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 d’ADHEOS

Comme d’autres minorités, les homosexuels sont les grands absents de la publicité généraliste. Pourtant, depuis la première pub télé homo en 1982, la société a grandement évolué sur ces questions. Annonceurs, créatifs, mais d’où vient le problème?
 
V ous les gays, vous en voulez toujours plus.» La remarque est lancée comme ça, entre deux verres, lors d’une discussion entre amis sur la situation des homos dans la société française :
 
«- Oui, les homos sont quand même beaucoup mieux acceptés dans la société. Regarde, il y en a dans les séries, dans les films et même dans la pub.
– Dans la pub?
 
– Mais oui, on en voit tout le temps!
 
– Tu as des exemples?
 
– Euh… La pub McDo ouais, et puis, et puis… tu sais il y avait cette pub Ikea.
 
– Il y a quinze ans oui. On en voit assez rarement en fait.
 
– Oh si, de toute façon ça ne sera jamais assez. Vous les gays vous en voulez toujours plus!»
 
Cet échange m’a rappelé (outre le fait que je ferais bien de mieux choisir mes amis) que les personnages LGBT sont encore peu nombreux dans la publicité, et que surtout, quand ils sont là, ils sont soit clichés, soit invisibles aux yeux du grand public."
 
En dehors de la publicité McDonald’s, la dernière publicité télévisuelle «sérieuse» est celle de Renault, difusée il y a près de trois ans. Dans le registre de l’humour, il y a aussi l’actuelle campagne de pub d’Orangina. Eh oui, vous ne l’aviez peut-être pas remarqué, mais le puma est gay.
 
Autre exemple: le couple homosexuel présent dans l’une des dernières campagnes de la MAIF. Cela dure 5 secondes, et il y a de fortes de chances pour que, si vous n’êtes pas gay (et en couple), vous ayez pris les deux bonshommes pour des colocataires. Une manière de parler aux homos sans se mettre à dos le reste de la population.
 
Bien sûr, et comme le remarquait mon interlocuteur, il y a les publicités pour le luxe et la mode («Mais oui, tu sais bien, la pub Gaultier enfin, avec le marin presque nu.»). Sauf que celles-ci mettent souvent en avant un homo-érotisme artistique qui peut être décodé par chacun comme il l’entend, et que le luxe joue hors catégorie: le secteur possède ses propres codes et ne cherche pas à se rapprocher de son client mais à s’en éloigner.
 
Le constat demeure, donc: à part dans la presse spécialisée, on ne peut pas parler de «pub gay». Mais d’où vient le problème, frilosité du public, des annonceurs ou des créatifs [1]?
 
L’effet «buzz» des pubs gays
 
Pour Gérard Siad, le président du Syndicat national des entreprises gays (Sneg), ce n’est pas le public qui est à mettre en cause:
 
«Même si les annonceurs peuvent penser le contraire, je crois sincèrement que le public est prêt. Je pense même que la frilosité vient plutôt des annonceurs, même si il y a des progrès timides.»
 
Effectivement, en trente ans (en 1982, Eram était la première marque à utiliser des références à l’homosexualité pour vendre des chaussures), le nombre de pubs mettant en scène des gays n’a pas substantiellement augmenté alors que des avancées sociétales importantes ont eu lieu: la dépénalisation de l’homosexualité et le Pacs sont passés par là et aujourd’hui, 63% des Français sont pour l’ouverture du mariage aux homosexuels et 57% en faveur de l’adoption.
 
La responsabilité incomberait donc davantage aux annonceurs. D’ailleurs, même les marques qui mettent en scène l’homosexualité ne chercheraient pas forcément à s’accorder avec l’opinion des Français, mais davantage à créer le buzz. C’est l’analyse de Brigitte Rollet, chercheuse à l’université de Versailles qui a notamment travaillé sur l’homosexualité dans les séries françaises:
 
«Il ne faut pas se dire que les marques et les annonceurs cherchent à exprimer une avancée sociétale quelconque. On cherche simplement à avoir un effet qui va faire le buzz et dans ce cas-là il s’agit de l’homosexualité. Avec Internet, on sait que l’on va être vu des millions de fois. Il y a un calcul froid qui est effectué.»
 
Une prise de risque trop «segmentante»
 
L’idée que les marques se font de leur public est également en cause: elles ne considèrent pas les gays et les lesbiennes comme une cible potentielle. Ceux-ci sont jugés trop marginaux pour être pris en compte.
 
En gros, si vous ne voyez pas une famille homoparentale vendre un monospace, c’est parce que les marques ont effectué un calcul coût/prise de risque: concrètement, il y a là l’idée que les homos achèteront de toute façon des produits de masse, tandis que les hétérosexuels risqueraient de se tourner vers une autre marque car ils ne s’identifieraient pas aux personnages de la pub.
 
Quand on demande à Peugeot, qui fait pourtant de la pub dans la presse LBGT, pourquoi ses campagnes n’intègrent pas de personnages gays (à la différence de Renault, qui avait fait parlé de lui en mariant deux hommes dans une pub), le constructeur explique:
 
«On veut s’adresser au plus grand nombre. La 206 CC est partenaire de la Gay Pride parce que c’est un produit particulier à forte valeur identitaire. Pour les publicités sur des produits mainstream comme les monospaces, on veut s’adresser à un public très large, il faut que tout le monde puisse s’y retrouver.»
 
Comme le remarque Eric Macé, sociologue à l’université de Bordeaux qui a notamment écrit Les imaginaires médiatiques (2006, éd. Amsterdam), faire une publicité avec un personnage homo est perçu comme «trop segmentant»:
 
«Les marques n’en voient tout simplement pas l’intérêt. Le marché gay sur des produits de grande consommation est minuscule. On a une logique de standardisation, c’est normal que l’on n’en parle pas parce que ce n’est pas encore banalisé. En fait, tout se joue vraiment sur la volonté d’une marque d’être créative et innovante.»
 
Un conservatisme d’entreprise
 
Innovante, oui, sauf que les annonceurs ne sont pas là pour revendiquer quoi que ce soit mais pour vendre. Les agences de pub ont-elles donc également leur part de responsabilité dans cette situation?
 
Pour Fabien , planneur-stratégique dans une agence de pub parisienne, la faute est à chercher du côté des marques:
 
«Les agences de pub et les créatifs veulent faire des truc nouveaux. Il faut bien comprendre que c’est mieux pour elles, vu qu’elles sont aussi en compétition sur un marché. A mon avis, il n’y a aucune autocensure politique.»
 
Si le problème vient selon lui avant tout des annonceurs, ce n’est pas forcément une question de blocages à un niveau personnel:
 
«Plus la marque est grosse, plus on a des processus internes de validation et des bureaux à passer. C’est une formidable machine à émousser, notamment sur la question de l’homosexualité. Il faut être le plus consensuel possible, mais pas uniquement sur cette question.»
 
Cela explique pourquoi les petites marques font plus facilement des publicités qui sortent de l’ordinaire. En mettant en scène un couple de lesbiennes sur une de leurs affiches, The Kooples n’a rien à perdre. D’une part parce que cela ne risque pas de choquer sa clientèle, mais aussi parce que la marque peut surfer sur cette image perçue comme différente.
 
Le mariage pour tout changer?
 
Au vu de cette frilosité des marques, peut-être l’ouverture du mariage pour les couples homosexuels et la reconnaissance de l’adoption changera-t-elle les choses. Pour Fabien, cela est certain:
 
«Je suis sûr et certain que les marques vont surfer d’une manière ou d’une autre sur le mariage. De manière un peu opportuniste, on aura sûrement une entreprise qui trouvera le moyen de faire un clin d’œil à l’actu.»
 
Le président du Sneg se montre plus pessimiste :
 
«On risque de revivre ce qui s’est passé pendant le Pacs avec des débats très durs autour de la question gay. Je ne suis pas certain que, commercialement parlant, une marque souhaite s’engouffrer sur le sujet alors qu’il est au cœur d’une polémique.»
 
Le constat un peu déprimant. Ce n’est pas demain la veille que la publicité sortira de ses clichés sur les gays… et sur le reste. Ce n’est pas non plus comme si les noirs, les asiatiques ou les arabes couraient les affiches de pub. Pas de familles homoparentales pour vendre une voiture ou des pâtes, mais pas de famille «de la diversité» non plus.
 
[1] L’annonceur est la marque ou l’entreprise qui paye pour la publicité. Les créatifs travaillent pour les agences de pub