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 d’ADHEOS

Ce musulman gay ouvre une salle de prières, défend le mariage pour tous et rêve d’un islam qui accepterait le blasphème.
 
Il traverse la vie en brandissant quatre pancartes pas faciles à porter : homosexuel, musulman, arabe et séropositif. Il appelle ça, se trouver «à l’intersection de différentes représentations sociales dont on dit qu’elles ne devraient pas se rencontrer». De cette identité multiple, il fait un combat pour «briser un tabou» : «Les musulmans homosexuels ne doivent pas se sentir honteux. L’homosexualité n’est condamnée nulle part, ni dans le Coran ni dans la sunna.Si le prophète Mahomet était vivant, il marierait des couples d’homosexuels.»
 
Ludovic-Mohamed Zahed, 35 ans, annonce qu’il lance aujourd’hui vendredi 30 novembre une salle de prières «égalitaire et inclusive», ouverte à tout musulman, y compris homo. Vingt personnes sont inscrites, ça se passera dans un dojo zen prêté par un ami, près de Paris. Il ne veut pas dire où. «Ce n’est pas une mosquée gay. Juste des gens qui se réunissent pour prier. La plupart sont hétéros.» Il est revenu à sa foi après avoir eu une panne de Coran pendant dix ans. Parfois lassé des chicayas propres à sa religion, il rigole : «Tout ça pour se frapper la tête par terre cinq fois par jour…»
 
Fuyant l’étiquette «homosexuel rebeu», il s’apprête à créer une association de «musulmans progressistes» autour de dix principes : tolérance, laïcité, égalité des droits des femmes et LGBT (lesbiennes, gays, bisexuel-les, transgenres)… Il rêve d’un islam «apaisé, réformé, inclusif», qui accepte le blasphème, car «la pensée critique est essentielle pour le développement spirituel» et respecte le pluralisme, car «la religion n’est pas la source exclusive de la vérité». Il peste contre le patriarcat, le machisme, l’invisibilité des femmes : «Ce n’est pas l’islam qui justifie ce genre de discriminations.»Persuadé que la «seule façon de changer le système, c’est de l’intérieur», il ne veut pas du prosélytisme : «On n’est pas là pour convaincre qui que ce soit. On n’essaye pas de déconstruire un dogmatisme pour le remplacer par un autre. L’islam n’appartient à personne.»
 
Depuis le 12 août 2011, il a pour mari un Sud-Africain de 29 ans, mais l’alliance nouée au Cap n’est pas légale ici. En attendant le mariage pour tous promis par Hollande pour qui il a voté, Zahed comptait se pacser. Mais la France exige un certificat de célibat du mari. Absurde : il faudrait que les époux Zahed divorcent en Afrique du Sud. «Comme vous pouvez le constater, a argumenté l’administration, la France ne procède pas à une discrimination fondée sur les orientations sexuelles des partenaires.» Effectivement, la discrimination n’est basée que sur une connerie politico-administrative.
 
Il est Mohamed sur son passeport algérien, Ludovic sur ses papiers français obtenus à 20 ans et Lofti (son deuxième prénom) pour ses parents. Né à Alger, grandi à Paris, il s’est demandé à 8 ans s’il était fille ou garçon. Son entourage l’enjoint de se masculiniser, et selon son récit (1), son frère le tabasse : «Ça t’apprendra à être un homme.» «Femmelette, gonzesse !» lui aurait dit son père, homme d’affaires dans le commerce international. A 12 ans, à Alger, il rencontre Djibril, de neuf ans plus âgé, qui devient son ami. Et pour qui Zahed ressent une attirance physique. «Comme j’étais homophobe, ça a été un choc. Djibril m’a dit : "C’est normal, ça va te passer, faut se marier."» Ça ne passe pas, et Zahed reste seul avec ses questions. Déboussolé, il se lance dans une «fuite en avant dans le salafisme» pendant cinq ans. Puis tente de rejeter l’islam «comme on se coupe un bras».
 
Sur le plan personnel, ça tangue aussi. A 19 ans, à Marseille, il sort avec un type de Vitrolles, «Pollux», qui vote Front national et lui dit : «OK, t’es arabe, mais toi, c’est pas pareil.» A l’heure du test effectué quand ils rompent, il apprend qu’ils sont séropos. Nouveau choc. Il se perd dans des fêtes et des relations éphémères. A 21 ans, il réunit sa famille (dont son frère plus âgé de cinq ans et sa sœur cadette de cinq ans) pour son coming out. Sa mère, Farida, esthéticienne, raconte : «Ça a été un choc. Je me suis fait suivre par un psy pendant quatre ans. En fait, il devait nous annoncer en même temps qu’il était séropo. Mais ça s’est bloqué.»C’est en rangeant sa chambre qu’elle tombe sur des médicaments : «J’ai appelé une pharmacienne. Elle m’a dit que c’était pour le virus.» Farida a eu beaucoup de mal avec l’homosexualité. «Ça a été difficile pour moi et difficile pour lui d’être rejeté par sa mère. Mais maintenant, je suis fière de mon fils.» Qui confirme : «Ma mère a pleuré pendant deux mois. Mon père, lui, m’a surpris. Il l’a plutôt accepté même s’il m’a dit : "Tu vas être rejeté, mais tu ne viendras pas pleurer sur mon épaule." Au début, il pensait que c’était une maladie puis une passade. Il se disait "un jour, il rencontrera la bonne personne et elle le fera devenir hétéro."»
 
Après des études de psycho, Zahed a travaillé dans les ressources humaines. Soins du corps, beauté, relaxation. «J’ai adoré. Un contact humain génial.» Puis, il crée une association de jeunes séropos. «Je mélangeais toutes les problématiques, je pensais que me retrouver avec des séropositifs allait me permettre de mieux vivre la plus forte des discriminations : le "sérotriage", qui consiste à s’entendre dire "je ne couche pas avec toi parce que tu es séropo."» Il s’engage ensuite dans une autre association, les Enfants du sida. «Fallait que j’aille à l’autre bout du monde pour me dire pour la première fois "tu es quelqu’un de bien, tu peux aider les autres, tu n’es pas un diable pervers."»
 
Peu à peu, l’écorché vif s’accepte, médite, et revient à l’islam par le bouddhisme. Après être passé à l’association chrétienne et homo David et Jonathan, il fonde, en janvier 2010, HM2F, Homosexuel (les) musulman(es) de France. Mais ce collectif reste aux portes du mouvement homo. En octobre 2011, HM2F est recalée de l’Inter-LGBT, dont David et Jonathan et l’association juive Beit Haverim sont pourtant membres. En cause : des statuts jugés trop flous, le caractère confessionnel de l’association et l’islam. Ceci illustre le fait que, comme l’explique Louis-Georges Tin, initiateur de la Journée mondiale contre l’homophobie, «beaucoup se sentent discriminés en tant qu’homos chez les musulmans, mais aussi comme musulmans chez les homos, ce qui est moins connu».
 
Aujourd’hui, Zahed poursuit un doctorat sur «les minorités sexuelles à l’avant-garde des mutations du rapport à l’islam de France» et vit de son «bas de laine».Il se voit comme un pionnier. Son père , Lyes, 65 ans, retraité, a beaucoup évolué et le soutient : «Mon fils défend ce qu’il pense être juste. Il n’a aucune récompense. Il vit très chichement. On l’aide un peu. Il se bat pour amener un peu de tolérance. J’ai juste peur pour lui avec tout l’obscurantisme, ceux qui disent qu’il faut tuer les homosexuels… Des fous, il y en a partout.» Photo Bruno Charoy
 
(1) «Le Coran et la Chair», éditions Max Milo, mars 2012.
En 6 dates
 
1977 Naît à Alger. 1980 Arrive en France. 1992 Interne en Suisse. 1994 Passe un an à Alger. 1997 Arrive à Marseille. 2010 Crée HM2F, l’association d’homosexuels musulmans, qui revendique aujourd’hui 260 membres.