Si le mariage gay était une promesse de campagne de François Hollande, les résistances sont vives. Pour Evelyne Paradis, directrice exécutive de la région européenne de l’Association internationale lesbienne, gay, bisexuelle, trans et intersexuée (ILGA-Europe), qui se joint à d’autres associations, il faut pourtant que le gouvernement agisse sur le sujet.
À un mois du premier tour de l’élection présidentielle du printemps 2012, le candidat François Hollande, détaillant ses engagements dans une interview accordée au mensuel "Têtu", précisait sa promesse d’ouvrir le mariage républicain et l’accès à l’adoption aux couples de même sexe.
Interrogé sur le soutien qu’il apporterait, une fois élu, à l’ouverture de la procréation médicale assistée (PMA) aux couples de lesbiennes, il répondait alors, sur le ton de l’évidence : "oui, je l’ai dit. Aux conditions d’âge, bien sûr. Je suis très précis là-dessus. Il faut que ce soit un projet parental." Ces propos ont été maintes fois répétés dans les réponses apportées par le futur président de la République aux associations, dont l’Association des parents et futurs parents gays et lesbiens ou SOS Homophobie.
Une reconnaissance de la famille gay qui ne doit pas rester partielle
Nos organisations se félicitent de l’importance de l’évolution en cours. Il s’agit de la reconnaissance pour tous du droit de se marier, mais également d’un pas décisif vers la reconnaissance du droit de fonder une famille, sans discrimination sur la base de l’orientation sexuelle. Cependant, il existe plusieurs manières de fonder une famille, et il importe que la reconnaissance de ce droit ne reste pas partielle. Nos organisations soulignent que le président Hollande dispose, depuis les élections législatives de juin, d’une majorité parlementaire solide. Toutes les conditions sont ainsi réunies pour que ses engagements soient intégralement tenus.
À l’échelle de l’Europe, la France a contribué à montrer l’exemple de la reconnaissance en droit des conjugalités homosexuelles : en 1999, la création du Pacte civil de solidarité en faisait un des premiers pays européens à évoluer sur cette question, juste après les pays nordiques et du Benelux. Pourtant, la pleine reconnaissance de l’existence des couples et des familles des personnes LGBTI se fait pourtant attendre depuis une décennie. En 2012, la Belgique, le Danemark, l’Espagne, l’Islande, la Norvège, les Pays-Bas, le Portugal et la Suède, mais aussi l’Afrique du Sud et plusieurs pays américains permettent aux couples de même sexe de contracter mariage.
Plus encore : l’ensemble des pays européens concernés, à l’exception du Portugal, reconnaissent également aux couples de femmes l’accès à l’insémination artificielle, selon des modalités qui dépendent de leurs règles de bioéthique nationales. La Finlande et le Royaume-Uni, deux pays européens qui ne prévoient qu’un partenariat civil pour les couples de même sexe, autorisent cependant les femmes lesbiennes à recourir aux techniques de PMA. Il s’agit là d’une question d’égalité, du principe de non discrimination qui exige de ne pas priver certaines femmes de projet parental en raison de leur orientation sexuelle, et d’autres, leur conjointes, en raison de leur sexe.
"Bébés Thalys" ou de nombreuses situations ubuesques
Alors que les travaux de préparation du projet de loi sont bien engagés, les déclarations du Premier ministre Jean-Marc Ayrault, ce mercredi 10 octobre, semblent pour le moins retarder, sinon rendre hypothétique la mise en œuvre de la promesse présidentielle d’ouverture de la PMA.
La fidélité à cette promesse suppose de réformer, outre le Code civil, le Code de la santé publique. En effet, celui-ci, dans son Article L 2141-2, réserve aujourd’hui en droit l’accès à PMA aux couples hétérosexuels à la stérilité pathologique. Cette plus grande complexité juridique ne saurait justifier un recul qui empêcherait la France de s’aligner sur ses voisins les plus avancés.
Les conséquences de cette situation sont connues. Malgré une situation de discrimination caractérisée en France, que le gouvernement et le Parlement français ont une occasion historique de corriger, la fermeture de la PMA aux couples lesbiens ne les dissuade pas de fonder les familles auxquelles ils aspirent. Par centaines, ces femmes, depuis des années, franchissent les frontières françaises pour accéder aux services proposés le plus légalement du monde par les cliniques et hôpitaux belges, britanniques, espagnols ou néerlandais.
Mais ce phénomène a un coût pour les futures mères, qui subissent la fatigue des voyages et doivent débourser des sommes parfois importantes. Il a aussi d’autres conséquences ubuesques : dans la capitale belge par exemple, ce phénomène dit des "bébés Thalys" a par exemple forcé l’hôpital Erasme et sa Clinique de la fertilité, depuis déjà une décennie, à établir une limitation du nombre des femmes françaises traitées, celles-ci étant en passe de devenir majoritaires parmi les patientes.
Garantir la sécurité des mères lesbiennes
Le gouvernement s’est engagé à ce que les familles homoparentales soient enfin reconnues et protégées en droit. La France a l’occasion, en ouvrant l’accès à la PMA aux couples lesbiens, de mettre fin à une discrimination historique qui frappe les femmes en raison de leur sexe et de leur orientation sexuelle, et de cesser d’obliger certaines de ses citoyennes à recourir à l’aide médicale proposée par les pays voisins.
Elle a la possibilité de garantir la sécurité juridique des mères lesbiennes mariées et de leurs enfants, en s’inspirant de la loi espagnole sur les techniques de reproduction assistées, amendée en 2007, qui donne en cas de PMA la possibilité, "si la femme est mariée […] avec une autre femme, [à] cette dernière […] [de] manifester au service de l’état civil du domicile conjugal qu’elle consent à ce qu’à la naissance de l’enfant de sa conjointe, soit déterminée en sa faveur la filiation du nouveau né" (Article 7, paragraphe 3).
Elle peut étendre cette logique aux mères lesbiennes en concubinage ou liées par un PACS, en suivant l’exemple de l’Article 235-13 du Code civil catalan. Seraient ainsi évitées de longues procédures d’adoption durant lesquelles le lien entre les enfants et une des femmes qui les élève est nié, avec toutes les conséquences négatives qui en résultent dans l’organisation de la vie quotidienne et en cas d’accident de la vie.
La France est même en position d’innover et de devenir un leader de l’égalité des droits, en proposant une réforme plus globale de la présomption de parentalité, autour d’une institution matrimoniale et d’un droit de la famille totalement républicain, universaliste et non discriminatoire. La France doit aller au bout de sa démarche !
- Signataires :
Evelyne Paradis, Directrice exécutive de la région européenne de l’Association internationale lesbienne, gay, bisexuelle, trans et intersexuée (ILGA-Europe)
Cécile Greboval, Secrétaire générale du Lobby européen des femmes (EWL)
Katy Pallàs, Présidente, de NELFA, le Réseau européen des associations de familles LGBT
Juha Jämsä, Directeur exécutif de Sateenkaariperheet (Familles Arc-en-Ciel) Finlande
Ulrika Westerlund, Présidente de l’Association suédoise LGBT (RFSL)
Koen van Dijk, Directeur exécutif de COC Netherlands, Pays-Bas
Gudmundur Helgason, Président de Samtokin ’78, l’organisation LGBT nationale d’Islande
Bård Nylund, Président de LLH, Organisation nationale LGBT, Norvège
Vivi Jelstrup, Présidente de LGBT Danmark
Yves Aerts, coordinateur de Çavaria, la fédération des associations LGBT flamandes de Belgique
Elisabet Vendrell, Présidente de FLG, Association des familles gaies et lesbiennes, Catalogne
Boti Garcia, Président de la Fédération nationale LGBT, Espagne
- Source NOUVEL OBS