« Vous voulez savoir si les cathos de l’église au coin de votre rue sont plutôt réac ou progressistes : regardez les filles autour du curé pendant la messe. S’il n’y en a aucune, vous n’êtes pas du côté de l’ouverture. »
Cette « blague », que m’a faite un curé, m’est revenue quand j’ai vu cette info du 16 octobre dernier : la carte de France de l’exclusion des femmes de la liturgie. L’initiative est signée du Comité de la jupe, une association catholique qui milite pour la place des femmes et des laïcs dans l’Eglise. Son bilan : sur 325 paroisses recensées, 39% excluraient les filles de l’autel, lieu sacro-saint de la construction du pouvoir dans le catholicisme.
Attention, on ne parle pas ici de la question des femmes prêtres, clairement pas en odeur de sainteté au Vatican, mais de l’interdiction d’exercer des fonctions ouvertes aux fidèles dans le rituel, comme celle d’enfants de chœur (ces marmots en aube blanche censés assister le prêtre à la messe).
A priori, que les garçons aident le prêtre quand les filles chantent dans la chorale ne semble pas changer grand-chose au schmilblick. Et pourtant… D’après l’une des fondatrices du Comité de la jupe, la théologienne Anne Soupa, ces exclusions seraient le signe d’une poussée réactionnaire dans l’Eglise :
« Au lendemain du concile Vatican II, l’investissement des laïcs a été largement encouragé et l’Eglise s’est féminisée. On a eu l’impression d’une vague de progrès, qui s’est arrêtée dans les années 90, et la tendance restauratrice s’est fortement accentuée dans la dernière décennie. »
90% de femmes… subalternes
Résultat, aujourd’hui l’Eglise se retrouve dans un paradoxe, que rappelle la sociologue Céline Béraud, qui a étudié les questions de genre dans le catholicisme et la division du travail religieux entre les sexes :
« Les femmes n’ont jamais été aussi présentes dans l’Eglise. Pour environ 11 000 prêtres actifs, on compte 9 500 laïcs (selon une enquête de La Croix) avec une mission officielle, dont 90% de femmes. Elles sont actives dans tous les domaines, les aumôneries de prison, les écoles, dans les évêchés, etc.
Et pourtant, elles ne sont pas pleinement reconnues par les autorités et se retrouvent parfois exclues de la liturgie. Or, dans le catholicisme, la liturgie est le lieu par excellence où se construit la légitimité et la visibilité. »
Annick, 60 ans, est ce qu’on appelle un pilier de l’Eglise, avec trente années d’enseignement de la catéchèse à son actif et des engagements multiples :
« La misogynie, je l’ai toujours plus ou moins vécue. Dans le catéchisme par exemple, je n’ai pu choisir mon manuel qu’une seule fois en trente ans. C’est toujours le prêtre qui doit décider. Nous ne pouvons pas être traitées éternellement comme des subalternes alors que tout repose sur nous. »
Et pour cette pratiquante, aujourd’hui la fracture est de plus en plus forte entre les paroisses :
« Depuis quelque temps, une paroisse de mon voisinage a décidé de “ ne plus demander ” aux femmes de distribuer la communion. Je ne comprends pas, je voudrais simplement en discuter, mais on m’a envoyée balader.
Il y a vingt ans, le climat était plus serein, moins identitaire. Maintenant, sans jamais dire clairement “ on interdit ” ceci ou cela, on nous mène en bateau. »
La femme est « faite pour servir »
Même son de cloche du côté de Gonzague Jobbé-Duval, qui a participé à l’élaboration de la cartographie des exclusions :
« Chez moi, à Paris, les filles n’ont pas le droit d’être enfant de chœur, mais on leur a créé un service spécial. Elles portent une petite cape blanche, pour les différencier des garçons, et distribuent les feuilles de chant à l’entrée de l’église ou réceptionnent la quête. Pendant toute la messe, elles sont planquées dans les travées latérales, ne s’approchent jamais de l’autel.
C’est un ministère de compensation, optionnel, qui n’est même pas prévu par les textes canoniques. Et cela participe au discours ecclésial qui idéalise la femme et lui assigne une vocation particulière. De par la maternité, elle serait spontanément un être pour l’autre. Cela légitime en fait qu’elle soit “ au service de ” ».
La phobie des femmes
Rappelons qu’une partie des catholiques ne partagent pas l’indignation du Comité de la jupe et se satisfont pleinement du discours officiel. Mais pour Anne Soupa, il en dit long sur le regard que porte le clergé sur les femmes :
« L’Eglise a une phobie des femmes. Cela se traduit logiquement sans le verbaliser par la peur de les voir pénétrer dans l’espace sacré, qu’elles pourraient souiller de par leur impureté. Le discours de l’Eglise, où seuls des hommes se permettent de dire ce que sont les femmes, et qui a pleinement intégré les qualités féminines en son sein, est trompeur.
Sous prétexte d’exalter les différences entre les sexes en flattant les qualités féminines, elle en a évincé les vraies femmes. Le piège est terrible pour certaines d’entre nous, qui par un discours élogieux sur la douceur, la bonté et la maternité, se retrouvent dans une prison dorée qui nous subordonne complètement à l’homme ».
Des prêtres à tout prix ?
Au-delà de cette « peur » des femmes, les nouvelles exclusions s’expliqueraient par un changement de cap pris par l’Eglise, qui mise désormais tout sur la figure du prêtre, le retour vers l’espace sacré et le « recentrage » dogmatique pour tenter d’enrayer la crise qu’elle traverse.
Mais pour Anne Soupa, la volonté de susciter des prêtres à tout prix est le talon d’Achille de l’Eglise :
« Elle choisit une stratégie suicidaire face à la crise des vocations qu’elle traverse. Ce ne sont pas une centaine de prêtres par an qui vont la sauver.
Arc-boutés sur cette question, la plupart des évêques, quoique très attachés à Vatican II, se font piéger par un réflexe de peur, acceptent de puiser dans les communautés traditionalistes, qui amènent des prêtres et de l’argent, ou font appel à des prêtres de l’étranger, au mépris d’une règle de l’Eglise, qui veut que les communautés génèrent leurs propres prêtres. »
Vague identitaire
Au final, la boutade que m’avait lancé ce curé sur les paroisses réacs’ et progressistes reconnaissables à leur liturgie sans femme révélait quelque chose d’assez subtil.
Si elle parle des questions de genre, cette exclusion liturgique montre aussi un divorce consommé au sein du catholicisme :
Pour Céline Béraud :
« Cette affaire révèle la très grande pluralité de l’Eglise, pourtant quasi invisible de l’extérieur. Deux pôles divergents s’opposent : l’un, plus identitaire, que l’on retrouve dans la mobilisation contre le mariage pour tous par exemple, et l’autre, celui de l’ouverture, qui a désormais du mal à se faire entendre et manque de porte parole.
Or, le vent a tourné et l’épiscopat reflète désormais plutôt un catholicisme d’identité. Résultat, une partie des fidèles ne se retrouvent plus dans le discours de l’Eglise. »
Les médias ne parlent que des réacs’
C’est le cas de Sophie, 29 ans, qui se désole de voir ses amis toujours plus nombreux à quitter le navire :
« Les médias généralistes ne parlent que d’une partie des catholiques, les plus réacs’, très actifs sur les réseaux sociaux, car leur discours est tout prêt et frappe les esprits.
Les prêtres se disent donc que ce sont eux l’avenir. Mais moi, ce que je vois, c’est qu’en réalité ils font fuir beaucoup de catholiques, qui n’en peuvent tout simplement plus de se sentir exclus !
Le pire c’est qu’ils ne se rendent même pas compte. Et quand je vois la mobilisation contre le mariage pour tous, je me dis que ça n’est pas près de changer. »
Sophie, elle, n’ira pas grossir les cortèges d’opposants au projet de loi socialiste. Et a déjà prévu de ne pas allumer sa radio le jour de la prochaine manif.
- Source Rue 89