Cinq ans après l’ouverture du mariage aux homosexuels en Afrique du Sud, des femmes rappellent que les viols et meurtres lesbophobes n’ont pas cessé et appellent au durcissement de la législation en vigueur.
Confession d’un violeur: «C’est arrivé en 1996, quand moi et trois de mes gangsters avons violé une de nos amies lesbienne… Nous savions tous qu’elle était vierge mais nous voulions lui prouver qu’elle avait tort, qu’elle n’était pas un homme…» Il y a quelques années, Xolani* s’est spontanément confié à Zanele Muholi, une photographe reconnue qui shoote les lesbiennes des townships, ces banlieues pauvres et principalement noires de la nation Arc-en-ciel.
Les lesbiennes, cibles de la société
La constitution de 1996 interdit toute forme de discrimination, y compris sur la base de l’orientation sexuelle. Cependant, estime Zanele dans un de ses écrits, ce texte avant-gardiste «doit encore changer les mentalités dans la société, qui est encore fondamentalement structurée autour de l’hétérosexualité». Un sentiment qui reflète celui des 14 autres femmes – de toutes générations, religions et origines ethniques et sociales – qui témoignent dans Reclaiming The L-Word, sorti le 23 août à Johannesburg (Reclaiming the L-Word Edité par Alleyn Diesel Modjaji Books).
Les lesbiennes noires d’Afrique du Sud sont régulièrement la cible de viols «correctifs» censés faire d’elles de «vraies femmes». Hétérosexuelles, donc. De nombreuses victimes ont été sévèrement battues, et plusieurs sont mortes sous les coups. Pour Mmapaseka «Steve» Letsike, les agressions se sont multipliées depuis que les homosexuels ont obtenu le droit au mariage le 30 novembre 2006, après qu’un couple de femmes a souligné l’anti-constitutionnalité de la loi empêchant les gays et lesbiennes de se dire «oui».
Hausse de la violence homophobe
«Le viol des lesbiennes noires est une arme utilisée pour discipliner notre autonomie érotique et sexuelle», commente dans son article Zanele, qui prépare un projet visuel sur les crimes lesbophobes perpétrés dans les townships. «Nous savions que ça arrivait, mais en 2007, nous avons vraiment vu une hausse de cette violence homophobe brutale», relève pour sa part Mmapaseka, qui s’est battue pour le droit au mariage.
Mmapaseka, Zanele, et d’autres femmes qui se sont épanchées dans Reclaiming The L-Word regrettent l’absence d’une loi châtiant les crimes de haine dans le pays qui a aboli en 1991 l’Apartheid, régime raciste, ségrégationniste, sexiste et homophobe. Preuve que les craintes d’attaque sont fortes: certaines n’ont accepté de raconter leurs coups de cœur et de gueule que sous pseudonyme ou ont refusé de donner une photo pour le livre. Ashika Maharaj, d’ascendance indienne, n’en fait pas partie. Pourtant, elle est loin de se sentir tranquille.
«Je sens que je sais qui je suis, je suis à l’aise avec moi-même, et cela me donne de l’assurance. La seule chose qui m’inquiète concernant le fait d’être lesbienne, c’est le problème des crimes de haine. Comme je suis très petite, je pense que je suis une cible facile», analyse la coordinatrice santé du Réseau gay et lesbien à Pietermaritzburg (province du KwaZulu Natal, est).
Ashika a déjà échappé avec sa partenaire à une agression dans une boite de nuit. Elles ont signalé l’incident à la police mais «ils ont traité toute l’affaire comme une blague et nous n’avons pas eu l’énergie d’essayer de pousser les choses plus loin», dit la militante. La police est souvent accusée d’être peu coopérative et humiliante avec les victimes de lesbophobie. Quant aux médecins, ils peuvent aussi se montrer réticents.
«Pourquoi es-tu lesbienne à cet âge-là?»
Exemple avec Keba Sebetoane, violée en mars 2004 par un homme qui s’est fait passer pour un ami homosexuel. Elle avait 17 ans.
«Je lui ai dit (au médecin, ndlr) que le gars m’avait violée parce que je suis lesbienne. Dès qu’il a entendu ça, il a arrêté d’écrire et a posé des questions concernant ma sexualité. Il a dit: "Pourquoi es-tu lesbienne à cet âge-là? Tu sais que c’est contre la constitution de prendre une telle décision sans le consentement d’un parent? Tu portes une croix chrétienne, tu savais que c’est une abomination aux yeux de dieu d’être lesbienne?"»
Le médecin a ensuite déchiré son rapport et rédigé un faux. Plus tard, la victime s’est retrouvée nez à nez avec son agresseur, libéré sans qu’elle n’en ait été avertie. L’homme avait promis de la tuer. Un classique? Une chose est sûre: l’histoire de Keba, dont le récit a d’abord été publié en 2009 pour une action contre la violence basée sur le genre, n’est pas une exception. Et ce climat décourage les plaintes, favorisant de fait l’impunité. Xolani, par exemple, n’a jamais payé pour son crime, pas plus que ses complices: ils avaient menacé d’assassiner la famille de leur victime si elle les dénonçait…
Avec le recul, le violeur a exprimé des remords. «J’aimerais pouvoir m’excuser auprès d’elle pour ce que j’ai fait, a-t-il indiqué à Zanele. C’était juste l’ignorance qui a provoqué cette brutalité.»
«On nous dit de coopérer et de ne pas nous faire justice, fulmine Keba. D’autres nous font du mal et s’en tirent. Nous n’avons aucun moyen d’obtenir justice. L’Afrique du Sud va-t-elle jamais changer et satisfaire tout le monde?»
Habibou Bangré
*Le prénom a été changé
- Source SLATEAFRIQUE