Romain, bénévole à l’association Le Refuge, qui aide les jeunes homosexuels en difficulté, a reçu l’appel de détresse d’un adolescent victime du canular téléphonique dans l’émission "Touche pas à mon poste".
Il ne s’attendait pas à ce que Cyril Hanouna se cache derrière le "Jean-José" de la petite annonce passée sur un site de rencontres. Tout comme il n’imaginait pas que son homosexualité soit révélée au grand jour en direct à la télévision dans l’émission "Touche pas à mon poste", jeudi 18 mai.
Cet adolescent, victime du canular téléphonique qui vaut à l’animateur star de C8 une avalanche de plaintes au CSA pour homophobie, a appelé le numéro d’urgence de l’association Le Refuge, qui aide les jeunes homosexuels en difficulté. Romain, un bénévole bordelais âgé de 29 ans, lui a répondu. Le militant témoigne auprès de franceinfo, mardi 23 mai.
Franceinfo : Dans quel état se trouvait l’adolescent, victime de l’appel téléphonique de Cyril Hanouna, lorsqu’il vous a téléphoné ?
Romain : J’ai reçu l’appel dans la nuit de jeudi à vendredi, vers 3 heures du matin. J’étais d’astreinte ce soir-là sur la ligne d’écoute d’urgence du Refuge, active 7 jours sur 7, 24 heures sur 24. J’ai eu un jeune homme, âgé de 19 ans, en pleurs au téléphone. Il m’a expliqué qu’il avait été victime du canular en direct dans l’émission de Cyril Hanouna. J’ai essayé d’en savoir un peu plus, parce que je n’avais pas vu l’émission dans son ensemble. Il m’a expliqué qu’il était tombé sur un site de rencontres avec une annonce plus ou moins sérieuse et qu’il avait contacté la personne qui avait communiqué son numéro. Dans un premier temps, l’animateur a joué un rôle, en se faisant passer pour un homosexuel qui cherche un plan. Et dans un deuxième temps, il a dit : "Non, je suis Cyril Hanouna, tu es en direct sur C8."
La famille du jeune homme regardait l’émission et a reconnu sa voix. Le jeune homme a eu des menaces de son père, qui lui a dit qu’il n’avait pas à faire son coming out comme ça à la télévision en plein direct. Le jeune homme a essayé de se justifier en disant qu’il avait été pris au piège. Le père l’a menacé et lui a dit qu’il avait tous les droits sur son fils et que, s’il le fallait, il le prendrait par la peau des fesses et le mettrait dehors.
Le jeune homme n’avait pas fait son coming out. Il n’était pas encore prêt à en parler à ses amis, à son entourage. Il pensait vraiment tomber sur une annonce sérieuse. Il l’a très mal vécu. Il voulait juste faire une rencontre discrète. Etre mis devant le fait accompli, à une heure de grande écoute, dans une émission très regardée, c’est quand même très violent et très compliqué pour lui. Il ne s’y attendait pas. En plus, l’animateur a eu des mots crus. C’est grave. Ce jeune n’a que 19 ans.
Que lui avez-vous dit pour tenter de le rassurer et de le réconforter ?
La conversation a duré 1h30. Il a pleuré longtemps. J’ai mis 30 minutes à essayer de comprendre ce qu’il se passait. Quand il m’a expliqué sa situation, je lui ai conseillé de ne pas rester seul. Je lui ai dit que l’homosexualité, ce n’est pas une maladie, ni une honte, ni un choix, que c’était juste naturel et qu’il ne devait pas se cacher. Je lui ai dit qu’il devait rester fort, qu’il ne fallait pas qu’il se laisse abattre et qu’il se replie sur lui-même, qu’il devait pouvoir en parler à des personnes de confiance, voire faire appel aux autorités s’il voulait porter plainte. Parce qu’au final, il s’est fait avoir.
Il avait surtout peur d’être mis à la porte de chez lui. Il est lycéen dans un coin paumé en province. S’il est mis dehors, il n’a pas de toit. Son prénom, il me l’a dit, mais je le garde pour moi. Il n’avait que nous au bout du fil.
Qu’avez-vous ressenti après avoir raccroché le téléphone ?
Je n’ai découvert la polémique que vers 13-14 heures, vendredi. Quand j’ai vu l’ampleur que cela avait pris en quelques heures, j’ai été scotché. Habituellement, je suis plutôt blindé par rapport à tout ça. Ne pas savoir ce qui a pu lui arriver… Ça ne m’arrive pas souvent, mais là, ça me travaille. Je n’ai pas eu de nouvelles pour l’instant. Il n’a jamais rappelé et son coup de fil était en numéro masqué. On ne peut pas le rappeler. Je ne sais pas s’il a pu rentrer chez lui, s’il a eu des menaces plus sérieuses, physiques ou verbales.
J’espère qu’il va bien. J’espère qu’il n’y a pas eu de conséquences graves, après ce canular. J’espère qu’il a pu rester chez lui et qu’il n’a pas été mis dehors. J’espère enfin qu’il n’a pas eu de problèmes dans son établissement scolaire, parce qu’il avait peur d’y retourner après l’épisode Hanouna. Il ne faut pas qu’il hésite à nous rappeler, s’il en ressent le besoin. Même en anonyme. Il aura toujours une écoute.
Que craignez-vous après cette séquence dans l’émission ?
Ça fait un an que je suis bénévole à l’association et huit mois que je tiens la ligne d’urgence régulièrement. Habituellement, on a souvent des demandes d’hébergement, des demandes d’écoute, et aussi parfois – c’est plus rare, mais ça arrive – des tentatives de suicide en direct. Des jeunes, mais aussi des personnes de 30 ou 40 ans qui souffrent parce qu’elles ne sont pas acceptées par leur entourage. Il faut savoir que le taux de suicide chez les jeunes homosexuels est 14 fois plus élevé que la moyenne et que les témoignages d’actes homophobes ont augmenté de près de 20% en France en 2016 par rapport à 2015 (article réservé aux abonnés).
On craint que d’autres jeunes homosexuels soient piégés par téléphone. Pas pour être victimes d’une mauvaise blague, mais pour être agressés. Je connais les chiffres par cœur. Sur la ligne d’urgence, on a eu 658 demandes d’hébergement en 2016 pour 80 places par soir. Nous, on n’a pas la place d’accueillir tout le monde. Nous ne disposons d’appartements relais dans quelques grandes villes. Et nous ne proposons des nuits d’hôtels que dans les cas d’extrême urgence. Et les accompagnements peuvent durer de un à six mois.
- SOURCE FRANCETVINFO