En la filmant dans son intimité, il voulait « prouver » qu’une de ses camarades de régiment n’était pas homosexuelle.
En la filmant dans son intimité, il voulait « prouver » qu’une de ses camarades de régiment n’était pas homosexuelle.
Elle ne se souvient de rien. Huit minutes de trou noir qui ont « détruit sa vie », dit-elle. À la barre du tribunal correctionnel d’Angoulême hier, la victime de 26 ans se tient droite, la tête haute, les mains croisées dans le dos. Une attitude qui révèle son corps de métier, celui de l’armée.
C’est au sein du 515e Régiment du train de La Braconne à Brie que dans cette nuit du 25 au 26 février 2015, lors d’une soirée arrosée, la jeune femme a été filmée à son insu en plein ébat sexuel avec un autre militaire. Une relation dont elle dit n’avoir aucun souvenir, elle qui ne cache pas ses orientations homosexuelles. Le responsable de cette vidéo, absent des débats hier, était poursuivi pour atteinte à l’intimité de la vie privée par enregistrement et transmission de l’image d’une personne. Il a été condamné à six mois de prison avec sursis et 3 000 € de dommages et intérêts.
Relevée de ses fonctions
Ce soir-là, c’est « popote » au sein du régiment. Un pot de départ arrosé. Sept militaires qui, emportés par la fièvre, boivent plus que de raison. « Ils ont tous la même version, raconte le président du tribunal Vincent Raffray. Il y a eu un rapprochement entre vous et un autre soldat. Vous vous êtes absentés et vous avez eu un rapport sexuel dans les toilettes. » Un deuxième militaire, témoin de ce rapprochement, est entré discrètement dans les sanitaires et a filmé la scène avec son portable.
Le surlendemain, la victime a vent de cet enregistrement. Les moqueries sont incessantes. La vidéo circule dans tout le régiment, du « plus bas au plus haut grade », rappelle son avocat Me Lionel Béthune de Moro. Sa cliente dépose plainte. Le prévenu, lui, se défend en audition d’avoir « pensé à mal. Je cherchais juste à démentir des rumeurs, et garder une preuve parce que personne ne me croirait si je racontais qu’elle a couché avec un homme », explique-t-il.
Pour la victime, l’impact est terrible. « Il disait vouloir montrer que mon orientation sexuelle n’était pas celle que j’avais annoncée, explique-t-elle, hier, la voix chevrotante. Cette vidéo a été vue par des cadres avec qui je devais partir en opération extérieure en Centrafrique. J’ai été relevée de mes fonctions, mise en congé forcé, avec interdiction d’accès au régiment. Je ne vivais plus, je survivais. Je n’osais plus aller faire mes courses de peur de tomber sur quelqu’un du régiment. J’avais une vie affective, j’ai dû tout quitter, j’ai perdu beaucoup. »
Une plainte pour viol
Épuisée, sous antidépresseurs, elle quitte la France et rejoint sa famille en Nouvelle-Calédonie pendant huit mois. L’expert psychiatre relève des troubles du sommeil, des cauchemars, un syndrome dépressif. « Il est clair que la victime est encore traumatisée aujourd’hui », note la procureure Stéphanie Veyssière, qui a requis huit mois de sursis à l’encontre du vidéaste amateur.
La vidéo n’a jamais été retrouvée. Le prévenu l’a supprimée au bout de deux jours. L’enquête de gendarmerie a été longue, notamment parce que deux plaintes ont été initialement déposées par la jeune femme. « Elle ne se souvient de rien, découvre des stigmates corporels au réveil, précise son avocat. Elle a songé à un assouvissement chimique, piégée par cet esprit de camaraderie. » Les analyses capillaires et sanguines ne révéleront rien. La plainte pour viol sera classée sans suite. Quand bien même, selon Me Béthune de Moro, on y voit « la mixité d’un régiment où le personnel féminin est à la disposition du personnel masculin ». Le camarade avec qui la victime a eu ce rapport n’a, quant à lui, jamais déposé plainte.
Aujourd’hui, la jeune femme continue de travailler pour l’armée, à Paris dans un bureau. « Je trie les dossiers… », confie-t-elle.
- SOURCE SUD OUEST