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 d’ADHEOS

Ceux qui aident les homosexuels tchétchènes, persécutés dans leur pays, à se mettre à l’abri, racontent à franceinfo les difficultés de cette fuite.
 
Enlèvements, coups de barres de fer, décharges électriques, privations d’eau et de nourriture, humiliations, racket… Et enfin, la fuite. En mars, les premiers témoignages relatant les tortures infligées aux homosexuels tchétchènes sont remontés jusqu’aux antennes moscovites des ONG de protection des droits de l’homme. Pour la première fois, cachés derrière des pseudonymes dans des appartements aux adresses tenues secrètes, Ilia, Muslim, Nortcho et d’autres victimes ont raconté leur calvaire.
 
Des témoignages d’une extrême violence, révélés le 1er avril par le journal russe d’opposition Novaïa Gazeta (lien en russe), mais une parole rare et précieuse, en provenance d’un territoire décrit pas l’ONG russe Memorial comme "un Etat totalitaire au sein de la Fédération de Russie."
 
Le bihebdomadaire évoque une centaine d’arrestations et au moins trois meurtres. Des persécutions qui ont poussé des dizaines de personnes à s’enfuir. Et pour ceux qui les aident à reconstruire leur vie ailleurs sont unanimes : pour ces réfugiés gays, sortir de leur pays d’origine n’est que la première étape d’un long chemin vers la liberté.
 
La clandestinité : "Même entre nous, on ne baisse pas notre garde"
 
"Il n’y a pas d’homosexuels en Tchétchénie" a balayé le porte-parole du régime au lendemain des révélations de Novaïa Gazeta. En surface, il a raison. D’ailleurs, peu d’articles et de témoignages documentent la vie des homosexuels en Tchétchénie. En 2013, Ksenia Leonova, une des rares journalistes à avoir recueilli sur place la parole de l’un d’eux, décrivait déjà (lien en anglais) l’enfer vécu par ces hommes qui, au sein d’une société profondément homophobe, entretiennent clandestinement ces relations inavouables. "Même entre nous, on ne baisse pas notre garde. Tu discutes avec trois amis gays et d’un coup, l’un d’entre eux va changer soudainement, jouer au dur et traiter tout le monde de pédé. Ce n’est pas de sa faute, c’est comme ça. Tout est si ambiguë ici", résumait le jeune homme qui se confiait à elle, racontant un microcosme dans lequel tous se connaissent, se fréquentent et se craignent.
 
Car quiconque est "outé" condamne sa famille à la honte : une perspective insupportable dans une Tchétchénie à majorité musulmane où la justice coutumière est encouragée par le régime autoritaire du président Ramzan Kadyrov. "Si quelqu’un de ma famille découvre que je suis gay, cette personne n’hésitera pas un instant avant de me tuer. Et si personne ne me tue, ce sont eux qui se feront tuer, pour ne pas avoir su préserver l’honneur de la famille", assure un Tchétchène de 28 ans, caché à Moscou et cité par l’AFP.
 
"En Tchétchénie, les homosexuels se marient et font des enfants comme tout le monde, car un homme de 30 ans qui n’est pas marié et n’a pas d’enfant, c’est suspect, étrange", explique à franceinfo Sergey Khazov-Cassia, un journaliste russe de RadioLiberty qui a rencontré plusieurs victimes (lien en anglais) de la récente vague de répression. "Au quotidien, ils prennent énormément de précautions. Ils se renseignent beaucoup avant de rencontrer quelqu’un, veillent à avoir des amis communs, etc. D’ailleurs, beaucoup ont si peur qu’ils ne rencontrent pas d’hommes en Tchétchénie, mais dans les républiques voisines, au Daguestan, à Krasnodar kraï [région du sud de la Russie où se trouve notamment la ville de Sotchi], et pour ceux qui ont de l’argent, à Moscou ou Saint-Pétersbourg", poursuit le journaliste.
 
La traque : "Les policiers piègent les homosexuels"
 
Ce climat de terreur a longtemps permis aux autorités tchétchènes de pratiquer le chantage, explique Sergey Khazov-Cassia. "Les policiers piègent les homosexuels : ils les approchent sur Vkontact, l’équivalent de Facebook, ou via des applications. Ils discutent parfois des mois avant de convenir d’un rendez-vous, pour gagner leur confiance. Quand finalement l’un d’eux accepte une rencontre, il se fait tabasser et filmer. Les agresseurs menacent ensuite de montrer la vidéo à la famille si la victime refuse de payer. Un garçon que j’ai interviewé a été piégé par des amis qui avaient filmé leurs conversations, il s’est fait extorquer l’équivalent de 40 000 euros", détaille le journaliste à franceinfo, par téléphone depuis Moscou. "Et encore, ça, c’est en temps ‘normal’, avant cette dernière vague d’arrestations." Dès décembre, beaucoup d’homosexuels avaient d’ailleurs déserté les réseaux sociaux ou avaient supprimé les applications de rencontre après une première campagne de violences.
 
Les victimes des arrestations de la mi-mars décrivent toutes le même mode opératoire : des hommes en tenue militaire les ont arrêtés, battus, enfermés dans des lieux isolés au milieu de prisonniers décrits comme "toxicomanes" et torturés jusqu’à ce qu’ils livrent des noms de connaissances homosexuelles. Les téléphones portables des victimes ont été fouillés, boostant encore le nombre d’arrestations, confie une victime rencontrée par Le Monde.
 
Une fois relâchés et rendus à leurs familles, les prisonniers n’ont souvent d’autres choix que la fuite. Parfois avec femme et enfants : "Ils mentent à leur femme en disant qu’ils doivent fuir pour une autre raison. Ça arrive tellement souvent que les gens soient arrêtés et tués pour rien en Tchétchénie, qu’elles ne sont pas surprises", poursuit le journaliste.
 
La fuite : "Partir le plus loin possible de chez eux"
 
Les ONG ont déserté le territoire, à l’image du Comité contre la torture, encore établi dans la république caucasienne en 2015, qui a dû se résoudre à la quitter après une nouvelle attaque contre son président, constamment menacé et violemment battu dans la rue. Les autorités, police incluse, participent de cette répression et les familles, terrifiées, se retournent contre les leurs. Alors "quand une personne nous contacte depuis la Tchétchénie, il faut agir vite, avant qu’il ne soit trop tard", explique Svetlana Zakharova à franceinfo. Dès le lendemain des révélations de la presse d’opposition, le réseau russe dans lequel elle milite, le LGBT Network, a diffusé une adresse e-mail et un numéro d’urgence, afin d’organiser depuis Moscou l’exfiltration des homosexuels en danger.
 
"Quand une personne appelle, on lui demande seulement un nom et où elle se trouve, afin d’organiser son départ de Tchétchénie dès le lendemain. Nous avons un protocole très précis pour assurer la sécurité des victimes", décrit-elle depuis son bureau moscovite. "Très peu de gens ont accès à ces informations personnelles. Les personnes sont mises à l’abri dans des endroits tenus secrets et leurs noms ne sont pas révélées", poursuit-elle, prudente.
 
Quant aux journalistes qui cherchent à entrer en contact avec des victimes, ils doivent garantir l’anonymat des témoins. Eux racontent la peur et les violences, sans jamais donner d’information d’ordre privé permettant de les identifier, eux et leurs soutiens. Dans une Russie qui a promulgué une loi contre la "propagande homosexuelle à l’égard des mineurs", en 2012, les activistes et journalistes qui révèlent les exactions du régime de Kadyrov, protégé de Vladimir Poutine, sont également menacés.
 
Au 21 avril, 75 personnes s’étaient adressées au LGBT Network, dont 30 avaient quitté la Tchétchénie", détaille le journaliste Sergey Khazov-Cassia. "Mais je pense que d’autres ont quitté le territoire sans l’aide de l’ONG. En fait, ils ne font pas confiance non plus aux activistes." "C’est difficile pour eux d’entrer en contact avec nous, car ils sont très méfiants", confirme Svetlana Zakharova. "Mais là, ils sont dans une situation désespérée. Soit ils restent et sont certains de se faire arrêter, torturer, voire tuer, soit ils prennent le risque de nous appeler. Ils se résolvent à nous faire confiance parce que, que peuvent-ils faire d’autre ?"
 
"Peut-être que certaines victimes ont pu rester en Tchétchénie en versant de l’argent. La plupart rêve de partir, mais ce n’est pas simple pour tout le monde, car les Tchétchènes sont très attachés à leurs familles et ont souvent peur que leur proches qui restent dans la république ne fassent l’objet de poursuites des autorités", poursuit ainsi le journaliste Sergey Khazov-Cassia. Ces hommes estiment qu’ils seront plus en sécurité à Moscou, mais d’autres veulent partir en Europe, en France ou en Allemagne et, dans l’idéal, le plus loin possible de chez eux, en Argentine ou en Australie."
 
 
La honte : "Ils n’arrivent même pas à dire ‘Je suis gay’"
 
Dans sa ville de Hambourg, en Allemagne, Wanja Kilber n’a pas constaté d’arrivée de Tchétchènes fuyant cette dernière vague de répression. Artiste et activiste LGBT originaire du Kazakhstan, ancien pays d’URSS en Asie centrale, il a cofondé l’association Quarteera, dédiée aux homosexuels, bisexuels et transgenres russophones installés outre-Rhin.
 
Depuis sa création en 2011, la structure a aidé près de 80 personnes ayant quitté la Russie et les anciennes républiques soviétiques, y compris celles du Caucase, explique-t-il. Pour beaucoup d’entre eux, notamment pour les Tchétchènes, le danger demeure alors qu’ils retrouvent des membre de leur propre communauté à l’étranger, dans les foyers d’hébergements ou d’autres réfugiés fuient le régime de Kadyrov.
 
"Il y a une importante communauté tchétchène en Allemagne. Avec eux, les homosexuels souffrent des mêmes persécutions que celles qu’ils fuient dans leur pays. Ils ont peur des autres Tchétchènes et doivent parfois partager leur chambre avec eux dans les centres pour réfugiés", raconte Wanja Kilber, qui a dû faire reloger plusieurs personnes après des violences.
 
Si, une fois à l’étranger, "certains intègrent la communauté LGBT et sont heureux de ne pas avoir à se cacher, d’autres ont encore beaucoup de mal à évoquer leur homosexualité", conclut Wanja Kilber. "La honte est très forte. Certains n’arrivent même pas à dire simplement : ‘Je suis gay’", explique-t-il. Au moment de prétendre au statut de réfugiés devant l’administration allemande, "l’autre grand problème, ce sont les traducteurs, détaille Wanja Kilber. Ils sont souvent originaires du même pays que les demandeurs d’asile. Cela arrive qu’ils refusent de traduire les moments où la personne évoque son homosexualité. Il faut que nous soyons dans la pièce pour corriger la traduction car cela est essentiel pour comprendre l’histoire de cette personne." Sans quoi, leurs témoignages n’existent pas. Pas plus que les invisibles gays de Tchétchénie.