Ce mercredi 6 mars, le président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, Boris Vallaud, défend la proposition de loi portant réparation des personnes condamnées pour homosexualité en France jusqu’en 1982. Il souligne l’importance de ce “vote de vérité”.
Après le Sénat en novembre, l’Assemblée nationale débat à son tour de l’histoire de la répression des homosexuels en France. Sous l’impulsion du sénateur socialiste Hussein Bourgi, la proposition de loi “portant réparation des personnes condamnées pour homosexualité” est examinée par les députés ce mercredi 6 mars. Boris Vallaud, le président du groupe socialiste, développe auprès de têtu· les raisons de son vote.
Au-delà de la question des indemnités financières individuelles, le député des Landes se dit favorable à des réparations collectives qui profiteraient aux associations LGBTQI+, notamment à celles qui font un travail de sensibilisation dans les écoles. Sur un autre sujet, celui de la légalisation d’une GPA éthique, il s’y déclare favorable. “D’Élisabeth Badinter à Annie Ernaux, des voix féministes pointent un chemin possible”, observe-t-il.
Qu’est-ce qui vous a convaincu de la nécessité de défendre la proposition de loi portant réparation des personnes condamnées pour homosexualité ?
Boris Vallaud : L’engagement des socialistes sur les questions LGBTQI+ est ancien, avec une manière de concevoir la société par la justice et l’égalité, et c’est aussi un engagement personnel. La question de la reconnaissance des responsabilités de l’État et des réparations est arrivée au Sénat au moment des 40 ans de la loi défendue par Robert Badinter, puis à l’Assemblée lors de son décès. Après l’Autriche, l’Espagne, l’Allemagne et le Royaume-Uni, c’est une loi de justice qui tardait à venir en France.
Au moins 10.000 homosexuels ont été condamnés dans notre pays de 1942 à 1982, dont l’essentiel à des peines de prison, c’est une honte. Quand bien même il reste peu de condamnés survivants, 150 ou 200 disent certains historiens, nous leur devons cette reconnaissance. Ces dispositions ont rendu la vie impossible aux homosexuels, et elles étaient faites pour cela.
Au Sénat, la droite a rejeté le principe de réparations financières pour les victimes toujours vivantes de cette homophobie légale. Cette disposition sera-t-elle dans le texte final ?
Nous avons rétabli en commission les articles que la droite sénatoriale avait supprimés. Nous avons formé autour du rapporteur socialiste une large majorité contre la droite réactionnaire et l’extrême droite ; Les Républicains et le Rassemblement national ont d’ailleurs déserté les débats en commission. Ce sera un vote de vérité. Dans tous les pays d’Europe où l’extrême droite est au pouvoir, dans l’Italie de Meloni, la Pologne de Kaczyński, la Hongrie d’Orbán, les droits des personnes LGBTQI+ ont reculé, et cela est suivi de régressions dans tous les autres domaines. Marine Le Pen peut moderniser son image tant qu’elle veut, ce sont ses alliés en Europe. Disons-le : être gay dans un parti d’extrême droite n’immunise absolument pas contre l’homophobie, leur proximité avec la Manif pour tous le démontre.
En plus d’une réparation individuelle, seriez-vous favorable aussi à une forme de réparation collective, communautaire ?
Oui, car c’est une manière de saluer la mémoire des victimes qui ne sont plus là mais aussi de poursuivre les combats. Au-delà de ce sujet, il me semble que le grand combat de l’époque est aujourd’hui moins législatif que culturel : les plaintes pour actes homophobes ont augmenté en flèche et nous rappellent qu’un recul est toujours possible. Le travail d’éducation, notamment lors de séances données à l’école, est éminemment important et mérite d’être soutenu face à des parents qui s’y opposent. Les associations, qui font un travail remarquable, doivent être aidées davantage.
“Je suis, à titre personnel, favorable à une GPA éthique.”
Raymond Forni, Gisèle Halimi et Robert Badinter ont permis à la loi de dépénalisation de l’homosexualité d’être adoptée en 1982. Quelles leçons conservez-vous d’eux en héritage ?
Les socialistes ont porté beaucoup de grands combats unanimement salués aujourd’hui. Ce sont des ombres exigeantes, qui nous obligent en toute chose à nous poser la question de la justice. S’inscrire dans cette ligne morale, c’est s’inscrire dans les valeurs essentielles pour l’avenir. La bataille pour la dépénalisation universelle de l’homosexualité ne s’achève pas avec la disparition de ces grands noms, nous héritons de ce flambeau qui nous oblige.
Quels droits nouveaux souhaitez-vous défendre pour les LGBTQI+ ?
Nous devons d’abord combattre la transphobie. C’est la pointe avancée d’un combat de liberté, de compréhension et d’égalité. Il faut aussi travailler sur le plan politique au sens de la vie dans la cité : nous devons être le pays où chacun peut tenir la main et embrasser qui il veut sans avoir peur d’être harcelé, insulté ou agressé.
Il y a un autre sujet qui questionne non seulement la société, mais aussi toutes les familles politiques : la gestation pour autrui (GPA). Je suis, à titre personnel, favorable à une GPA éthique. Ma conviction s’est faite avec le long travail de fond conduit en 2010 par Najat [Vallaud-Belkacem, avec qui il est marié, ndlr], bien que cela ne soit pas la position majoritaire du Parti socialiste. D’Élisabeth Badinter à Annie Ernaux, des voix féministes pointent un chemin possible. Ce qui n’est pas éthique, c’est l’absence de cadre législatif et réglementaire. Il y a des GPA qui se produisent dans des conditions de marchandisation du corps, et le meilleur rempart contre cela c’est de légiférer.
D’autres responsables politiques se déclarent favorables à la GPA mais n’en font pas un sujet de combat, ni même de débat au sein de leurs partis…
Pour ce qui est du Parti socialiste, nous devons reprendre les chantiers un par un et dans tous les domaines, que ce soit notre rapport au travail, notre relation aux classes populaires, notre rapport au nucléaire… Cette question, comme d’autres, devra donc être retravaillée. Certains ont cru que nous avions abandonné les questions sociales sur l’autel des questions sociétales, alors que les combats sont imbriqués.
“En Europe il y a d’un côté des libéraux, et de l’autre une gauche régulatrice et protectrice.”
Vous avez voté la constitutionnalisation de l’IVG, constatant qu’une arrivée au pouvoir de l’extrême droite pourrait remettre en cause le droit à l’avortement. Quel autre droit nécessite d’être protégé dans cette même optique ?
Ce vote est historique, fruit d’un long combat des femmes, des socialistes et de toute la gauche où aucune voix n’a manqué lors du vote au Congrès. Lors de l’examen de la loi Asile et immigration, la droite et l’extrême droite ont montré leur volonté de modifier elles aussi la Constitution jusqu’à remettre en cause le bloc de constitutionnalité, c’est-à-dire non seulement la Constitution de la Ve République mais aussi ses grands principes, comme le préambule de la Constitution de 1946 voire la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Je suis d’avis qu’il ne faut toucher la Constitution qu’avec beaucoup de circonspection, et la défendre contre l’air du temps quand cet air est mauvais. Est-ce qu’il faut protéger d’autres droits ? Ce n’est qu’avec gravité qu’il faut se poser la question.
Valérie Hayer, tête de liste macroniste aux élections européennes, martèle qu’à Bruxelles les socialistes votent à 90% avec Renaissance. Quelle est la différence fondamentale de projet entre vous ?
La nature même du Parlement européen explique que, par exemple, les Insoumis votent à 70% comme les macronistes, et nous à 80%… mais ces chiffres n’ont pas de sens. Ce qui compte, c’est ce sur quoi on s’oppose, et c’est l’essentiel. Nous avons une conception radicalement différente car les macronistes sont des libéraux qui croient au marché. Ils votent en faveur des accords de libre-échange sans contrepartie, en faveur d’une politique agricole qui ne remet pas en cause la logique marchande de l’agriculture… Avec Raphaël Glucksmann [tête de liste socialiste aux européennes, ndlr], nous défendons une Europe qui protège les droits humains, la taxation des multinationales, la reconnaissance comme salariés des travailleurs des plateformes. En Europe il y a d’un côté des libéraux, et de l’autre une gauche régulatrice et protectrice.
L’ancien président François Hollande met en avant sa popularité chez les jeunes… Seriez-vous prêt à le soutenir s’il décidait de se lancer dans une nouvelle campagne présidentielle ?
Je me tourne vers l’avenir. La parole et l’expérience de François Hollande sont utiles, mais si la gauche veut réinventer le monde, elle a le devoir de se réinventer. Cela se fait avec une génération nouvelle.
Source : tetu.com