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 d’ADHEOS

Après un défilé de la Manif pour tous, le gouvernement a décidé de reporter la loi famille. Au même moment, un rapport a adopté au Parlement européen pour lutter contre l’homophobie. Non contraignant, il a pourtant été rejeté par tous les eurodéputés UMP. Un réflexe électoraliste, selon Bruno Selun, secrétaire de l’Intergroupe pour les droits LGBT au Parlement européen.
 
Cette semaine, la cathosphère européenne était plus fébrile qu’une veille de gay pride. En cause, le "rapport Lunacek" au Parlement européen, proposant une feuille de route non-contraignante de l’UE contre l’homophobie.  
Préparé par l’eurodéputé Ulrike Lunacek (Autriche/Verts) [1], ce rapport demande une politique européenne contre les discriminations homophobes et transphobes dans les compétences de l’Union ; c’est-à-dire l’emploi, certains domaines de la santé, les politiques éducatives européennes (ce qui exclut l’école), l’asile, la politique étrangère, etc.  
 
En décembre dernier, j’expliquais déjà que la Manif pour tous s’étranglait d’un rapport qu’elle n’avait – et n’a toujours pas – compris. Récit du vote.  
 
Tous les groupes soutiennent d’abord le rapport  
 
Dès octobre, la rapporteur invite tous les groupes politiques qui le souhaitent à contribuer au texte. Les groupes PPE (auquel appartiennent les députés UMP et UDI), S&D (PS), ADLE (MoDem) et GUE (Front de gauche) commentent un premier brouillon.Chaque paragraphe est pesé, discuté et rédigé par les cinq grands groupes politiques.  
 
Le ballet politique dure deux mois et le consensus est présenté au public lors des réunions de la Commission des libertés civiles du 5 novembre et du 5 décembre (liens vidéos). Chacun des grands groupes, dont le PPE, soutient le rapport qu’ils disent équilibré et raisonnable ; même l’ECR (eurosceptiques) y trouve peu à redire.  
 
Le rapport passe en commission le 17 décembre. 42 amendements co-écrits (et pour plus de la moitié, co-signés) par les cinq grands groupes PPE, S&D, ADLE, Verts et GUE sont adoptés, et le rapport est soutenu par une écrasante majorité (40 pour, 2 contre, 6 abstentions). Dans un tweet deux jours plus tard, la coordinatrice du PPE Véronique Mathieu (UMP) affirme que le rapport est "acceptable dans son ensemble". Dès lors, les réseaux conservateurs commencent leur travail de sape.
 
Désinformation orchestrée  
 
Après le vote en commission, les billets de blog fleurissent sur les sites catholiques et conservateurs : Nouveau féminisme européen (anciens députés militant contre le droit des femmes à avorter, notez l’hypocrisie du nom) ; l’anti-avortement et anti-LGBT Institut (américain) catholique pour la famille et les droits de l’homme ; la Fédération des Associations Familiales Catholiques en Europe ; mais aussi les italiens Zenit ; les polonais Polonia Christiana ; etc.  
 
L’activisme en ligne bat son plein, et le site américain de mobilisation catholique CitizenGo ouvre une pétition multilingue, dont la Manif pour tous porte la version française.  
 
Les députés sont inondés d’e-mails automatiques, technique plus agaçante qu’efficace : jusqu’à 41.000 pour la rapporteur. Pour répondre à la désinformation, elle écrit à tous les députés pour rétablir la lumière sur les mensonges des opposants, notamment par 10 questions-réponses.  
 
Un nouveau texte en forme de coquille vide  
 
La semaine précédant le vote en plénière, la rapporteur rencontre tous les groupes pour demander si d’autres ajustements sont à faire.  
 
Le PPE (auquel appartiennent les députés UMP et UDI donc) exige quatre modifications :  
 
– le rajout de "non-contraignant" à deux endroits ;
 
– une formulation plus générale au sujet de la liberté de mouvement des couples homosexuels ;
 
– le rajout d’un dernier paragraphe stipulant "qu’il convient de respecter la liberté d’expression et la libre manifestation des croyances", à savoir la liberté de critiquer les demandes des personnes LGBT.  
 
Tous les groupes acceptent et le compromis satisfait le PPE. Les pétitions, e-mails et le harcèlement d’élus sur Twitter continuent.  
 
La veille du vote, "Le Figaro" explique faussement que le rapport aurait envisagé "plus de deux parents pour les enfants" et la PMA, ce qui n’a jamais été le cas. (Ces propositions provenaient d’une autre commission parlementaire, et furent rejetées par la rapporteur.) "Le Figaro" corrigea son article (voir en bas de page), mais seulement le surlendemain du vote.  
 
Le 4 février, jour du vote, les députés ont le choix entre la motion 2 contenant le rapport Lunacek et ses quatre amendements, soutenue par les groupes PPE (y appartiennent UMP et UDI), Socialistes & Démocrates (PS), ADLE (MoDem), Verts (EELV) et GUE (Front de gauche). Et d’autre part la motion 1, proposée par Philippe de Villiers et deux extrémistes italiens de la Lega Nord (ceux qui ont comparé à un orang-outang leur Ministre de l’intégration Cécile Kyenge, noire), appelant les acteurs concernés "à œuvrer, dans le cadre de leurs compétences respectives, en faveur de la pleine jouissance de l’ensemble des droits fondamentaux pour tous les citoyens".  
 
C’est une coquille vide : aucune mention de l’homophobie, d’actions concrètes, ou de propositions suivies d’effets.
  
Les pétitions mal informées se multiplient, la pression sur Twitter aussi. Les Français du PPE y cède le matin même, et prend la décision de voter contre le rapport Lunacek, pourtant modifié selon ses désirs. Elle soutiendra (avec le FN, le MPF et l’extrême-droite européenne de l’EFD) la motion de Philippe de Villiers. Celle-ci fut rejetée par 430 voix contre 149, les deux-tiers des parlementaires reconnaissant un subterfuge pour enterrer le rapport. Le rapport modifié reçoit, quant à lui, une large majorité de 394 voix pour et 176 contre.  
 
Les députés UMP rejettent le rapport pour ce qu’il ne disait pas  
Deux députés UDI (Dominique Riquet et Sophie Auconie) ainsi que tous les UMP ayant pris part au vote (Rachida Dati, Brice Hortefeux, Alain Lamassoure… sauf Arnaud Danjean, qui s’est abstenu) ont donc rejeté le rapport avec les droites polonaise, roumaine, allemande et autrichienne. Les droites nordique, du Benelux, grecque, portugaise, et même espagnole (la même qui propose d’interdire l’avortement) ont quant à elles soutenu le texte, comme tous les français du PS, d’EELV et du Front de gauche, ainsi que les UDI Michèle Striffler et Jean-Marie Cavada.  
 
Expliquant leur rejet dans un communiqué, les députés UMP et UDI expliquent qu’ils ont refusé des points… qu’ils avaient eux-mêmes négocié la semaine précédente. Ils ont cru que le rapport imposerait "le mariage homosexuel" à tous les pays européens, alors qu’il demandait simplement que les effets de mariages existants, légaux, soient reconnus. Les députés ont expliqué refuser "la promotion de l’éducation sexuelle", qui ne figurait nulle part dans le rapport.  
 
Au final, les députés UMP et UDI ont pris leurs jambes à leur cou à la vue des intégristes de la Manif pour tous et de leurs faux arguments. Ils ont eu le réflexe de cette droite qui, depuis une dizaine d’années, pense plaire à son électorat en copiant ses voisins de droite. Ils n’ont pas encore compris que renier l’égalité n’obtient pas de votes républicains, et que les électeurs plus à droite préféreront toujours l’original à la copie.  
 
[1] Co-présidente de l’Intergroupe pour les droits LGBT au Parlement européen, Ulrike Lunacek est l’une des députés qui m’emploient. Les opinions exprimées ici le sont à titre personnel.