Certains écologistes s’opposent à la procréation médicalement assistée, à la gestation pour autrui, voire au mariage pour tous, au nom d’une pensée critique à l’égard de la technique.
Le 23 avril 2013, jour de l’adoption de la loi ouvrant le mariage et l’adoption aux couples de même sexe, les dix-huit députés écologistes ont tous voté en faveur du texte présenté par la Garde des Sceaux Christiane Taubira : c’est même le seul groupe parlementaire où la loi a recueilli l’unanimité des suffrages. Par ailleurs, certains des parlementaires écologistes (comme Sergio Coronado ou Esther Benbassa) ont été à la pointe du combat à l’Assemblée nationale et au Sénat en faveur de l’ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) aux lesbiennes ou de la simplification du changement d’état civil pour les trans.
Par son histoire et ses engagements actuels, Europe Écologie-Les Verts (EELV) est peut-être ainsi le parti politique français le plus en phase avec les demandes des associations LGBT. Mais le mouvement écologiste français ne peut pas se résumer à EELV.
En dehors de ce parti (ou même, de façon minoritaire, en son propre sein), des penseurs et militants écolos, après s’être opposés l’an dernier au mariage pour tous, concentrent désormais leurs critiques sur la PMA et à la gestation pour autrui (GPA). Ces écologistes ne défendent pas un quelconque «ordre divin», ni même un «ordre social» qui en serait une version laïcisée, mais plutôt une sorte d’«ordre naturel». Surtout, ils appuient leur réflexion sur celle de philosophes majeurs de la pensée écologiste : Jacques Ellul (1912-1994) et Ivan Illich (1926-2002).
Ces deux auteurs difficilement classables, à la fois chrétiens et proches par certains aspects des théoriciens anarchistes ou libertaires, ont pour point commun de remettre en cause le culte de la modernité et du progrès. Contre l’idée selon laquelle la technique permet de libérer l’humanité, ils s’attachent au contraire à souligner combien elle peut s’avérer aliénante et anti-démocratique, notamment parce qu’elle concentre un nombre grandissant de décisions entre les mains d’experts, de savants ou de scientifiques.
Voilà qui résonne forcément avec certaines peurs fantasmatiques (mais aussi avec certaines interrogations plus fondées) suscitées ces dernières temps par la PMA et la GPA. Ces peurs trouvent un cadre idéal pour s’exprimer dans les dystopies totalitaires imaginées par Aldous Huxley (Le Meilleur des mondes) ou George Orwell (1984), fréquemment brandies comme des menaces par ces écolos qui s’inquiètent de l’avancée rapide des technologies reproductives… mais aussi par La Manif pour tous.
Erreurs grossières et essentialisme
Malheureusement, même les patronages les plus prestigieux ne mettent pas à l’abri d’erreurs parfois grossières : ainsi, quand José Bové rapproche la PMA de l’eugénisme ou des organismes génétiquement modifiés, il «oublie» que cette technique ne modifie en rien le patrimoine génétique et que choisir le sexe, la couleur des yeux ou des cheveux de son enfant via la PMA est en effet techniquement possible mais interdit en France comme dans la grande majorité des pays
Par ailleurs, cette critique «anti-techniciste» des aspirations du mouvement LGBT pèche souvent par son essentialisme, un travers que le philosophe Philippe Corcuff définit comme «voir le monde à travers des essences, des entités homogènes et stables : “les musulmans”, “l’Europe”, “les médias”».
Si la PMA ou la GPA représentent un asservissement technologique de l’Humanité avec un grand H, est-ce forcément le cas pour les femmes stériles ou les couples homosexuels qui ne peuvent concevoir d’enfants sans ces techniques ? Est-il possible de penser que des individus appartenant à une même humanité puisse tirer des expériences différentes (tantôt aliénantes, tantôt émancipatrices) d’une même technique ?
Les écolos anti-PMA ou anti-GPA (pour la plupart des hommes, blancs et hétérosexuels) laissent rarement de la place, dans leur réflexion, aux identités singulières, peut-être en partie parce qu’elles ne sont pas les leurs. Malheureusement, cet oubli montre encore une fois qu’il ne suffit pas toujours de poser des questions qui peuvent être légitimes pour que la réponse qui leur est apportée soit pertinente.
A lire sur heteroclite.org.
Pour aller plus loin
Interrogé par le journaliste Pascal Riché pour Rue89 après la dernière sortie de José Bové contre la PMA, Patrick Chastenet, professeur de sciences politiques et spécialiste de Jacques Ellul, tout en prenant la défense de l’eurodéputé EELV, resitue la pensée du philosophe dans toute sa complexité : loin d’être un «technophobe» rétrograde comme le croient ses détracteurs, Ellul était plutôt favorable à la PMA et a participé à l’ouverture du premier centre IVG de Bordeaux.
José Bové contre la PMA : qu’en aurait pensé Jacques Ellul, par Pascal Riché, le 27 mai 2014.
Florilège d’écolos
«La PMA ne devrait pas être à l’ordre du jour d’une société consciente des limites de la technique et de la convivialité nécessaire entre ses membres. Une autre manière de se reproduire est à la portée de tout un chacun, faire l’amour tout simplement, en usant de la différenciation des sexes.»
Michel Sourrouille, journaliste, écrivain, membre d’EELV, sur le site www.reporterre.net, 10 janvier 2013.
«Si le projet de loi [Taubira, NdlR] devait être adopté, ce serait une négation sidérante de la nature, l’aboutissement consternant de notre société industrielle qui détruit la nature non seulement dans la réalité mais aussi dans les esprits.»
Thierry Jaccaud, rédacteur-en-chef du trimestriel L’Écologiste, dans L’Aurore du Bourbonnais, 11 janvier 2013.
«L’écologie telle que je la comprends est une révolution de l’esprit. Elle contredit l’hyper-individualisme qui est au fondement de notre société industrielle. […] L’écologie telle que je la pense est la découverte des limites. Y compris celles du désir. Y compris celles de sa satisfaction.»
Fabrice Nicolino, journaliste (notamment pour Charlie Hebdo), sur son blog, 13 janvier 2013.
«L’enjeu technique de cette évolution possible du droit [l’ouverture de la PMA aux couples lesbiens, NdlR] doit être clairement posé.»
Hervé Kempf, journaliste, cofondateur du site Reporterre, dans Le Monde, 13 janvier 2013.
«Le mariage homosexuel est un symbole de cette manipulation des consciences, où on crée des phénomènes de société qui n’en sont pas. […] Ce qui me pose problème dans le débat actuel, c’est qu’il y a une troisième entité qui n’est pas consulté. C’est l’enfant. L’enfant qu’on va faire naître par je ne sais quel stratagème…»
Pierre Rabhi, philosophe et agriculteur, sur le site www.reporterre.net, 29 décembre 2013.
«Je suis contre toute manipulation sur le vivant, que ce soit pour des couples homosexuels ou des couples hétérosexuels. Je pense qu’à un moment le droit à la vie et le droit à l’enfance sont deux choses différentes. Je ne crois pas que le droit à l’enfant soit un droit.»
José Bové, eurodéputé EELV, à l’émission « Face aux chrétiens » en partenariat avec la Croix, KTO le 30 avril 2014.
- Source Rue89