Saisi par Adheos, une association LGBT (lesbiennes, gays, bis, trans), le Défenseur des droits va présenter à la cour de cassation des observations considérant «discriminatoire» l’opposition du parquet au mariage d’un couple gay franco-marocain. Au cœur de ce dossier figure une circulaire, publiée après la promulgation de la loi sur le mariage pour tous, précisant que les ressortissants de 11 pays, dont le Maroc, ne peuvent pas épouser un Français de même sexe. Entretien avec Frédéric Hay, président d’Adheos.
JOL Press : Pourquoi certains couples binationaux sont-ils privés de mariage homosexuel ?
Frédéric Hay : La circulaire du 29 mai 2013, qui précise les conditions d’application de la loi sur le mariage pour tous, indique que pour certains couples binationaux, le droit du pays d’origine prime sur le droit français – même si l’union est contractée sur notre territoire.
Onze pays sont concernés par ces conventions bilatérales, signées pour la plupart dans les années 1960 : l’Algérie, le Maroc, la Tunisie, la Bosnie-Herzégovine, le Kosovo, le Monténégro, la Pologne, la Serbie, la Slovénie, le Cambodge et le Laos. Le mariage homo n’étant pas autorisé dans ces pays, un Français ne peut pas épouser une personne de même sexe ressortissant d’un de ces Etats. Cette circulaire, établie par le ministère de la Justice, nous a fait l’effet d’une douche froide.
JOL Press : Qu’avez-vous fait à la découverte de cette circulaire ?
Frédéric Hay : Une fois la surprise passée, Adheos a demandé des comptes. Nous nous sommes inscrits en faux (soutenir en justice qu’une pièce que la partie adverse produit est fausse, ndlr) et nous avons saisi le Défenseur des droits en juillet 2013. Nous avons argué qu’il y avait une double discrimination, liée à la nationalité et à l’orientation sexuelle.
Le cas de Dominique et Mohamed – le premier soumis à la justice – mobilise depuis plusieurs mois Adheos et d’autres associations de défense des homosexuels. L’union de ce couple gay franco-marocain à Chambéry a été refusé par le parquet, puis autorisé en appel. Le parquet s’est pourvu en cassation. Comme le pourvoi n’est pas suspensif, ils ont pu se marier en novembre dernier. Mais une épée de Damoclès plane sur leur tête. Fin 2013, nous avons une nouvelle fois saisi le Défenseur des droits, conjointement avec le couple.
JOL Press : Où en est-on aujourd’hui ?
Frédéric Hay : L’analyse du Défenseur des droits rejoint celle développée par Adheos, comme le mentionne un courrier de la ministre de la Justice, Christiane Taubira, daté du 27 mars 2014. A savoir que ce refus est discriminatoire et contrevient notamment aux articles 8 – relatif au droit de chaque personne au respect de sa vie privée et familiale – et 12 – relatif au droit de se marier – de la convention européenne des droit de l’homme.
Avec le pourvoir du procureur à Chambéry, la cour de cassation va devoir déterminer quelle est la norme applicable : la convention bilatérale franco-marocaine d’août 1981 ou la loi sur le mariage pour tous de mai 2013. Par cette décision, attendue d’ici septembre, nous espérons pouvoir régler le cas de Dominique et Mohamed, mais aussi celui des 10 autres nationalités concernées. Pour cela, il faudrait que les attendus soient suffisamment large pour faire jurisprudence dans les 11 Etats.
Propos recueillis par Marie Slavicek pour JOL Press
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Frédéric Hay est président et fondateur d’Adheos, association d’Aide, de Défense Homosexuelle, pour l’Egalité des Orientations Sexuelles.