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 d’ADHEOS

Accusé d’inaction face à leurs souffrances, crûment exposées à la barre, le cardinal Barbarin a fait face pour la première fois mardi, devant le tribunal correctionnel de Lyon, aux victimes d’un prêtre pédophile de son diocèse.
 
 
Tandis qu’il regardait jusque-là droit devant lui, baissant parfois la tête, l’archevêque a changé d’attitude quand a débuté l’audition des plaignants, prenant attentivement des notes, et levant même le doigt pour répondre à l’un d’eux.
 
Mgr Barbarin et cinq anciens membres du diocèse sont jugés depuis lundi pour non-dénonciation d’agressions sexuelles et, pour deux d’entre eux, "omission de porter secours". Le procès, prévu initialement jusqu’à mercredi, débordera sur la journée de jeudi.
 
Alexandre Hezez, 44 ans, est le premier à témoigner à la barre après avoir été le premier à avoir déposé plainte – en 2015 – contre le père Bernard Preynat, qui l’avait "violenté sexuellement entre ses 8 et 11 ans".
 
En 2014, il s’était d’abord adressé au cardinal pour qu’il écarte le prêtre, toujours au contact d’enfants, mais voyant "que rien ne se passait et que plein d’autres victimes qui pouvaient parler étaient réduites au silence", l’ancien scout avait écrit au procureur l’année suivante.
 
Après avoir rencontré Alexandre Hezez en 2014, "j’agis à la seconde", rétorque l’archevêque de Lyon, qui s’empresse à l’époque de "consulter Rome" sur ces faits "graves mais anciens". La réponse du Vatican ne tarde pas: il faut écarter le prêtre mais "sans scandale".
 
Mgr Barbarin affirme avoir pris en 2015 la sanction "maximum" en son pouvoir en lui interdisant de célébrer la messe et les sacrements, en plus de lui retirer sa paroisse. Cette sanction, au final, ne sera effective que dix mois plus tard, fondue dans les mutations ordinaires de l’Eglise lyonnaise.
 
Bien tardivement, pour les parties civiles. Mais ce qui met surtout Alexandre Hezez "en colère", c’est d’apprendre que le cardinal était déjà au courant des agissements passés du père Preynat, alors qu’il pensait les lui avoir appris.
 
"Star de la pédophilie"
 
Dès 2011, une autre victime du prêtre, Laurent Duverger, âgé de 50 ans aujourd’hui, avait en effet entamé une démarche auprès du diocèse.
 
A la barre, ce plaignant a livré mardi un récit cru des agressions subies entre 1978 et 1982, quand l’aumônier des scouts lui imposait baisers et caresses.
 
Sept ans plus tôt, il avait été rassuré par un membre du diocèse, l’actuel évêque de Nevers Thierry Brac de la Perrière, l’un des mis en cause au procès: "on m’a dit alors que Preynat était hors d’état de nuire, ça me suffisait". Il considère aujourd’hui que c’est "un mensonge" et souhaite que "quelqu’un endosse le fardeau d’avoir maintenu pendant 25 ans un homme dangereux au contact d’enfants".
 
Interrogé à son tour, François Devaux, cofondateur de l’association La Parole Libérée à l’origine des révélations, explique que lui aussi pensait qu’avant 2014, le diocèse ne savait rien du passé de Preynat. Mais de ses propres souffrances, il a du mal à parler, par "pudeur".
 
Prolixe sur celles des autres, il l’est beaucoup moins sur la sienne, fait remarquer un avocat des parties civiles, Me Jean Boudot. Qui parvient, avec beaucoup de justesse, à préciser au tribunal l’"intérêt à agir" de François Devaux: si quelqu’un avait porté plainte contre Preynat avant ses victimes, il aurait sans doute eu "un parcours de vie" plus facile. A la barre, le plaignant acquiesce.
 
Son émotion est palpable mais elle n’empêche pas un avocat du cardinal, Me André Soulier, d’ironiser sur son statut de "star". "Star de la pédophilie, on fait mieux", réplique le plaignant du tac au tac.
 
Un autre, Pierre-Emmanuel Germain-Thill, évoque à la barre "les masturbations" du père Preynat et la façon dont il les a reproduites pendant des années. "Ma vie sentimentale a été gâchée", confie celui qui, comme les autres, s’est longtemps cru "seul avec son petit secret".