Ce mercredi 13 novembre, à Rennes, le Conseil constitutionnel s’est penché sur une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) visant à reconnaître le droit pour les associations LGBT+ de se constituer partie civile dans des affaires de guets-apens homophobes. Le gouvernement s’y oppose.
Tapisseries et horloges d’époque, moulures dorées, peintures au plafond : la Grand’Chambre de la Cour d’appel de Rennes est imposante. Et ce mercredi 13 novembre, elle est quasiment pleine. Juristes, étudiants en droit, avocats et journalistes ont fait le déplacement pour venir assister à l’audience délocalisée du Conseil constitutionnel où doivent être discutées deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC).
La première concerne une affaire d’expropriation et n’intéresse pas beaucoup le public. La seconde, en revanche, fait lever les têtes et tendre les oreilles. Deux avocats, Me Jean-Baptiste Boué Diacquenod et Me Pauline Alexandre, réclament l’inconstitutionnalité – et donc la censure – de l’article 2-6 du code de procédure pénale. Ce texte prévoit la possibilité pour les associations LGBT+ de se constituer partie civile dans des affaires judiciaires, mais seulement dans certains cas. Ainsi, les infractions caractérisant les guets-apens homophobes – comme la séquestration, le vol ou l’extorsion – sont exclues, de même que les infractions sexuelles.
Une “rupture d’égalité”
Pour comprendre ce débat, il faut remonter à juin dernier. Trois hommes sont jugés par la cour d’assises de Paris pour avoir piégé deux hommes gays en janvier 2022 à Paris. L’un des deux avait été séquestré à son domicile pendant près de 60 heures. L’association Stop homophobie, qui accompagne régulièrement les victimes de ces infractions, demande, comme c’est souvent le cas dans ce genre d’affaire, à se constituer partie civile dans le dossier. Mais Me Boué-Diacquenod sait que cette constitution de partie civile peut être contestée à tout moment. Alors, à la fin du procès, il décide de soulever une QPC pour permettre aux associations LGBT+ d’intervenir à toutes les audiences de ce type.
Car la présence de ces associations est souvent salvatrice. “Tout au long de la chaîne pénale, l’intervention de ces associations contribue à une meilleure appréhension par les juges de ces nouveaux modes opératoires mais également du mobile homophobe qui motive le passage à l’acte”, plaide Me Jean-Baptiste Boué Diacquenod. “C’est précisément parce que les victimes de faits de séquestration ou d’extorsion à caractère homophobe sont volontairement isolées par les auteurs, qui tablent sur leur solitude et leur honte pour les cibler de façon préférentielle et parier qu’elles ne porteront pas plainte, qu’il est essentiel que ces associations puissent intervenir, en qualité de parties civiles, dans ces instances pénales”, abonde Me Pauline Alexandre, ajoutant que leur présence permet “de faire œuvre de pédagogie” auprès des jurés, mais également des accusés et de la cour, pour que la circonstance aggravante d’homophobie soit reconnue.
Pour l’avocat de Stop homophobie, refuser aux associations LGBT+ ce droit reviendrait à une “une rupture non justifiée de l’égal accès à la justice et donc de l’égalité devant la loi” : “S’agissant par exemple du crime d’extorsion, les associations de défense des personnes malades, handicapées ou âgées peuvent exercer l’action civile devant le juge pénal, fait-il valoir. Les associations de lutte contre les discriminations à raison de l’orientation sexuelle ne le peuvent pas.”
Pas assez de guets-apens homophobes
Mais le gouvernement n’est pas de cet avis. Représenté à l’audience par Benoît Camguilhem, chargé de mission pour les questions constitutionnelles auprès du secrétariat général, il conteste l’idée d’une rupture d’égalité, prenant pour exemple les associations de lutte contre le racisme qui, elles non plus, ne peuvent pas se constituer partie civile pour “l’ensemble des infractions pénales aggravées par la circonstance aggravante”.
Pour étayer la position du gouvernement, son représentant argue aussi “que le nombre d’affaires poursuivies pour au moins l’une de ces trois infractions en raison de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre demeure limité : 26 affaires poursuivies en 2023, 21 en 2022, 29 en 2021 et 18 en 2020.” En clair : il n’y aurait pas assez de guets-apens homophobes en France pour justifier de changer la règle. “Une approche quantitative qui n’est en rien documentée”, déplore Me Boué-Diacquenod, qui souligne au contraire que “les chiffres des actes anti-LGBT+ démontrent qu’il s’agit bien là d’un phénomène sociétal qui s’aggrave : ces victimes sont précisément la cible d’atteintes aux biens compte tenu de leur orientation sexuelle, laquelle est utilisée pour faciliter la commission du crime.”
De fait, selon le décompte réalisé par têtu· dans un dossier consacré au sujet au printemps 2023, il y aurait en réalité au moins un guet-apens homophobe par semaine en France. Pourquoi un tel différentiel avec les chiffres avancés par le gouvernement ? Tout d’abord parce que les victimes ne portent pas toujours plainte. Mais ce n’est pas tout : lorsque ces dossiers passent la barrière du dépôt de plainte, le ministère public ne retient pas toujours la circonstance aggravante. “Régulièrement, les parquets renoncent au motif homophobe de peur de ne pas parvenir à le démontrer et que cela affaiblisse l’enquête”, nous expliquait ainsi Johan Cavirot, alors président de l’association Flag.
“S’il n’est jamais anodin de reconnaître publiquement l’imperfection de la loi, il est pire de nier l’évidence, lorsqu’elle bafoue un principe aussi fondamental que celui de l’égalité juridique des citoyens”, a conclu Me Pauline Alexandre dans sa plaidoirie. Le Conseil constitutionnel doit rendre sa décision le 22 novembre.
SOURCE :Tetu.com