NEWS
Les actualités
 d’ADHEOS

En moins d’une semaine, deux femmes trans ont été tuées en France : l’une par un client, l’autre par son conjoint. Deux morts qui mettent en lumière la sordide mécanique des transféminicides.

“Comme Géraldine ne répondait plus au téléphone, ses amies se sont rendues chez elle. L’appartement était sous scellé. C’est là que les filles ont compris qu’elle avait été assassinée”, raconte Giovanna Rincon, directrice de l’association Acceptess-T. Travailleuse du sexe, Géraldine, une femme trans péruvienne de 30 ans, a été poignardée par un client qu’elle recevait à son domicile dans le 16e arrondissement de Paris, dans la nuit du lundi 8 juillet. Quelques jours plus tôt, Angelina, une femme trans de 55 ans, a été tuée à coups de hache par son conjoint à Compiègne, en Picardie.

Ces deux morts s’ajoutent à la longue liste des meurtres et assassinats de personnes trans dans le monde : l’ONG Transgender Europe (TGEU) dénombre 321 victimes entre janvier et septembre 2023. Le phénomène se concentre particulièrement en Amérique latine et dans les Caraïbes (74%). En France, entre 2011 et 2023, 14 personnes trans ont été tuées, selon le seul recensement réalisé par les organisations de personnes concernées, en l’absence de statistique officielle sur les crimes qui visent les personnes trans. Les associations pointent en particulier le nombre de femmes trans tuées en raison de leur transféminité : les transféminicides. Car parmi les 321 personnes tuées en 2023, on compte 94% de femmes trans.

Certes, la France s’est dotée d’une législation réprimant plus sévèrement les crimes et les délits commis en raison de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre de la victime : les peines de prison prévues sont renforcées lorsque le tribunal retient cette circonstance aggravante. Ainsi, un meurtrier transphobe peut être condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. Acceptess-T milite pour une prise en compte spécifique des violences transmisogynes, ainsi que celles subies par les travailleuses du sexe (TDS) : il serait ainsi possible d’en avoir un comptage précis. C’est ainsi que l’Espagne, précurseure sur cette thématique, peut depuis 2022 dénombrer combien de féminicides ont été commis dans le cadre du travail du sexe.

Les TDS migrantes en première ligne

Au commissariat où il s’est dénoncé au lendemain du crime, le suspect du meurtre de Géraldine a expliqué avoir paniqué en découvrant sa transidentité et s’être senti dupé – alors que Géraldine l’avait bien précisée dans son profil sur le site d’escorting où elle pratiquait. “C’est ce qu’on appelle aux États-Unis la « trans panic defense ». Ce narratif est un classique du transféminicide, mais cette « panique » n’est pas consécutive d’une supposée révélation de la transidentité de la victime : c’est la révélation de la transphobie de l’agresseur”, précise Arnaud Alessandrin, sociologue des transidentités et de la transphobie.

Dans un contexte sexuel, en particulier en cas de travail du sexe, les auteurs de crime n’assument pas d’avoir eu une relation avec une femme trans : “Une fois l’acte sexuel terminé, ces hommes violents se retrouvent aux prises avec un sentiment d’humiliation à cause de la cishétéronormativité, analyse Giovanna Rincon. Tuer la femme trans, c’est tuer la preuve que l’acte sexuel a eu lieu et laver son honneur.”

“La violence masculine se déploie d’autant plus pour les femmes qui cumulent les facteurs de marginalisation.”

D’ailleurs 48% (78% en Europe) des victimes de transféminicides en 2023 exerçaient le travail du sexe, et 45% étaient par ailleurs migrantes, d’après les données de TGEU. “La violence masculine se déploie d’autant plus pour les femmes qui cumulent les facteurs de marginalisation : quand elles sont trans, sans papiers, racisées”, liste Pauline Delage, chargée de recherche au CNRS et spécialiste des violences de genre. Cette superposition de vulnérabilités amène à un “déferlement de violences”, souligne Élisa Koubi, coordinatrice au Syndicat du travail sexuel (Strass), qui pointe l’effet cumulatif, en France, “des lois anti-immigration, de la parole transphobe décomplexée et de la loi de pénalisation des clients de 2016”. Cette dernière est régulièrement dénoncée par le Strass et Acceptess-T comme participant à la dégradation des conditions de travail des travailleuses, poussées à exercer dans des zones de plus en plus isolées.

Comme dans l’affaire de Compiègne, les transféminicides surviennent aussi dans le cadre conjugal – des crimes “peu documentés et probablement sous-évalués”, selon Arnaud Alessandrin. Ces meurtres répondent aux mêmes mécanismes qui précèdent les féminicides – contrôle des sorties, violences physiques et sexuelles, séquestrations –, mais les victimes subissent aussi des violences spécifiques. “La condition minoritaire des victimes est à l’origine d’un fort isolement social et d’une carence affective sur lesquels le conjoint violent va s’appuyer pour créer une dynamique d’emprise”, analyse Giovanna Rincon, qui rapporte des cas d’usagères d’Acceptess-T “forcées ou empêchées de faire telle ou telle chirurgie”. “Les conjoints menacent d’outing, contrôlent l’accès aux soins de transition et aux hormones. C’est une manière de contrôler le corps de la victime et sa féminité”, note Pauline Delage. Ces leviers de contrôle social constituent le “pivot fondamental” de violences pouvant aller jusqu’au meurtre, résume Arnaud Alessandrin.

Destruction du corps, destruction de la mémoire

Indépendamment du contexte dans lequel le meurtre est commis, les transféminicides sont par ailleurs marqués par une surviolence. Arnaud Alessandrin note “la grande brutalité dans ces crimes, de par le type d’arme blanche utilisée, le recours aux brûlures, la destruction du corps”. Celle-ci passe régulièrement par des actes transmisogynes d’une extrême violence, comme “des mutilations génitales”, complète Giovanna Rincon.

La déshumanisation se poursuit après la mort. Si Pauline Delage souligne la rareté des poursuites judiciaires en Amérique latine, la justice française peine à prendre en compte la transidentité des victimes et les intentions transphobes des auteurs. En 2023, lors du procès en appel du meurtre de Vanesa Campos, travailleuse du sexe trans et migrante sans papiers, tuée en 2018 par un groupe d’hommes au bois de Boulogne, la circonstance aggravante de transphobie n’avait pas été retenue.

Le traitement médiatique des transféminicides participe à la déshumanisation des victimes. Au lendemain de la mort de Géraldine, BFMTV Paris titrait ainsi “L’escort-girl tuée car elle était un homme“… En 2018, Paris Match avait été condamné après avoir publié une photo du cadavre dénudé de Vanesa Campos. “Les victimes peuvent en plus être enterrées sous leur deadname et une identité masculine”, ajoute Pauline Delage. La victime est donc tuée plusieurs fois, dénonce Arnaud Alessandrin : “Physiquement, administrativement, et dans sa mémoire.”

Le Strass, Prévention action santé travail pour les transgenres (Pastt) et Acceptess-T ont appelé à un rassemblement ce mardi 16 juillet à 18h place du Trocadéro, à Paris, pour se recueillir et demander “de véritables mesures politiques contre toutes formes de haine et de violences transphobes”. La présence de la mère de Géraldine est annoncée : elle appelle à une plus grande “acceptation des personnes trans et travailleuses du sexe” et à “la justice pour [sa] fille”.

Source : tetu.com