Ces derniers jours, plusieurs articles de Rue 89 mettent sur le devant de la scène médiatique des questionnements sur les pratiques du Refuge, association qui accueille des jeunes en situation de rupture familiale.
Dans la période de crise que nous vivons, la précarité touche particulièrement les jeunes LGBT. Nombre d’entre elles/eux, du fait de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre, ne peuvent pas compter sur leur famille là où elle est – pour les autres – un lieu de solidarité et de protection inestimable. La situation des jeunes qui se retrouvent chaque année précarisés à raison notamment des LGBTphobies de leur famille est de plus en plus critique, de plus en plus urgente, et ne peut souffrir d’aucun amateurisme.
Nous n’avons pas l’intention d’affirmer ou d’infirmer les informations rendues publiques dans ces récents articles de presse. C’est à la direction du Refuge d’y répondre – sereinement – par la voie qu’elle jugera nécessaire. A ces questions cependant s’ajoutent des problématiques éthiques qu’il nous semble – en tant que militant-e-s – nécessaire de faire connaître, dans l’intérêt des jeunes LGBT en situation de précarité.
Une communication sensationnaliste qui fait débat
Le travail social est un métier ingrat. Il ne peut pas s’accompagner d’une communication victimaire et voyeuriste. Que penser des jeunes surexposés aux médias, répondant aux interviews télévisées, sollicités pour des interventions en milieu scolaire, bombardés de photos postées sur le mur Facebook et le compte Twitter de l’association ? Que dire de leur consentement à l’image et à une visibilité militante ? Il ne s’agit pas de cacher la détresse consécutive à la rupture familiale et au rejet lié aux LGBTphobies. Mais les jeunes concerné-e-s méritent de la quiétude. Ils/elles méritent un refuge au sens premier du terme.
Les associations LGBT se sont construites autour du concept d’affirmation. C’est aussi le sens du mot « fierté » dans nos Marches revendicatives annuelles. Revendiquer à la première personne, s’affirmer tel que l’on est. Cette affirmation doit être le fruit d’un cheminement personnel. On doit pourvoir s’affirmer quand on se sent suffisamment fort pour affronter le monde extérieur qui n’est pas toujours bienveillant. Il est contradictoire de vouloir protéger ces jeunes qui ont vécu des histoires traumatisantes tout en les sur-exposant. De notre point de vue, il y a nécessité à laisser les jeunes se reconstruire en paix, et privilégier les témoignages de celles et ceux qui en sont sorti et qui sont pleinement maîtres de leur vie en s’imposant tout un panel de dispositifs de protection de la vie privée qu’ont pu développer depuis longtemps déjà les associations LGBT d’aide aux victimes d’agressions et de discriminations.
Une stratégie militante qui met mal à l’aise
La stratégie militante de l’association, basée sur l’utilisation du sensationnalisme pour susciter les dons, nous pose des problèmes éthiques. Nous avons été très choqué-e-s par exemple par l’instrumentalisation qu’a fait en juin 2014 Le Refuge de la mort du jeune Peter – qui avait passé une semaine dans la structure quelques mois auparavant. Malgré les conclusions du parquet d’Albertville privilégiant la thèse de l’accident, l’association communiqua abondamment à l’époque sur l’hypothèse du suicide de ce jeune homme rejeté par sa famille, accompagnant ses communiqués d’appels au don.
Le Refuge accepte par ailleurs de servir de caution aux personnalités politiques qui, pour certaines, se contrefichent de la lutte contre l’homophobie mais rachètent leur conscience en faisant un don et accompagnent leur opération de communication d’une photo au milieu des jeunes victimes de LGBTphobies. Le Refuge a ainsi ouvert ses portes à Christine Boutin pendant la présidentielle de 2012, celle-là même qui n’a eu de cesse de lutter contre les droits des LGBT et qui qualifia en avril 2014 l’homosexualité d’ « abomination ».
Renforcer les missions du Refuge tout en changeant d’échelle
Nous ne doutons pas un instant de l’énergie et de la sincérité des bénévoles et des salariés impliqué-e-s au sein du Le Refuge et nous pensons nécessaire que les missions de l’association soient pérennisées et renforcées. Nous l’appelons à faire preuve de mesure dans ses modes de communication et à faire œuvre de transparence en autorisant une autorité indépendante à réaliser un audit financier et organisationnel de la structure.
Nous appelons aussi à un changement d’échelle. Il est temps de construire une offre plus large incluant les lesbiennes et les trans. Il est temps de former et de sensibiliser l’ensemble des professionnel-le-s du secteur sur les conséquences sociales des LGBTphobies. Les responsables politiques doivent mettre en place une vraie politique publique de prise en charge des jeunes LGBT exclu-e-s, plutôt que de se contenter de subventionner des structures associatives
Alors que vient de s’ouvrir la campagne des Restos du Cœur, on peut s’interroger sur une forme de cynisme d’Etat qui – incapable d’assurer des missions essentielles de solidarité – délègue de plus en plus la gestion des difficultés sociales et de la lutte contre l’exclusion aux associations. Les organisations LGBT ont une part de responsabilité dans le fait d’avoir laissé s’installer une offre associative sans revendiquer pleinement l’évolution des pratiques publiques. Car la forme associative n’est pas parfaite, notamment sur un secteur – celui du travail social – où le professionnalisme s’impose.
Signataires : Nicolas Gougain, ancien porte-parole de l’inter-LGBT ; Delphine Aslan, porte-parole de FièrEs ; Stephane Corbin, ancien porte-parole de la fédération LGBT ; Vanessa de Castro, porte-parole de FièrEs ; Mathieu Nocent, ancien porte-parole de l’APGL et de l’inter-LGBT; Nicolas Bighetti de Flogny, ancien porte-parole de l’association Rimbaud.
- Source huffingtonpost.fr