Que se passe-t-il au sein de la fondation Le Refuge à Besançon dans le Doubs ? Exclusions récurrentes, mégenrage, pouvoir solitaire et non-respect du règlement par le délégué départemental, opacité concernant la gestion de l’antenne du Doubs…, des bénévoles et anciens jeunes accueillis dénoncent.
La fondation Le Refuge, spécialisée dans l’aide et l’accueil aux jeunes victimes d’homophobie ou transphobie en rupture familiale, avait fait la une des journaux en 2020 à la suite d’une enquête de Mediapart.fr. Plusieurs jeunes hébergés dénonçaient alors une “prise en charge défaillante”. D’après un audit indépendant régnait également un fonctionnement quasi-sectaire au sein de la structure et un management agressif de sa direction. Ces révélations avaient abouti à la démission des dirigeants de la fondation.
Cette fondation créée en 2003 dispose de nombreuses antennes locales. C’est le cas à Besançon, en Franche-Comté, où se trouve un appartement d’accueil. Les témoignages qui nous sont parvenus font état de graves dysfonctionnements, qui perdurent tant dans l’accueil de personnes LGBTQI+ que dans le fonctionnement bénévole de la structure.
Des jeunes hébergés en souffrance
Céline, travailleuse sociale de métier, a été bénévole au Refuge Besançon entre mi-avril et mi-mai 2022. Elle dénonce de “graves dysfonctionnements” au niveau local, et elle n’est pas la seule. À Besançon, Le Refuge dispose d’un appartement d’accueil pour héberger jusqu’à six jeunes en situation de rejet et de rupture familiale. Céline souhaitait s’impliquer dans ce projet pour aider les jeunes LGBTQI+, bien consciente des difficultés qu’ils ou elles traversent et des violences multiples qu’ils subissent tout au long de leur parcours de vie. Ce qu’elle y a découvert l’a d’abord interpellée, puis profondément choquée.
Dans un premier temps, elle pointe du doigt le manque de personnels qualifiés au sein de cette structure qui accueille des jeunes aux parcours de vie extrêmement difficiles, en grande détresse psychologique et en perte totale de repères. Pourtant, au Refuge à Besançon, aucun personnel n’est salarié de la fondation. Le fonctionnement de la structure locale ne repose que sur des bénévoles. “Lors de mon entretien pour devenir bénévole, j’ai été très étonnée qu’on ne me pose aucune question. Peu importe qui vient proposer son aide, on ne cherche pas à s’assurer si cette personne est bienveillante ou pas ”, nous explique-t-elle. Cette information nous a été confirmée par plusieurs anciens bénévoles.
Très rapidement, les jeunes accueillis se confient à la bénévole et ne cachent pas leur mal-être. “Ils ne se sentaient pas bien accompagnés, ils me disaient ne pas faire confiance au délégué, se sentir mal” , poursuit la jeune femme qui décide d’informer le délégué en question, responsable de la structure, pour tenter de trouver des solutions et d’apaiser la situation.
Malgré toute la bonne volonté des bénévoles, ce genre de public doit être accompagné par des gens formés.
Céline, ancienne bénévole au Refuge 25
Les jeunes accompagnés par Le Refuge sont dans la grande majorité des personnes ayant subi des violences multiples, physiques, morales et/ou sexuelles et ayant des difficultés à vivre en autonomie. En 2021, 395 jeunes ont été hébergés dans des appartements comme celui de Besançon, dans l’une des 18 délégations présentes sur le territoire français.
Les personnes homosexuelles ou transgenres rejetées par leur famille sont très vulnérables. “Lorsque l’on est face à des personnes transgenres, la transidentité rend encore plus difficile le quotidien et notamment l’accès à l’emploi”, précise Céline.
“La structure a dérivé”
En effet, le profil des jeunes accueillis a changé avec les années avec de plus en plus de personnes transgenres, comme nous l’explique également Jean-François*, ancien bénévole au Refuge 25. “Cela nécessite un vrai accompagnement. On a eu rapidement une formation sur l’accueil et le non-jugement, ça ne suffit pas ”, nous dit-il, précisant que “le fonctionnement s’est dégradé. La structure a dérivé en se disant, on offre un toit, on offre à manger, quelques amusements et ça suffit.”
Lui aussi met en cause le fonctionnement mis en place par le délégué qui “a le droit de faire ce qu’il veut”. “On a reproduit au niveau local, ce qui était reproché au niveau national il y a quelques années… avec une prise de pouvoir solitaire, aucune écoute, et aucune confiance ni dans les jeunes, ni dans les bénévoles”, détaille-t-il, “sans animosité” mais avec un énorme sentiment de “gâchis” pour un projet “magnifique sur le papier”.
Une autre ancienne bénévole ajoute : “Le délégué ne souhaite s’encombrer de personne… Il n’est pas compétent dans les fonctions qu’il occupe et refuse le recrutement de bénévoles formés dans l’accompagnement. Pire, il « vire » sous des prétextes mensongers toute personne dérangeante par le fait qu’elle pointe du doigt les dysfonctionnements”.
Inès*, bénévole encore en poste au moment où nous écrivons cet article, nous confirme son souhait de quitter la structure, pour ne plus “être associée à une délégation qui met les jeunes, à [son] avis, plus en danger encore qu’ils ne le sont déjà.” Elle dénonce le “manque de transparence dans les motifs de renvoi de jeunes et de bénévoles” , “sans avertissement préalable ou exclusion temporaire stipulés dans le règlement” .
Il a un manque de confiance et un problème avec l’argent.
Jean-François*, ancien bénévole au Refuge 25
Certains faits graves nous sont également rapportés. Le délégué n’hésiterait pas à mégenrer les jeunes accueillis, pourtant en transition de genre. “Il appelle les jeunes par leur ancien prénom et dit que ce n’est pas grave. Ce n’est pas possible au Refuge ce genre de comportement !”, nous rapporte-t-on à plusieurs reprises. Il exercerait une forme de pression sur les jeunes qui ne se rendent pas aux permanences en refusant de leur distribuer la nourriture de la semaine. “Il y avait une forme d’emprise avec la nourriture”, analyse Jean-François*. Il enfreindrait également des règles pourtant établies, tout en reprochant aux jeunes de ne pas respecter le règlement. “Il est interdit d’entrer dans l’appartement avant 10h. Lui le fait, sans prévenir les jeunes”, poursuit Céline.
“Le responsable a le droit de faire ce qu’il veut. Il vient quand il veut, il ouvre les portes des chambres des jeunes, sans prévenir. C’est un comportement pathologique. On a à faire à quelqu’un qui a un besoin de contrôle”, ajoute Jean-François*. Les visites sont pourtant censées être faites en binôme afin d’assurer la sécurité de chacun. “Le délégué effectue des visites ‘surprises’ sans deuxième personne ! Chose strictement interdite pour tout bénévole par le règlement du Refuge”, confirme Inès*. “Toute décision est prise par le délégué qui a réussi à obtenir les pleins pouvoirs”.
La gestion financière opaque du délégué est également pointée du doigt par les bénévoles interrogés. “Chaque demande des jeunes a toujours été quasi systématiquement refusée avec des arguments discutables. Il dit que de toute façon ils gagnent de l’argent, qu’ils se prostituent, qu’ils trafiquent, qu’ils n’ont pas besoin de ci ou ça” . Des faits de “harcèlement moral” sur certains ou certaines hébergées nous sont également rapportés.
Mise à la porte de l’appartement d’une heure à l’autre
Les personnes transgenres subissent des violences quasi-quotidiennes sur l’espace public. Beaucoup subissent des insultes, des agressions et même des viols. Leur proposer un accompagnement psychologique solide s’avère indispensable.
Layenna, 21 ans, garde un souvenir extrêmement négatif de son passage au Refuge 25. Elle est arrivée à Besançon le 12 juin 2022, après avoir subi des violences physiques de la part de son père qui refuse sa transidentité. Elle a été accueillie entre juin et septembre dans l’appartement du Refuge 25. “Je suis arrivée et on m’a demandé de signer un contrat pour l’appartement sans même me laisser le temps de le lire. Je n’ai même pas eu de copie du contrat. On m’a demandé de payer 50 euros de caution tout de suite, alors que je n’avais aucun argent sur moi. On ne m’a rien dit d’autre, aucun conseil sur les associations, sur un suivi psychologique…” , se souvient-elle.
“Je n’ai jamais été aidée par le délégué pour construire un projet professionnel ou construire un projet de vie tout simplement”, ajoute Layenna.
Elle dénonce une prise en charge violente psychologiquement, un accompagnement inexistant et un “flicage” permanent du délégué départemental, à la tête de l’antenne. “Un jour, il est entré dans ma chambre pendant que je dormais”. Pour finir, la jeune femme trans a été mise à la porte de l’appartement sans préavis, “d’une heure à l’autre”, car elle avait, elle l’avoue, fait entrer une ancienne résidente dans l’appartement pour qu’elle puisse y récupérer des affaires après avoir été elle-même mise à la porte.
Ce cas d’expulsion n’est pas isolé. Magalie*, également ancienne bénévole du Refuge Doubs, a constaté plusieurs “expulsions des jeunes au gré des humeurs du délégué, sans consultation de l’équipe éducative ou sans prise en compte de son avis. Exclusions sous des prétextes facilement trouvables quand on sait les difficultés du public accueilli, qui n’a jamais appris à respecter un règlement.”
Selon nos informations, plusieurs bénévoles ont également été exclus de la fondation sans aucun avertissement préalable par le délégué.
Sofian, un jeune homosexuel de 19 ans hébergé entre début mars et mi-avril 2022 a lui aussi été “viré” de l’appartement à Besançon par le délégué. Il nous raconte que son passage dans la capitale comtoise a été “très compliqué”. “Je suis de Toulouse, et j’ai d’abord contacté Le Refuge de Toulouse. J’ai été bien reçu là-bas et on m’a proposé d’aller à Besançon. On m’a expliqué comment les choses allaient se passer mais ça n’avait rien à voir avec ce que j’ai vécu à Besançon. On m’a dit qu’on nous aidait à redémarrer une vie, je me suis dit que j’allais m’en sortir. Mais une fois sur place, on était traités comme des animaux”, lâche-t-il sans détour, citant par exemple la nourriture très régulièrement périmée, les remarques désobligeantes et la surveillance exercée par le responsable de la structure d’accueil. “Il n’est pas fait pour ce travail”, conclut-il.
“Un toit sur la tête ou un forfait téléphone ?”
Dans certains échanges que nous avons pu consulter, le délégué n’hésite pas à exercer une forme de pression psychologique sur certains jeunes pour obtenir le paiement du loyer de l’appartement. En effet, environ 10% du salaire des jeunes hébergés, lorsqu’ils parviennent à trouver un emploi, doit être reversé à la fondation sous forme de loyer. “Tu préfères un toit sur la tête ou un forfait téléphone ?”, dit-il à Layenna, qui lui répond qu’un téléphone avec du forfait lui est indispensable pour pouvoir contacter quelqu’un en cas de danger, et qu’elle paiera le loyer dès qu’elle le pourra.
“Il semble évident qu’il devrait être proposé à ces jeunes un accompagnement adéquat qui ne peut pas s’improviser sans formation ou compétences dans ce domaine, encore moins avec une telle personnalité visant à isoler, garder l’emprise et être leur unique référent”, selon l’ancienne bénévole Magalie*.
“La fondation a un magnifique projet mais à un moment donné quand il y a des dysfonctionnements, on se remet en question. On se vante d’accueillir des gens, on leur donne un appartement de la bouffe et c’est tout. A part être dans la réprimande, le rappel du règlement, il ne se passe rien” , dénonce quant à elle Céline, qui a constaté durant son passage au Refuge qu’aucun accompagnement administratif n’était proposé aux jeunes, pas même un livret d’accueil présentant les numéros essentiels de psychologues, d’associations LGBTQI+ de la Ville ou des lieux LGBT-friendly et “safe” dans lesquels ils peuvent se rendre en toute sécurité. “Ils faisaient des jeux de société pendant les permanences. Ils ont besoin d’autre chose”, lance-t-elle.
“Nous avions des difficultés à mettre en place des activités de manière régulière car aucune transparence sur les budgets dédiés n’était proposée”, ajoute Magalie*. “Le délégué a refusé la création d’un poste pour un travailleur social salarié, à mon sens absolument nécessaire. Cette décision a été validée par la direction nationale”.
Tous les bénévoles ou anciens bénévoles interrogés sont catégoriques, au-delà des dysfonctionnements propres à la structure franc-comtoise, le fonctionnement même de la fondation Le Refuge continue à poser question. “Le principe même du délégué est à revoir. En effet, malgré des appels au siège et de multiples témoignages contre le délégué, aucune enquête n’a été effectuée. Il semblerait pertinent d’organiser des élections régulièrement pour permettre un renouvellement du délégué et de l’équipe éducative”, exprime Inès*.
Le délégué suspendu après notre appel
Contacté par France 3 Franche-Comté, le délégué responsable du Refuge du Doubs dit ne pas avoir connaissance des griefs à son encontre. “Je n’ai pas connaissance de ce que vous me rapportez. Je ne peux pas répondre à ce que vous me dites. Les bénévoles qui ne sont plus au Refuge, s’ils ont constaté des dysfonctionnements, ne m’en ont pas parlé. Je vous invite à contacter le service de communication de la fondation”, explique-t-il. Pour rappel, toutes les personnes interrogées disent avoir fait remonter au délégué départemental les problèmes soulevés ainsi qu’à la direction nationale de la fondation Le Refuge, et ce à plusieurs reprises dès le début de l’année 2022.
Nous avons également contacté la direction nationale. Malgré notre insistance pour obtenir un entretien téléphonique avec un ou une responsable, la fondation nationale Le Refuge a choisi de répondre à nos questions par mail. Elle nous affirme que “des dysfonctionnements étaient connus” depuis plusieurs mois et qu’une enquête interne est en cours concernant la délégation du Doubs.
Cependant, l’enquête en question, si elle a été mise en place, n’a pas été mentionnée aux bénévoles en poste ou anciens bénévoles. Aucun entretien individuel n’a eu lieu sur place. De plus, nous avons pu consulter un mail de la direction envoyé à une ancienne bénévole, lui demandant expressément de ne plus entrer en contact avec des jeunes hébergés ou anciennement hébergés par la fondation. Pour précision, cette requête de la fondation Le Refuge ne repose sur aucun fondement juridique.
La direction nationale précise finalement avoir suspendu le délégué départemental, “au vu des nouveaux éléments dont la fondation a pris connaissance”. “La directrice opérationnelle du Refuge a décidé de le suspendre de ses fonctions de bénévole et de mettre cette délégation sous tutelle de la direction, le temps de conclure l’enquête interne en cours”.
“Malgré tous les efforts apportés pour rétablir une situation satisfaisante, la direction a décidé de ne plus orienter de jeunes depuis août dernier suite à de nouvelles alertes qui lui ont été transmises”, ajoute la direction. D’après nos informations, il ne reste également plus que quelques bénévoles au Refuge du Doubs tant la situation est devenue invivable.
Et la direction de conclure : “Nous ne prétendons pas être irréprochables et il peut subsister des lacunes auxquelles la fondation s’efforce de répondre le plus efficacement possible. Nous restons néanmoins convaincus de l’œuvre d’utilité publique que Le Refuge exerce et que nous espérons que vous saurez rappeler.”
(*) Les prénoms ont été modifiés pour garantir l’anonymat de nos témoins.
- SOURCE FRANCE3REGION