Président de la Gay Pride puis de la Lesbian & Gay Pride de Paris de 1991 à 2000, Jean-Sébastien Thirard est mort dans la nuit du 3 au 4 mars, à l’âge de 61 ans. Son ami de lutte, Denis Quinqueton, codirecteur de l’Observatoire LGBTI+ de la Fondation Jean Jaurès, rend hommage à “un humble militant pénétré d’idéal”.
“Humble militant pénétré d’idéal”. “Humble” ne veut pas dire stupide. “Idéal” n’est pas “irréaliste”. “Humble militant pénétré d’idéal” : cette formule exprime joliment qui était Jean-Sebastien Thirard, président de Gay Pride, puis Lesbian & Gay Pride de Paris, entre 1991 et 2000, mort à l’âge de 61 ans. Mais elle ne saurait le résumer.
Quand nous nous sommes connus, il était secrétaire de rédaction à L’Humanité, à L’Humanité-Dimanche pour être précis. Sacré métier dans un sacré journal ! Jean-Seb était fin, indéniablement cultivé, avait un sens de l’humour acéré d’où l’autodérision n’était pas absente. Cet assez grand échalas avait un sacré charme.
Son métier, sans doute, sa belle personnalité, assurément, faisaient que, pendant nos années militantes (la photo date de ces années-là), je ne redoutais pas de lui faire relire mes textes truffés de fautes. Ses retours n’étaient jamais condescendants. Souvent moqueurs, ironiques, délivrés avec son large sourire et ses yeux rieurs, mais jamais condescendants. C’est peut-être un détail pour vous, mais pour moi ça veut dire beaucoup, tant l’orthographe est, d’habitude, un instrument de détestable surplomb social.
Jean-Seb jouait du piano aussi, mais assis, lui. Enfin la plupart du temps. Ça en faisait un magicien à mes yeux tant le son de cet instrument me transporte. Il avait d’ailleurs fini par en faire son métier quand celui de secrétaire de rédaction avait été enfoui dans les plans sociaux de la réorganisation de la presse des années 2000. Il l’enseignait. Autrement dit, il partageait sa passion avec beaucoup de pédagogie.
Il était joueur et nous avons passé quelques nuits avec une joyeuse petite bande, flanqués de quelques bouteilles, autour de plateaux de jeux de société dans son appartement de la rue des Pyrénées.
C’est pendant la longue bataille pour faire naître ce qui sera le Pacs – nous y avons passé huit ans, quand même ! – que j’ai découvert ses qualités militantes et humaines. Au cours de réunions, déjà assez longues, qui avaient lieu au Duplex, bar singulier de la rue Michel-le-Comte accueillant les militant·es, il arrivait à articuler et à faire parler d’une seule voix – pas nécessairement la sienne, c’était son intelligence – un mouvement militant LGBT qui avait une indéniable capacité centrifuge et était parsemé de quelques egos solidement dimensionnés. Et quand la Gay Pride a pris fait et cause pour le CUCS, disait-on à l’époque, après d’intenses débats internes, ça a compté. Pensez, des dizaines de milliers de personnes, puis davantage encore, qui défilent derrière une banderole “Nous nous aimons, nous voulons le CUCS”, ça aide à peser dans un univers politique qui, à quelques notables exceptions près, entrait dans le sujet à reculons.
Jean-Seb a été un homme dans son époque, militant LGBT, fondamentalement antiraciste, amoureux de la liberté, franchement à gauche, parce que la question du partage des richesses croise évidemment ces combats-là aussi. Il a été un homme, de belle manière, avec ses convictions et ses doutes.
Et, comme Anne Sylvestre… “J’aime les gens qui doutent, les gens qui trop écoutent leur cœur se balancer
J’aime les gens qui n’osent s’approprier les choses, encore moins les gens
Ceux qui sont assez poires pour que jamais l’histoire leur rende les honneurs…”
On ne s’était pas recroisé depuis cette satanée pandémie de covid. J’enrage. Je ne peux que continuer de soliloquer la chanson d’Anne Sylvestre : “Et qu’on les remercie, qu’on leur dise, on leur crie ‘merci d’avoir vécu !'”.
Source : tetu.com