Cette ardente militante de 48 ans a ouvert, en sa Savoie d’origine, le premier hôtel gay et lesbien d’altitude.
Dans la montée vers la Toussuire, où les coureurs du Tour de France passeront l’été prochain, la petite Suzuki de Florence de Comborcière a des ratés. Un problème d’arrivée d’air. Il faut redescendre à Saint-Jean-de-Maurienne, passer chez le concessionnaire, emprunter une autre voiture. On remonte, ça tourne fort.
En 1999, dans cette petite station de ski de Savoie plutôt familiale, Florence de Comborcière, cheveux courts et visage souriant, a ouvert le premier hôtel 100% gay et lesbien en altitude. «Au début, c’était compliqué», raconte-t-elle. Dans le village, on ne voit pas d’un très bon œil l’installation d’un tel établissement, pas immense pourtant, 13 chambres. Le curé fait un prêche contre elle le jour de la Toussaint. Un matin, «Dehors les PD» s’écrit avec de la merde sur un panneau de signalisation devant l’école. Et les rumeurs, évidemment, de partouzes, de libertinage, de tout ce que la morale réprouve.
Et pourtant, Florence de Comborcière n’est pas une Parisienne venue imposer ses mœurs à un petit village de montagne. Elle est du coin. Enfin, c’est un peu plus compliqué que ça. «Oh, non, on ne va pas raconter mon enfance, ça va encore faire pathos. La goudou qui se plaint tout le temps, je déteste ça», s’exclame-t-elle. Il le faut un minimum. Elle est née en 1964 d’un moniteur de ski et d’une jeune femme issue d’une famille de la grande bourgeoisie lyonnaise. Un amour de vacances. Mais la mère tombe enceinte et le père meurt avant la naissance. Et, ce sont des choses qui arrivent à l’époque, la famille ne veut pas d’une enfant non désirée et décide que Florence sera plus heureuse à la Ddass. Sauf que la sœur du moniteur de ski ne l’entend pas ainsi et la récupère.
Elle aurait dû être élevée sous les dorures citadines, elle grandira à la montagne, à courir derrière les vaches. Dans une famille un peu particulière tout de même, puisque son cousin, devenu grand frère, est Jean-Noël Augert. Dans les années 70, ce chevelu a gagné de nombreux slaloms et a ferraillé contre les autorités du ski français. «Je suis donc allée à l’école à côté, elle fait un geste vers le bas de la route, j’étais la petite bâtarde du village, complètement révoltée, qui attend sa mère», dit-elle désormais sans acrimonie.
Ce soir-là, à l’hôtel, la saison vient de se terminer. Les clients ne sont plus que trois, un couple de lesbiennes, Laëtitia et Elisabeth, et un homme seul, Cyril. Des habitués qui viennent presque depuis l’ouverture. «On a un très fort taux de retour, 67%», se réjouit-elle. Le faible nombre de chambres rapporte peu, malheureusement. Elle ne gagne que 770 euros par mois sur l’année, dit-elle, et reverse 5% des bénéfices à des assos pour les droits de l’enfance. Autour d’une fondue au beaufort, avec génépi à volonté, les clients, mais aussi Stéphanie, sa compagne, photographe de pistes, et Alban, un «ami gay» du coin, vantent tous ce lieu «unique», où on se sent bien, surtout parce qu’on n’y est pas jugé. «Vous avez déjà essayé d’aller à l’hôtel, de demander une chambre double et qu’on vous propose systématiquement deux lits séparés ?» demande Elisabeth. «Et ensuite leur tête lorsque vous préférez un lit unique…» Ils refusent le terme de «ghetto gay». «Les hétérosexuels sont les bienvenus. Ils sont juste prévenus qu’il y a une majorité d’homosexuels dans l’hôtel», se défend Florence de Comborcière. «Et le plus souvent, quand ils appellent par hasard et qu’on leur explique, on sent le "gloups" au bout du téléphone. Ils disent qu’ils vont rappeler et ne le font jamais», ajoute Stéphanie.
Devant l’hôtel, trois drapeaux arc-en-ciel flottent fièrement au vent. Dans la salle du restaurant, une peinture murale montre deux couples homos s’embrasser sur les télésièges. Florence de Comborcière revendique son militantisme. Une semaine homoparentale est organisée lors des vacances de février, «pour que les enfants voient qu’ils ne sont pas seuls». Et elle a créé la première marche des fiertés en altitude, quelques jours de randonnée à la mi-juillet. Ils étaient 200 en 2011, pour la troisième édition.
Florence de Comborcière a 3 ans. Sa mère vient très rarement la voir mais elle se marie et son nouveau compagnon décide de reconnaître la jeune fille. Elle reste à la montagne mais la morale est sauve. Ce père adoptif, elle ne le verra presque plus, jusqu’au jour où il lance une action en contestation de paternité, à la fin des années 90. Il a divorcé et ne veut pas que Florence puisse hériter. «C’était la mode des tests de paternité, la loi permet à un père d’en demander pendant trente ans», explique-t-elle. Elle ne veut pas de son argent, mais, pour le principe, «pour tous les autres», elle se bat. Sept ans de procès. Elle gagne. Oui, elle n’est pas biologiquement sa fille, mais il le savait et pendant des années, il l’a tout de même déclarée fiscalement. Une bête histoire d’impôts.
A l’époque, la trentaine, elle est «heureuse en couple». A 20 ans, elle a rencontré dans la boîte de la station une bourgeoise parisienne. Ayant toujours eu conscience de son homosexualité, elle est montée à la capitale, s’est installée à Saint-Germain-en-Laye, a travaillé dans les relations humaines, gagné de l’argent. Elle devait parfois virer des gens. Aujourd’hui, elle se dit «de gauche», mais craint que, même élu, Hollande ne fasse rien pour l’homoparentalité, qu’elle définit comme son «combat».
Son amour de jeunesse la quitte pour un homme. Elle fait le tour du monde pour oublier, passe un mois à Singapour sans sortir de l’hôtel, dévale les montagnes de Nouvelle-Zélande et revient, sans le sou, à la Toussuire. Sa tante, aubergiste, a décidé de prendre sa retraite, Florence de Comborcière lui propose de reprendre l’affaire. «C’était la maison familiale et pourtant elle a tout de suite dit oui. Cette femme a toujours été d’une tolérance extraordinaire», s’extasie-t-elle en allumant une autre cigarette. D’autres sont moins arrangeants. «Longtemps, je n’ai pas eu conscience de l’homophobie, j’avais des amis gays, d’autres hétéros, j’étais bien. Je reviens de Paris, je pense que cela ne va pas poser de problèmes d’ouvrir un hôtel gay, se souvient-elle. Mais là, je découvre la haine des gens, et, du coup, je deviens très militante.»
Le chalet devient une «principauté» et Florence se déclare «Princesse de Comborcière», du nom de la montagne juste à côté. «Les gens pensent que c’est pour faire noble mais pas du tout, c’est un peu comme la bâtarde à qui on donne le nom de l’endroit où elle est élevée», argumente-t-elle. «Et, principauté et princesse, c’est pour bien signifier que c’est un lieu à part, à nous.» Avec sa liberté, ses revendications. A un moment, l’hôtelière distribuait des faux passeports. Elle ne le fait plus. Comborcière s’est intégrée peu à peu dans le village. «Ils ont compris que c’était des clients comme les autres qui ne se baladent pas déguisés en folles sur les pistes.» Elle-même est devenue conseillère municipale. Dans l’opposition, évidemment.
- SOURCE LIBERATION