Libération a suivi toute la journée des militants d’une association gay et lesbienne, Ex Aequo, venus de Reims à la manifestation pour le mariage pour tous à Paris.
18 heures, fin de la manif. Ils sont fiers. Les militants rémois regagnent leur bus, les joues rougies par le froid mais avec de larges sourires. «On est super contents. C’était une très belle manif, bien militante. Beaucoup plus qu’à la Gay Pride, se félicite Laurence Weber, la présidente de l’association. Il n’y a pas du tout eu de débordement, ni rien. Et puis, on est bien resté groupés, tous ensemble.» Elle parle un peu vite: au moment de fermer les portes du bus, manque à l’appel les deux militantes communistes du premier rang, Bernadette et sa compagne. Une délégation part à leur recherche. Quant à Corinne, qui s’est «fait violence pour venir aujourd’hui», elle attend impatiemment les chiffres de la mobilisation. Selon la police, ils étaient 60 000, 150 000 selon les organisateurs.
15h30, place de la Bastille, à Paris. Les jambes commencent à être un peu lourdes. Le cortège de la grande manifestation en faveur du mariage pour tous n’a toujours pas démarré. Yoann, boa blanc autour du cou, poireaute depuis deux bonnes heures. «Remarque, c’est peut-être bon signe. On est tellement nombreux que ça n’avance pas…» Il est arrivé en bus vers midi avec une cinquantaine de membres de l’association de gay et lesbiennes Ex Aequo, basée à Reims. «Evidemment, c’est aberrant de devoir manifester pour défendre une telle cause. On enlève pas des acquis aux hétéros ou à quiconque. On demande juste l’égalité des droits.»
Salomé, elle, n’est qu’à moitié surprise. Elle s’attendait à devoir se battre. «Franchement, en France, pour les droits des homos, on est encore à l’âge de pierre, on est tellement en retard. Les mentalités ont du mal à évoluer quand même.» Lucile pense surtout qu’on pose la question à l’envers. «On n’est pas là à demander une loi en prévision de ce qui va se passer. Le constat est déjà là : les familles homoparentales existent déjà. C’est une réalité, le droit doit en tenir compte.»
Parmi les pancartes confectionnées hier dans les locaux de l’association reimoise: «Le divorce pour tous», «un enfant a besoin d’un pingouin et d’une pingouine», «Allez, François, ça fait pas mal». Parée pour l’averse avec son coupe-vent vert pétard repérable de loin, Laurence Weber, la présidente de l’association, s’énerve: «Le portable ne passe pas, on se croirait à la Gay Pride.»
Homophobie latente
Dans le cortège, entre deux blagues, tous parlent de cette homophobie latente, plus ou moins voilée, que l’on croyait enterrée et qui rejaillit avec ce débat sur le mariage pour tous. «A l’association, beaucoup s’en plaignent, raconte Florence. Ils s’engueulent avec leur famille, au boulot… En fait, tant qu’on reste l’homo du bout du couloir, sympa et qui fait pas d’histoire, ça va. Mais à partir du moment où on revendique des droits, là, ça devient différent.» Florence est prof de sport à la fac. «C’est un milieu plutôt ouvert mais ça n’empêche pas. Le mariage pour les homos, ça va encore mais dès qu’on parle d’enfants, de l’adoption, là, ça se ferme.» Elle est mère de deux enfants devenus grands. «J’ai été mariée à un homme pendant vingt-trois ans. Franchement, je ne pense pas que les choses soient plus difficiles pour les enfants d’homo. Bien sûr, ce n’est pas forcément évident à l’école, mais comme cela l’a été pour les enfants de divorcés il y a 20 ans. Il faut se battre.»
Aurélien, le boute-en-train du bus ce matin, fait partie du personnel administratif de la fac de droit de Reims. «L’autre soir, il y avait un pot au bureau. Manque de bol, j’ai fini la bouteille de champ, un collègue m’a dit : "Aurélien, un mariage dans l’année". Un autre a ajouté : "Oui, enfin, pour se marier il faut s’aimer". Sous-entendu : les homos ne savent pas aimer… » Il raconte encore cette «homophobie passive qui ressort» sur le mode «Vaut mieux que tu restes discret, fais pas d’histoire, va.» Lui ne veut «pas forcément se marier, ni forcément adopter d’ailleurs. Mais cette loi pourrait faire évoluer les mentalités et changer les automatismes de penser. Pour que dans vingt ans, un jeune ne soit pas en souffrance parce qu’il est gay. Cela fera baisser le taux de suicide chez les jeunes, c’est certain.»
Dans la foule, Abdallah, 27 ans, silencieuse, écarquille les yeux. C’est sa première manifestation. Mauritanienne, elle a fui son pays il y a dix mois. «Quand mes parents se sont rendu compte que j’étais lesbienne, ils m’ont mariée de force à un homme de 30 ans de plus que moi. J’ai tenu sept ans. Puis je me suis enfuie. Je n’avais pas d’autre choix. Dans mon pays, l’homosexualité est considérée comme un crime.» Elle est arrivée en bateau à Marseille le 2 mars, et tente depuis de se reconstruire à Reims.«Etre là aujourd’hui, vous n’imaginez pas. Je suis très émue de voir une telle solidarité. Et puis, aussi, de voir des gens comme moi.»
- Source LIBERATION