on parle du sujet», nuance Stéphane André.
En classe, c’est aussi sur l’initiative personnelle de l’enseignant que le thème est abordé, au risque de se heurter à des oppositions de parents ou de partis politiques. En septembre dernier, un manuel scolaire de biologie qui mentionnait l’homosexualité et l’identité de genre a créé la polémique en France. En Suisse, les tentatives sont encore très timides. Un concours d’affiches contre l’homophobie a vu le jour l’année dernière grâce à Elisabeth Thorens-Gaud, l’attachée aux questions d’homophobie et de diversité pour Genève et Vaud.
Fort tabou. Dans ses cours, Stéphane André n’hésite pas à ouvrir la discussion quand une remarque homophobe fuse. «Lorsque l’on confronte un élève à ses préjugés et aux stéréotypes, il se rend souvent compte d’où ceuxci viennent vraiment, mais on lui permet aussi de verbaliser son malaise, ce qui est un premier pas vers plus de communication et de compréhension.»
Sans vouloir se substituer aux animateurs de santé sexuelle, certains professeurs abordent tout de même la problématique sous un angle sociologique. A l’instar d’Ariane Rappaz, enseignante à l’école secondaire: «Il est important de mentionner différents modèles de couples, quand on parle de relations amoureuses en classe.» Ainsi, elle n’hésite pas à poser la question de l’adoption par des couples homosexuels comme thème de débat dans ses cours de citoyenneté.
«La plupart des discriminations violentes ont lieu à l’insu des enseignants, explique Ariane Rappaz. Et comme l’homosexualité est taboue, peu d’élèves ont le courage de les dénoncer.» Cette dernière souhaiterait que les professeurs soient mieux formés à cette thématique, car «ils ne savent pas toujours comment aborder ce sujet, qui peut mettre mal à l’aise plus d’une personne». Un malaise que les journées PREOS vont tenter de dissiper.
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Adrien Vitale, 14 ans, Corcelles-près-Payerne (VD)
"J’ai fait mon coming out à 12 ans"
«J’ai fait mon coming out en 6e année primaire et ça s’est mal passé.» Adrien est précoce en la matière. Derrière un look androgyne savamment maîtrisé, l’adolescent s’exprime d’une voix douce, presque timide. Conscient de son attirance pour les garçons depuis toujours («je les trouvais jolis»), c’est à 12 ans que l’adolescent décide d’en faire part à quelques camarades de classe qui ont tôt fait de répandre l’information. «A l’école, on me traitait de “petit pédé”, on s’écartait quand je passais, j’étais tout le temps seul», raconte-t-il, son regard sous des lentilles couleur de feu à demi caché derrière une longue frange.
Il reste stupéfait de l’absence de compassion de ses camarades lorsqu’il perd sa grand-mère: «Ça aurait été n’importe qui d’autre, ils m’auraient au moins laissé tranquille.» Lors des cours d’éducation sexuelle à l’école, aucune mention de l’homosexualité, ce qui écœure Adrien: «Quand on parle de comment sont faits les bébés, on pourrait quand même dire que l’homosexualité existe et que c’est normal, ça aurait aidé qu’un adulte le dise pour changer les esprits.»
Moqueries, insultes, racket, soutien inexistant de la part de ses copains de classes ou de sa maîtresse («elle critiquait mon look à haute voix, ça faisait rire les autres»), le préadolescent est tenté par le suicide et exprime son mal-être avec une lame de rasoir, sur ses avant-bras. Il remonte la pente grâce à ses parents qui se montrent très compréhensifs et les nouveaux amis qu’il se fait l’année d’après au cycle d’orientation et grâce à Facebook.
«Mes deux meilleures amies sont bis, mais mon meilleur ami est hétéro», précise Adrien qui a actuellement un petit copain. Maintenant, il prend les remarques homophobes avec plus de distance: «C’est eux qui ont l’air de débiles à crier pédé dans la rue, pas moi», relativise l’adolescent aux joues encore imberbes. Il rêve d’intégrer plus tard une école d’esthétique à Rome ou de travailler dans la mode, comme mannequin ou comme styliste. Son conseil pour les jeunes homosexuels: «Entourez-vous d’amis sur lesquels vous pouvez compter avant de faire un coming out».
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Journées de réflexion à Lausanne
«PRÉVENIR LE REJET BASÉ SUR L’ORIENTATION SEXUELLE» OU L’IDENTITÉ DE GENRE CHEZ LES JEUNES.
Voilà le programme des journées PREOS qui ont lieu les 11 et 12 novembre au Palais de Beaulieu à Lausanne.
Des professionnels en contact avec les jeunes (enseignement, santé, social, sport), des représentants politiques (les conseillers d’Etat Elisabeth Baume-Schneider, Charles Beer, Philippe Leuba, Anne-Catherine Lyon, Bernard Pulver, ainsi que les députées au Grand Conseil vaudois Anne Papilloud et Gloria Capt, le maire de Genève Pierre Maudet et le conseiller municipal lausannois Oscar Tosato) et des associations LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres) y participeront.
Les buts de ces journées de réflexion sont de sensibiliser les professionnels sur la thématique de l’homosexualité et de mettre en place un plan d’action pour lutter efficacement contre l’homophobie à l’école.
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Jennifer Guilbert, 17 ans, Morges (VD)
"Le monde lesbien est très volage"
«Vous me reconnaîtrez facilement, j’ai un look typique, les cheveux en piques», nous lance Jennifer Guilbert au téléphone avant le rendezvous. La jeune femme revendique son homosexualité haut et fort: «Oui j’aime les femmes, ça vous pose un problème?», n’hésite-t-elle pas à lancer à des jeunes qui cherchent le conflit.
Entre les concerts de métal, les sorties avec ses amis rencontrés à des associations gay et un apprentissage d’assistante vétérinaire, Jennifer croque la vie et papillonne d’une fille à l’autre. «Le monde lesbien est très volage», confie Jennifer avec un sourire mutin, évoquant la série américaine L World où les héroïnes enchaînent les conquêtes féminines. Quand on lui demande pourquoi «les homos restent entre eux», elle répond que «c’est pour être avec des gens qui comprennent ce qu’on vit, et avec qui on est sûr qu’il n’y aura pas de problème».
Car des problèmes, Jennifer en a eu, à 13 ans, quand elle confie à une amie proche qu’elle a des sentiments pour une fille de l’école. «Le lendemain, les trois cycles d’orientation du coin étaient au courant.» C’est le début de la pire période de sa vie. «Sale lesbienne! Attention les filles, y a Jennifer qui arrive, elle va vous sauter dessus!
J’en ai entendu des tonnes», énumère Jennifer qui se souvient avoir passé des récréations en pleurs aux toilettes. «J’ai d’abord démenti, puis atténué en me disant bi, ce qui est mieux accepté à l’école, j’ai essayé de me changer», confesse la jeune femme en triturant la chaîne qui orne son cou. Automutilations et envies de suicide sont venues ensuite. Jennifer marque une pause, des larmes dans les yeux. «J’ai eu la chance d’avoir des parents très tolérants qui m’ont toujours soutenue, ce n’est vraiment pas le cas de tous les jeunes.»
L’école fait-elle assez pour protéger les élèves de l’homophobie? Jennifer rit jaune: «Une prof qui était témoin des insultes en classe m’avait dit qu’elle allait agir, mais elle a simplement déclaré “les homosexuels existent et il faut les respecter”, ce qui n’a rien changé.» Jennifer aurait aimé que les profs «ouvrent la discussion en classe». Même si elle dit s’assumer pleinement, la jeune femme a encore de la peine à utiliser le mot lesbienne, «il est chargé de mauvais souvenirs».
- Auteur : Marianne Grosjean
- Source : Hebdo suisse