Heddy a été violemment attaqué lors d’un guet-apens homophobe. Deux mois après le dépôt de sa plainte, il ne sait toujours pas si ses agresseurs ont été retrouvés. Une avocate réagit à son récit et nous explique comment se protéger.
S’il a décidé de témoigner publiquement, c’est avant tout pour faire changer les choses. À 26 ans, Heddy justifie déjà d’un solide parcours militant, construit dans les rangs de SOS Homophobie entre Nice (Alpes-Maritimes) et Paris.
Au sein de l’association, il a souvent été confronté à des témoignages de victimes de ce que l’on appelle désormais les “guets-apens” homophobes.
“J’en ai interrogé beaucoup, des victimes“, raconte Heddy Reynaud, qui se pensait à l’abri d’une telle mésaventure.
“Je croyais avoir une espèce de carte joker. Si moi, je me suis dit ça, combien d’autres personnes aussi se le disent ?” Heddy Reynaud, militant associatif victime d’un guet-apens homophobe à France 3 Côte d’Azur
Le jour de l’agression ressemblait à tout ce qu’il y a de plus banal pour le jeune homme. Cet après-midi-là, à Nice, il se connecte sur Grindr, une application très utilisée au sein de la communauté LGBT (plus de 14 millions d’utilisateurs actifs par mois).
Après quelques messages échangés, Heddy part à la rencontre d’un garçon. Une fois sur place, il voit deux hommes, dont l’un semble guetter. Il commence à se questionner, préférant pour le moment laisser ses inquiétudes de côté. Pourtant, tout dégénère très vite.
“J’ai senti le piège se refermer.” Heddy se retrouve au cœur d’un guet-apens, n’ayant plus d’autre choix que d’assister à sa propre agression.
“N’aie pas peur”
Deux mois après les faits, Heddy se souvient.
“J’ai vu deux jeunes hommes, très jeunes. L’un, plus petit, restait en bas, il guettait. L’autre, plus grand, m’a abordé dans l’impasse. Il m’a demandé : ‘T’as combien d’argent ?’ (…) Je voulais m’éloigner, mais il m’a attrapé par le col. Il m’a dit : ‘N’aie pas peur, je te parle gentiment’.”
Sur le coup, Heddy tente de négocier, de résister. Il joue la carte de l’humour mais rien n’y fait : son agresseur, particulièrement violent, lui ordonne de donner son téléphone. Heddy refuse.
“C’était une scène irréaliste, de film. J’étais coincé contre un mur, étranglé. Ses mains m’ont serré jusqu’à ce que je perde connaissance. Et ensuite, trou noir, je ne me souviens de rien.”
Passage aux urgences et séquelles psychologiques
À son réveil, Heddy est complètement sonné, laissé à l’abandon dans une impasse. “J’avais mal partout : coccyx, tibias, jambes. Je marchais, courbé, sans savoir où j’étais. J’avais oublié énormément de choses de ma vie. Je ne pensais à personne, je ne reconnaissais rien.”
De fil en aiguille, le jeune homme réussit à trouver le chemin des urgences, certains membres recouverts de sang et le crâne laissant apparaître une énorme croûte. Les analyses permettront de rendre compte de la violence de l’agression : le crâne d’Heddy a été percuté contre un mur.
“J’ai eu une perte de connaissance de deux heures.” La douleur physique laissera place ensuite à la douleur psychologique.
“Les premiers jours qui ont suivi ont été horribles. (…) J’ai réalisé que j’aurais pu mourir.” Heddy Reynaud à France 3 Côte d’Azur
Une plainte déposée… mais ensuite ?
Heddy a porté plainte dès le lendemain de l’agression. Deux mois plus tard, il reste profondément marqué. “J’ai peur de sortir seul le soir, marcher dans la rue m’angoisse…”
Son travail de reconstruction ne fait que commencer et il espère pouvoir avancer en ce sens grâce à l’aide de la Justice. “Témoigner, c’est un acte politique.”
À ce jour, Heddy ne sait toujours pas si ses agresseurs ont été retrouvés.
“Ils ciblent des minorités qu’ils croient faibles… mais ils se trompent.” Heddy Reynaud à France 3 Côte d’Azur
De son côté, le Parquet de Nice a précisé à France 3 Côte d’Azur que l’enquête était toujours en cours, sans donner plus de précisions.
L’une des pistes pouvant permettre de retrouver les auteurs serait notamment d’exploiter les images de vidéosurveillance, très présentes dans la ville de Nice.
“Il faut faire attention car ces images ne sont pas conservées indéfiniment“, précise maître Caroline Martin-Forissier, avocate au barreau de Paris et membre du cabinet d’avocats Rift.
Pour cette avocate, ayant déjà défendu un client victime d’un guet-apens homophobe, plusieurs précautions doivent être prises par les victimes lors d’une plainte. Dans le cas d’une agression de ce type, il faut notamment souligner, lors de son dépôt de plainte, la circonstance aggravante qu’est l’homophobie.
Dès lors que vous ciblez des homosexuels, peu importe que vous le fassiez par haine ou par préjugés, on va considérer que c’est une circonstance aggravante objective.
C’est cette même circonstance aggravante qui permettra ensuite de qualifier l’acte de criminel.
“Dans le cas des guet-apens organisés sur des sites de rencontres homosexuelles, on peut considérer que la circonstance aggravante s’applique. C’est pour ça qu’il est important de la préciser au moment de la plainte.”
L’application Grindr “doit nous aider”
Dans son combat pour retrouver ses agresseurs, Heddy espère que la Justice réussira à récupérer des données auprès de Grindr, application américaine depuis laquelle la rencontre ayant mené au guet-apens a eu lieu. “Ils récoltent d’énormes quantités d’informations sur leurs utilisateurs, qui permettent aussi de faire vivre leur modèle économique. Alors, ils doivent être impliqués, ils doivent nous aider.”
Pourtant, d’un point de vue purement juridique, rien n’oblige une entreprise n’étant pas soumise à la loi française ou européenne à fournir des données. En l’occurrence, il s’agirait de fournir les informations d’identification des agresseurs.
“Ça se fait au cas par cas“, explique maître Caroline Martin-Forissier, reconnaissant les difficultés parfois rencontrées pour obtenir de telles données auprès d’entreprises étrangères. En France, des réquisitions de ce type sont pourtant monnaie courante. “La personne que j’avais défendue avait été victime d’un guet-apens via le site Coco, se souvient la juriste. Les policiers avaient réquisitionné Coco.fr à l’époque.”
Dans l’hypothèse où les images de vidéo-surveillance de la ville de Nice ne donneraient rien, Heddy pourra-t-il alors compter sur l’application américaine pour l’aider à mettre un visage sur ses agresseurs ? “Mon souhait, c’est d’abord de rencontrer des représentants de l’application et de créer un partenariat. Ils ont un rôle à jouer : campagnes de prévention, recensement des guet-apens, transmission des données aux autorités compétentes…”
Une coopération de l’application avec la Justice ou les associations représenterait selon lui “un signal fort“. Heddy espère donc que son témoignage pourra permettre une avancée bienvenue sur ce sujet.
Source : france3-regions.francetvinfo.fr