Deux hommes ont été condamnés à trois mois de prison ferme pour homosexualité. En appliquant pour la première fois une loi vieille de vingt ans, ce pays réputé progressiste ne fait plus office de refuge en Afrique.
C’était une rumeur que tout le monde chuchotait à Dakpadou, une petite ville du sud-ouest de la Côte-d’Ivoire. Pierre (1), pensait-on, était étrangement efféminé. Le soir, après son travail de vigile dans une plantation d’hévéa, il voyait des hommes, racontait-on. Alors, lorsqu’il a commencé à fréquenter Franck (1), l’oncle de ce dernier ne l’a pas supporté et est allé porter plainte. Malgré les questions pressantes des policiers et du juge, jamais les deux prévenus n’ont reconnu leur prétendue homosexualité. Mais ils n’ont pas convaincu. Le 3 novembre, ils ont été condamnés à trois mois ferme pour «outrage public à la pudeur, acte impudique ou contre-nature avec un individu du même sexe», comme l’a rapporté jeudi l’Agence ivoirienne de presse. Le soupçon a suffi à les envoyer en prison.
«Femmelettes», «démons», «déviants»… En Côte-d’Ivoire, de nombreux gays connaissent les insultes et la stigmatisation. Mais cette première condamnation pour pratique homosexuelle «est une terrible régression», s’inquiète Me Drissa Traoré, le vice-président de la Fédération internationale des droits de l’homme. «C’est un dangereux pas qui est franchi car cette décision pourrait faire jurisprudence.»
«Inconcevable»
Jusque-là, dans un pays réputé plutôt progressiste en la matière, jamais l’article de loi pénalisant l’homosexualité, adopté il y a plus de vingt ans, n’avait été appliqué. Depuis plusieurs mois, une réflexion est même en cours pour le supprimer du code pénal. Responsable de l’ONG Alternative qui défend les droits LGBT dans le pays, Claver Touré s’étrangle : «Je suis choqué. Mais surpris ? Non. Cette condamnation est l’aboutissement d’une lente dégradation de notre situation ces dernières années», explique-t-il.
En 2013, l’adoption de la loi sur le mariage pour tous en France a accentué les crispations. En Côte-d’Ivoire, beaucoup ont eu peur qu’un texte similaire soit imposé. Dans les mosquées et les églises, on s’est mis à dénoncer de plus en plus les «suppôts de satan» qui se comportent comme «des animaux». «Dans ce pays encore très religieux, le mariage entre personnes du même sexe est inconcevable. Certains se sont alors mis à exprimer violemment leur homophobie», poursuit Claver Touré. Surnommé «le président des pédés» par plusieurs journaux ivoiriens, le responsable d’Alternative sait de quoi il parle. En 2014, les locaux de son association ont été vandalisés et un bar réputé pour être fréquenté par la communauté gay a été attaqué. Depuis, des dizaines de cas d’agressions contre des homosexuels ont été recensés. De peur d’être montrées du doigt, rares sont les victimes à porter plainte, mais plus rares encore sont les auteurs interpellés. Certains finissent alors par craquer.
Il y a cinq ans, pour mettre fin aux questions et aux railleries, pour ne pas vivre en marge de sa famille et de la société, Issa a préféré se marier. A 30 ans, ce bel homme aux muscles saillants n’avait ni femme ni enfant. «Pour mes proches, c’était incompréhensible, ils se sont mis à s’interroger, à me surveiller. Alors dès qu’une fille a semblé s’intéresser à moi, je lui ai demandé sa main.» Issa a maintenant deux petits garçons «et nous sommes tous malheureux». «Si désormais une voix un peu haut perchée ou un mouvement de hanche suffit à se retrouver devant un juge…» Rachid, un homosexuel abidjanais qui préfère garder l’anonymat, résume ce mal-être en quelques mots: «Nous rasons les murs. Pour vivre gays, vivons cachés !»
«Haine»
Moussa (1), lui, est arrivé à Abidjan il y a un an afin de fuir les persécutions dont il était victime au Nigeria. Alors que près des deux tiers des pays africains pénalisent lourdement l’homosexualité, la Côte-d’Ivoire restait jusque-là un refuge pour de nombreux gays et lesbiennes de la sous-région. Mais il y a quelques jours, alors qu’il sortait de son appartement d’Abobo, quartier populaire du nord de la capitale économique, Moussa a été interpellé par deux hommes. «Vous, les pédés qui habitez ici, on va vous tuer un à un !» lui ont-ils lancé, avant de l’agresser à coups de couteaux. Moussa est désormais dans un état critique à l’hôpital. «On espère que la décision d’un juge ne va pas inciter les plus radicaux à laisser libre court à leur haine», soupire l’un de ses amis.
- SOURCE LIBERATION