Il y a trois ans, Claire et Blandine donnaient naissance à Eloi. Elles ont raconté leur combat pour obtenir une PMA dans une tribune publiée sur Le Plus le mois dernier. Depuis cet heureux événement, les galères continuent pourtant : elles n’ont toujours pas réussi à adopter leur enfant. Témoignage de Claire.
"Et pourquoi souhaitez-vous l’adopter ?"
C’est une jeune femme officier de police qui me pose la question. On est dans son bureau, dans le sous-sol assez glauque d’un commissariat de banlieue parisienne. Je savais qu’elle allait me poser cette question ; je sais pourquoi je suis convoquée… mais j’ai quand même un temps d’arrêt.
Je veux adopter cet enfant parce qu’il était déjà mon fils avant sa naissance, avant sa conception, dans le projet de famille que mon couple a construit au fil des années.
Je veux l’adopter pour que la société reconnaisse notre famille, pour qu’il puisse être fier de ses deux parents, pour le protéger et protéger notre relation. Pour que lui non plus ne soit plus un sous-citoyen. Pour que nous ayons un livret de famille avec nos trois noms et non deux livrets, comme aujourd’hui : l’un pour sa mère biologique et lui, dont je suis exclue, et celui de notre mariage, d’où il est absent.
On pensait que l’adoption serait une formalité
Mariées l’été dernier, on a lancé la procédure d’adoption au début de l’automne. On pensait que ce serait une formalité. On rêvait de faire une grande fête de la famille cet été, et aussi qu’Eloi ait officiellement ses deux parents pour son entrée à l’école en septembre.
Et puis le Parquet a demandé une enquête. Celui de notre tribunal. Parce que dans la commune d’à côté, toutes les adoptions sont prononcées (sans enquête). Moi qui suis fière d’enseigner que la Révolution a mis fin à l’arbitraire de la justice…
Il faut taire tout ça, et réexpliquer, posément, à l’officier de police. Lui raconter ce qui est dans le dossier déposé depuis plusieurs mois au tribunal : les attestations de mon entourage (où il est écrit noir sur blanc ce que l’assistante maternelle, le pédiatre, ma mère et tous mes amis proches pensaient de ma relation avec Eloi), mes fiches de paye (ah, on a le même employeur, elle est contente…), l’acte de naissance d’Eloi (c’est moi qui l’ai déclaré), le certificat de parrainage civil à la mairie où je suis bien mentionnée (merci à madame l’adjointe au maire qui a insisté auprès du service d’état civil), et même le livret de la paroisse pour le baptême religieux…
Il faut qu’elle vérifie que j’ai tous mes points sur mon permis de conduire (les chauffards ne doivent pas pouvoir adopter). Je ne lui précise pas que je me déplace en vélo.
Oui, il nous appelle "maman" et "maman"
"Est-ce qu’il connaît vos parents ?"
C’est mon enfant, il a trois ans. Mes parents vivent, certes, en province, mais, oui, il connaît ses grands-parents. Il les appelle "papy et mamie", je crois que c’est assez courant.
"Vous lui avez dit qu’il avait deux mamans ?"
Nouveau temps d’arrêt : oui, on lui en parle. On a quelques livres sur la question (comme les parents d’enfants myopes accumulent les histoires de lunettes), et on lui raconte son histoire.
En fait, il vit avec nous, avec nous deux, ses mamans, depuis sa naissance. Il vit, certes, dans un environnement où la majorité de ses copains ont un papa et une maman, mais il a bien compris qu’il avait deux mamans, que Joachim n’avait qu’une maman, et Sasha un papa et deux mamans.
Il nous appelle "maman" et "maman", en ajoutant le prénom s’il y a besoin de distinction.
1h30 d’interrogatoire, puis une visite domiciliaire
"Je vais devoir faire une visite domiciliaire."
Après une heure trente d’interrogatoire, je suis lessivée. Oui, bien sûr, visite domiciliaire. Vous viendrez quand ? Ah, vous me rappellerez. Oui, il y a d’autres urgences.
Les semaines ont passé. C’est moi qui ai rappelé. Et encore rappelé. Et puis c’est mon avocate qui a envoyé un courrier. Et puis j’ai rappelé et on a pu fixer un rendez vous, quatre mois après l’interrogatoire.
Elles sont arrivées sans vraiment prévenir, sortant l’insigne devant le portail.
C’était il y a deux semaines, le jour de notre anniversaire : ça fait 18 ans qu’on vit ensemble, un couple majeur.
Comme elles prenaient des notes dans le salon, il a fallu demander ce qu’elles regardaient : "S’il y avait de quoi accueillir un enfant".
Elles ont bien vu la boîte de Nesquik dans le placard, les petits suisses rigolos dans le frigo (tous ces produits labellisés montrent votre capacité à être parent), la brosse à dent et les jouets de bain… Heureusement qu’on avait fait du repassage le matin, les tee-shirts étaient dans l’armoire et pas en pile au sous-sol.
"C’est un garçon, il me semble ?", dit-elle en regardant la cuisine en plastique (de couleur grise et orange) offerte pour ses deux ans. Euh, oui, c’est un garçon. Je ne lui raconte pas que la veille, il m’a pris le ballon des mains en disant "c’est trop lourd pour toi, c’est un ballon de garçon". Dans la chambre j’avais laissé un camion de police customisé en camion grue, mais je crois qu’elle ne l’a pas vu.
On attend la reconnaissance légale de notre famille
Dans la soirée qui a suivi, on a eu la visite d’une petite délégation des jeunes de la cité d’en face, venus voir ce qui se passait dans cette maison pour que la brigade des mineurs y mette son nez (ils se connaissent plutôt bien).
"Notre" officier a rendu son rapport au Parquet, on attend la décision ; sans savoir dans combien de temps elle interviendra (des semaines, des mois ?), ni si nous serons convoqués devant le juge auparavant, ou informés par La Poste.
La reconnaissance légale de notre famille est en suspens.
Le mariage pour tous n’a pas ouvert l’adoption internationale aux couples de même sexe (la plupart des pays refusent toujours de confier un enfant à un couple homosexuel).
Il devait au moins permettre l’adoption intraconjugale…
- Source LE NOUVEL OBS