“Notre père fondateur a vécu une vie longue et déterminante.” Les autorités de la Namibie, en Afrique australe, ont salué en ces termes la mémoire de Sam Nujoma, premier président du pays, mort ce samedi 8 février à l’âge de 95 ans. À la tête de la Swapo (pour Organisation du peuple du sud-ouest africain), mouvement de libération qu’il avait cofondé en 1960, Sam Nujoma avait obtenu par la lutte armée, en 1990, l’indépendance de la Namibie vis-à-vis de l’Afrique du Sud, encore sous le régime de l’apartheid et qui avait repris la tutelle du territoire à l’Allemagne au terme de la Première Guerre mondiale. Après avoir fait modifier la Constitution pour s’offrir un troisième mandat présidentiel, le “Vieux” avait quitté le pouvoir en 2005, à 75 ans, non sans avoir désigné un fidèle comme successeur à la tête de ce pays stable de deux millions d’habitants.
Derrière son statut de père de l’indépendance namibienne, l’ancien chef d’État était connu pour ses accointances avec son homologue marxiste du Zimbabwe, Robert Mugabe, mort en 2019 après avoir dirigé pendant 30 ans son pays d’une main de fer sans jamais le sortir de la ruine économique. Dans leur croisade commune contre l’Occident, tous deux ont désigné dès le milieu des années 1990 le même bouc émissaire : les homosexuels. Ironique, quand on se souvient que nombre des législations homophobes en vigueur sur le continent après les indépendances sont justement issues de la loi coloniale, en premier lieu celle de l’Empire britannique (le code civil napoléonien, appliqué dans les colonies françaises, ne punit pas la sodomie). C’est aussi le cas en Namibie, où le crime de sodomie était un héritage du droit romain néerlandais dans le droit sud-africain jusqu’à ce que la Cour suprême ne l’abroge en juin 2024.
Homosexualité : l’Afrique vs. l’Occident
En 2013, un article de recherche intitulé Une Afrique homophobe ? (spoiler : non, toute l’Afrique n’est pas homophobe vs. un Occident qui serait entièrement tolérant) relève que la “soudaine émergence de l’« homosexualité » comme enjeu majeur dans l’espace public de nombreux pays d’Afrique” au début du XXIe siècle plonge ses racines “dans une histoire plus longue, notamment dans la partie sud du continent”, en particulier dans les attaques des présidents Mugabe et Nujoma “contre l’homosexualité vue comme une dépravation importée de l’Occident dans les années 1990”.
“Nous condamnons les tentatives d’ajouter de nouveaux droits qui sont contraires à nos normes, nos croyances, nos valeurs et nos traditions. Nous ne sommes pas gays !” radotait encore Robert Mugabe, 91 ans, en septembre 2015 à la tribune des Nations unies. En 2013, lors de sa dernière campagne pour sa “réélection”, il avait décrit les homosexuels comme “pires que les porcs, les chèvres et les oiseaux”, envisageant de leur “couper la tête”.
“Confrontés à un soutien public en baisse et à la menace d’une défaite électorale”, analyse en 2023 l’ONG de défense des droits humains Human Rights Watch (HRW), des hommes politiques d’Afrique australe ont emboîté le pas à Robert Mugabe qui avait “découvert une cible potentielle et un langage injurieux qui a touché une corde sensible parmi son peuple”. Et HRW de prendre pour exemple Sam Nujoma, en citant une déclaration officielle de son parti la Swapo : “Nous n’allons pas permettre à des individus ayant des pratiques étrangères telles que l’homosexualité de détruire le tissu social de notre société.”
“La Namibie n’autorise pas l’homosexualité”
Sam Nujoma présente en effet l’homosexualité non seulement comme “contre-nature” mais aussi comme “non-africaine”, c’est-à-dire comme une “idéologie étrangère et corrompue”, une déviance importée de l’Occident et menaçant de détruire la nation. En 1995, la Swapo lance une campagne homophobe en Namibie, se servant notamment de l’accusation d’homosexualité, infamante dans une société conservatrice, pour discréditer des adversaires politiques. En mars 2001, lors d’un discours prononcé à l’Université de Namibie, le président Nujoma proclame : “La République de Namibie n’autorise pas l’homosexualité ni le lesbianisme. La police a reçu l’ordre de vous arrêter, de vous expulser et de vous emprisonner.”
“La seule explication logique que nous pouvons donner aux commentaires de Nujoma, réagit alors le directeur de la Société nationale pour les droits humains (NSHR) en Namibie, est qu’il s’agit d’une tactique de diversion visant à détourner l’attention du public de problèmes brûlants comme le chômage et d’autres problèmes sociaux dans ce pays.” Classique, mais efficace.
Las, depuis le début du XXIe siècle cette rhétorique regagne du terrain dans plusieurs pays d’Afrique, encouragée cette fois par les leaders religieux, qu’ils soient musulmans comme au Sénégal ou évangélistes comme en Côte d’Ivoire. Ainsi, quand l’Ouganda vote au printemps 2023 l’une des lois anti-homosexualité les plus répressives au monde (elle prévoit la peine de mort en cas de récidive), le président Yoweri Museveni félicite son Parlement d’avoir “rejeté la pression des impérialistes”. Et la Namibie, signale un rapport alarmant d’Amnesty International paru début 2024 sur les droits LGBT+ en Afrique, n’échappe pas à cette “forte montée du sentiment anti-LGBT”, qui se traduit politiquement : dans la foulée de la reconnaissance par la Cour suprême des mariages homos contractés à l’étranger, le Parlement namibien a adopté en juin 2023 deux projets de loi restreignant le droit au mariage aux couples hétéros.
Source : tetu.com