Quatre ans après le renforcement des lois antigay dans le pays le plus peuplé d’Afrique, les gays et lesbiennes s’enfoncent dans la clandestinité et dans la peur d’une police corrompue.
Une salle quasi vide dans un petit hôtel de Lagos; la sono diffuse de la disco et le light-show fonctionne depuis déjà quelques heures sur la piste de danse. Mais seuls une poignée d’hommes sont présents. «Le gens arriveront plus tard, assure l’organisateur. La plupart attendent de savoir que tout est ok avant de venir.» La scène d’ouverture du reportage d’Emmanuel Akinwotu publié par «The Guardian» résume à lui seul la vie gay au Nigeria. Les homosexuels du pays le plus peuplé d’Afrique (180 millions d’habitants) vivent dans la crainte. Dans tous les esprits, il y a encore la descente de police dans un club de la ville, en 2017, quand 70 hommes avaient été arrêtés.
«Dans la majorité des cas, la police extorque de l’agent aux interpellés, sachant qu’ils redoutent par dessus tout d’être livrés à la justice, qui révélerait leur homosexualité au grand jour», explique Daniel Okoye, un juriste qui vient en aide aux LGBTQ. Les rafles n’ont pourtant pas fait disparaître les soirées gay, mais elles les ont rendues encore plus clandestines. «Les gens veulent quand même vivre leur vie», résume un autre organisateur de soirées.
Arsenal législatif
Même si les militants contestent l’illégalité de l’homosexualité au Nigeria, tout un arsenal de lois répriment les LGBTQ. Les «rapports charnels» entre hommes sont passibles d’une peine de 14 ans de prison. Les législations dans les Etats du nord du pays, inspirées par la Sharia, prévoient la peine de mort par lapidation pour les homosexuels masculins et, localement, des châtiments corporels pour les femmes lesbiennes. De surcroît, une loi interdisant le mariage pour les couples de même sexe, ratifiée par l’ex-président Goodluck Jonathan en 2014, a permis de réprimer les activités conviviales et les manifestations d’affection gay, renforçant encore l’intolérance dans un pays où 97% de la population réprouve l’homosexualité.
«Le principal problème est que les gens ne connaissent pas leurs droits, et même quand c’est le cas, ils ont trop peur pour tenir tête à la police»
Depuis ces dernières lois, les crimes contre les LGBTQ ont évolué, constate Omolara Oriye, directrice d’Initiative for Equal Rights: «Nous voyons mois de cas de violence depuis 2016-2017. Ce qui augmente, c’est les cas d’extorsion, de chantage, d’atteinte aux libertés de réunions et d’abus policiers. Ça se produit à travers des apps comme Grindr et les réseaux sociaux.» Depuis 2015, l’association a reçu plus de 200 appels à l’aide. «Le principal problème est que les gens ne connaissent pas leurs droits, et même quand c’est le cas, ils ont trop peur pour tenir tête à la police», ajoute-t-elle.
La vie sociale des gays se limite de plus en plus aux domiciles. Or même ces cadre privés apparaissent comme fragiles. Ainsi Samson (prénom d’emprunt) a-t-il longtemps accueilli des amis gay sans argent ni job, rejetés par leur famille en raison de leur homosexualité. En mars 2017, un des participants à une fête organisée chez lui en son absence a pris des photos des autres convives et essayé de les faire chanter. Les victimes ont à leur tour tenté d’extorquer de l’argent à leur logeur. «J’ai dû mettre tout le monde à la porte, raconte Samson. Cela arrive souvent quand les gens de notre communauté sont désespérés.»
Nulle part où se confier
Ce climat de peur pèse lourd sur la santé mentale de la communauté, où drogue, alcool et comportements autodestructeurs sont courants. «Si tu es gay au Nigeria, même si tu es assez riche pour te permettre une thérapie, peux-tu vraiment te confier à un thérapeute? Non tu ne peux pas», résume Ade Toyin, psychiatre à l’International Centre for the Advocacy of Rights to Health, dans la capitale. Elle s’est battue pour que sa structure, l’une des rares spécialisées dans la santé mentale au Nigeria, s’ouvre aux LGBTQ. Elle note toutefois que les hommes sont relativement mieux lotis en raison des programmes de lutte contre le VIH, où ils sont ciblés prioritairement.
De fait, les lesbiennes sont encore plus invisibles que les hommes gay. Azeenarh Mohammed, une avocate de 32 ans, est l’une des rares à vivre ouvertement et à travailler auprès d’elles au sein de la fondation Heinrich Böll à Abuja: «On a cette pression pour qu’on se marie à un certain âge. A cause de ces structures patriarcales, les femmes sont plus faciles à contrôler et à dominer.» Comme beaucoup, elle est partie à l’étranger pour vivre sa vie plus librement, mais elle est ensuite revenue pour tenter de faire changer les choses au Nigeria. En 2011, l’avocate a ainsi profité d’une invitation à parler environnement devant l’Assemblée nationale, peu après un vote du Sénat sur l’interdiction du mariage homosexuel, pour évoquer la défense des LGBT devant un parterre d’élus médusés. «Ils étaient sous le choc, vous pouvez imaginer. Après, certains ont demandé que je sois arrêtée. Mais je connais mes droits, et être gay n’est pas encore illégal au Nigeria.»
- SOURCE 360CH