Pacsé à un autre homme, Frédéric Hay, employé de banque à Saintes, réclamait depuis 2007 les mêmes droits qu’un salarié marié. L’Europe lui donne raison.
La cinquième chambre de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), implantée au Luxembourg, a rendu son arrêt jeudi 12 décembre : s’appuyant sur la directive 2000-78-CE du Conseil de l’Europe en date du 27 novembre 2000, elle considère que le Thouarsais Frédéric Hay « se trouve dans une situation comparable à celle d’un travailleur qui se marie ».
Frédéric Hay, c’est cet employé du Crédit Agricole de Charente-Maritime et des Deux-Sèvres qui, depuis qu’il s’est pacsé à l’été 2007 avec son compagnon, réclame les mêmes avantages que ceux dévolus aux salariés mariés. A savoir, pour une égalité de traitement stricto sensu, l’octroi d’une prime de mariage exceptionnelle (2.637,85 €) et de jours de congés spéciaux (879,29 €).
La Cour de cassation doit suivre l’avis de la Cour de justice européenne
La CJUE estime, ce qui va à l’encontre de plusieurs juridictions françaises précédemment saisies ces dernières années, que la convention collective du Crédit Agricole « crée une discrimination directe fondée sur l’orientation sexuelle à l’encontre des travailleurs salariés homosexuels pacsés ». Ce qui s’avère « interdit en droit européen dans les relations de travail », poursuit la CJUE.
La décision entérinée courant 2014
Attention, cette décision n’a pas de valeur exécutoire. « La Cour de cassation avait posé, fin mai 2012, une question préjudicielle (*) à la Cour de justice de l’Union européenne, détaille Me Hélène Masse- Dessen, le conseil de Frédéric Hay devant la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire français. Nous allons donc retourner devant la Cour de cassation », qui devra alors trancher définitivement. L’avocate pense que le dossier de son client sera de nouveau examiné dans le courant de l’année 2014. Et indique que la Cour de cassation n’a pas d’autre choix que celui d’entériner la décision préjudicielle de la CJUE. C’est ce que pense également Me Azédine Lamamra, qui a défendu les intérêts de Frédéric Hay devant la Cour de justice.
" Grande satisfaction "
L’avocat spécialisé en droit européen tire « une grande satisfaction » de cet arrêt : « Il s’impose à toutes les juridictions nationales et législations des pays de l’Union européenne. Il existe encore des discriminations entre personnes mariées et pacsées : elles devraient être abolies. »
Avant d’avoir ce mot pour le Deux-Sévrien : « Je suis admiratif de son combat. Il ne s’est pas démonté face à ce poids lourd européen qu’est le Crédit Agricole. »
(*) Le renvoi préjudiciel permet aux juridictions des États membres, dans le cadre d’un litige dont elles sont saisies, d’interroger la Cour sur l’interprétation du droit de l’Union ou sur la validité d’un acte de l’Union.
Une victoire juridique "
- Frédéric Hay, né à Thouars et âgé de 42 ans, est employé du Crédit Agricole depuis 1998. Il est conseiller commercial à l’agence de Saintes et délégué syndical Sud. « Je suis clairement satisfait : j’attendais une décision dans ce sens-là depuis le début, en 2007. C’est une victoire juridique qui aura des conséquences très importantes au niveau de l’Union européenne, notamment dans les pays de l’Est, où il est impossible de se marier pour les couples de même sexe. La CJUE a apporté une réponse claire et définitive sur le critère de l’orientation sexuelle. Il reste le critère de la situation de famille : nous souhaitons gagner, devant la Cour de cassation, pour les pacsés de sexe différent. Ce serait une deuxième jurisprudence, aussi très attendue. Mais cette affaire traduit également une certaine méconnaissance du droit, par la justice en France, en matière de lutte contre les discriminations. Nous sommes un pays latin où il y a encore du chemin à parcourir. C’est peut-être parce qu’on n’a pas eu assez de procès de cette envergure. A ce jour, les salariés pacsés du Crédit Agricole de Charente-Maritime et des Deux-Sèvres n’ont toujours pas les mêmes droits que les couples mariés concernant les évènements familiaux. »
- Louis du Hamel, directeur des ressources humaines du Crédit Agricole Mutuel de Charente-Maritime et des Deux-Sèvres. « Nous prenons acte de cette décision et nous suivons l’avancée de l’affaire. Nous verrons bien la position de la Cour de cassation quand elle va traduire tout cela en droit français. En 2008, le Crédit Agricole avait effectivement élargi sa convention collective nationale, un accord de branche non renouvelé deux ans plus tard. En 2007, est-ce que M. Hay avait d’autres possibilités que de se pacser ? Non. Mais est-ce que l’on considère que le pacs est la même chose que le mariage ? C’est un débat de société. Le code du travail français dit non. Nous, nous l’appliquons. »
- Communiqué commun de la fédération Lesbiennes, gays, bi et trans (LGBT) de France, de son centre du Poitou-Charentes, de l’association Adheos et du syndicat Sud de la banque. « Le Crédit Agricole a été officiellement contredit dans sa pratique salariale. Conséquence, le délai de prescription salariale en droit du travail étant de cinq ans en France, tous les salariés pacsés de même sexe, n’ayant pu accéder aux mêmes avantages salariaux liés aux événements familiaux que les salariés mariés, pourront désormais faire valoir leurs droits, et réclamer des dommages et intérêts à leur employeur. Cette bonne nouvelle ne fera pas les affaires du Crédit Agricole qui, a contrario de nombreuses entreprises, n’a pas cru bon de modifier sa convention collective malgré les recommandations de la Halde depuis 2008. »
Un combat judiciaire de plus de six ans
> 11 juillet 2007. Frédéric Hay conclut un Pacs avec son compagnon : il demande à son employeur, le Crédit Agricole de Charente-Maritime et des Deux-Sèvres, l’octroi de la prime de mariage (2.637,85 €) et des jours de congés spéciaux (879,29 €) accordés au travailleur salarié qui se marie conformément à la convention collective nationale de la banque. Refus.
> 11 février 2008. La Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde) recommande au Crédit Agricole d’étendre le bénéfice des avantages à l’occasion d’événements familiaux liés au mariage aux employés pacsés « afin de restaurer l’égalité de traitement entre les salariés ».
> 17 mars 2008. Le Thouarsais saisit le conseil de prud’hommes de Saintes (Charente-Maritime).
> 10 juillet 2008. Le Crédit Agricole modifie sa convention collective nationale pour étendre aux personnes liées par un pacs les avantages des employés mariés. Un accord de branche non reconduit en 2010.
> 13 octobre 2008. Les conseillers prud’homaux rejettent la demande de Frédéric Hay.
> 30 mars 2010. La cour d’appel de Poitiers confirme le jugement prud’homal.
> 23 mai 2012. La Cour de cassation estime que refuser un avantage à un salarié pacsé en matière de rémunération et de conditions de travail prévu pour un collaborateur marié constitue une « discrimination indirecte ». Elle s’abstient toutefois de trancher et demande son avis à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), qui l’a rendu le jeudi 12 décembre 2013.