NEWS
Les actualités
 d’ADHEOS

Dans un récent rapport, l’association Helem de défense des droits des personnes homosexuelles recense 4 007 violations enregistrées en 2021, parmi lesquelles des arrestations, des faits de tortures et des chantages perpétrés notamment par les forces de l’ordre.

Le 16 mars un ancien soldat libanais condamné en mai 2021 à un mois d’emprisonnement pour homosexualité a vu sa peine annulée. Cet homme de 29 ans avait déserté l’armée libanaise à la suite d’accusations portées contre lui en référence à l’article 534 du code pénal qui criminalise les relations sexuelles « contre nature ». Son orientation sexuelle, mais aussi le rapport intime qu’il avait eu avec un collègue militaire durant le service, avaient fait l’objet d’une affaire pénale devant le tribunal militaire. L’affaire, dénoncée par l’association Helem qui milite pour les droits de la communauté LGBT+*, avait suscité une réaction de l’organisation internationale à but non lucratif « Legal action worldwide (LAW) », constituée d’avocats et de juristes défenseurs des droits de l’homme dans les zones affectées par les conflits. LAW avait donc fait appel de la décision d’emprisonnement devant le tribunal militaire, réclamant son annulation et la reconnaissance de l’innocence de l’ancien soldat, son client. La décision finale a été rendue le jour même de l’audience d’appel, rapporte LAW. La peine de prison a été annulée. L’ex-soldat est néanmoins tenu de s’acquitter d’une amende de 300 000 livres libanaises.

En dépit de l’amende à verser, le revirement intervenu dans cette affaire représente sans nul doute une victoire pour la communauté LGBT+ du Liban. Elle intervient alors qu’explosent les violations des droits des personnes homosexuelles, selon un récent rapport publié par l’ONG Helem. Rien qu’en 2021, Helem a répertorié 4 007 violations, contre 2 161 en 2020 et 522 autres en 2019. L’écrasante majorité d’entre elles étaient liées au logement, à l’emploi, à l’accès aux soins de santé, aux moyens de subsistance et à d’autres indicateurs socio-économiques. Des chiffres inquiétants qui prouvent encore que dans un pays qui criminalise encore les relations entre personnes de même sexe, – l’article 534 du code pénal et d’autres articles évoquant la moralité publique – l’homosexualité et l’identité LGBT+ sont exclues, voire combattues, sur le plan des droits sociaux, économiques et politiques. Et pourtant, la Constitution libanaise garantit la protection des droits humains et l’égalité des citoyens.

Une communauté particulièrement touchée par la crise

En ces temps d’effondrement généralisé au pays du Cèdre, la communauté LGBT+ a été parmi les plus durement touchées par les impacts combinés du soulèvement populaire de 2019, de la pandémie de Covid-19, de la crise économique et des conséquences de l’explosion au port de Beyrouth en 2020. Cette tragédie avait particulièrement sinistré les quartiers de la capitale où vivait et travaillait une importante concentration de personnes LGBT+. « Depuis la détérioration de la situation économique et jusqu’aujourd’hui, le nombre d’incidents enregistrés liés à la violence à caractère sexuel et sexiste (SGBV) a augmenté de manière alarmante », constate Waël Hussein-Chamas, responsable de la protection et des services au sein de Helem. Les raisons de cette flambée ? « Le manque d’emplois et l’exclusion des personnes LGBT+ des espaces de travail », répond-il. La situation n’a rien d’exceptionnel. Mais avec la diminution significative des opportunités de travail sur le marché de l’emploi local, « les chances d’embauche déjà minimes de la communauté homosexuelle sont devenues encore plus ténues, en particulier celles des personnes non-binaires (qui ne se sentent ni homme ni femme, ou les deux) », explique le militant. « Précarisées par le chômage, ces personnes dépendent souvent de l’aide d’autrui, ce qui, dans de nombreux cas, aboutit à l’exploitation, au harcèlement sexuel, au chantage et à d’autres types de violence », note-t-il. Conséquences les plus pénibles, « certaines personnes n’ont d’autre choix que de recourir au sexe de survie, synonyme de relations sexuelles non protégées, d’usage forcé de substances illicites, avec les risques de détention qui y sont liés ».

Selon le rapport d’Oxfam réalisé en 2021 en collaboration avec Helem, 70 % d’un échantillon des 101 personnes LBGT+ interrogées avaient perdu leur emploi au cours de l’année précédente, contre 40 % pour l’ensemble de la main-d’œuvre. Résultat, 41 % des personnes étaient incapables de payer leur loyer, 35 % d’entre elles ont été forcées de déménager ou de réduire leur niveau de vie et 39 % n’avaient accès ni à un logement sûr, ni même à un abri. Une détérioration de la qualité de vie qui a eu un impact profond sur la sûreté, la sécurité et la survie de la communauté. « L’explosion de la demande pour les besoins de base est devenue telle, que Helem a dû inclure le soutien socio-économique dans ses interventions, aux côtés d’autres organisations LGBT+ et d’initiatives communautaires », indique Waël Hussein-Chamas.

Violence à caractère sexuel et sexiste

À cette réalité s’ajoute la criminalisation de l’homosexualité qui empêche les membres de la communauté d’accéder à la moindre protection étatique, plus particulièrement les victimes de SGBV. Bien au contraire, les violations des droits des personnes homosexuelles ont été traditionnellement perpétrées par l’État, en particulier par la myriade de bureaux et d’appareils sécuritaires qui opèrent parallèlement les uns aux autres, constate Helem. « Des institutions telles que les Forces de sécurité intérieures (FSI) et la Sûreté générale (SG) ont été actives dans la perpétration du plus grand nombre d’arrestations et de détentions arbitraires de personnes LGBT+ en vertu de l’article 534 du code pénal et de tout autre article relevant du domaine de la décence et de la moralité publique… », souligne le rapport. « En 2021, 369 violations ont été enregistrées contre des personnes LGBT+, de la part d’instances étatiques ou non étatiques (sur base de cinq indicateurs analysant la violence à caractère sexuel et sexiste) soit 12 arrestations, 66 cas de chantage exercé, 254 cas de violences physiques, 30 cas de viol et 7 cas de trafic sexuel », souligne Nour el-Khazen, directrice de programme au sein de l’ONG, dans un communiqué conjoint de Helem et de l’ONG tunisienne Mawjoudin qui milite également pour les droits de l’homme et ceux de la communauté homosexuelle. Ces chiffres, qui concernent aussi bien les citoyens libanais que les réfugiés syriens, seraient largement sous-estimés. Et pour cause, reconnaît l’ONG, la grande réticence des membres de la communauté homosexuelle à informer une partie externe de leur arrestation « en raison de la honte et du danger associés au fait d’être révélés comme étant des LGBT+ ». Il en est de même des viols, violences physiques, chantages ou trafics sexuels exercés à leur encontre. « De nombreuses personnes préfèrent tolérer les mauvais traitements au poste de police plutôt que de risquer que l’incident soit partagé avec leurs familles et leurs cercles sociaux , relève le rapport. De plus, toute arrestation extérieure à la brigade des mœurs du poste de Hobeiche, à Beyrouth, n’est pas signalée à Helem, vu le dysfonctionnement et le manque de ressources des appareils sécuritaires libanais, en ces moments de crise profonde. » Sans oublier que les raisons des arrestations sont diverses, pouvant être liées à un manque de papiers officiels pour les réfugiés syriens, à des soupçons de possession de substances illicites ou encore à une suspicion d’enrôlement dans le travail du sexe. Il n’en reste pas moins que les personnes en état d’arrestation ont révélé avoir été soumises à différentes formes de maltraitance, « à la torture, à des abus de langage », affirme Nour el-Khazen. Parmi les autres formes de maltraitance citées par les personnes arrêtées, « les faux aveux soutirés par la force dans le cadre du processus d’interrogatoire, contre la promesse de réduction de leur condamnation et de meilleurs traitements ».

Quelles solutions dans ce contexte ? « Opérer une réforme juridique et gouvernementale pour assurer l’inclusion en toute sécurité des personnes LGBT+ dans les services publics, afin de leur fournir une protection dans les lieux de travail et de tenir responsables les auteurs de violations », observe Waël Hussein-Chamas. Une réforme qui doit nécessairement passer par l’amendement de lois homophobes on ne peut plus archaïques.