L’homosexualité est encouragée tandis que l’amour des femmes est jugé dangereux car il risque de « féminiser » les combattants.
« On peut voir une femme comme une plante qui, en dépit de la beauté de ses fleurs, a toujours des vrilles enserrant l’homme de toutes parts, cependant qu’un jeune garçon garde sa réserve mais possède une délicieuse fragrance de fleurs de prunier. Ainsi, à les comparer, doit-on rejeter les femmes et donner sa préférence aux hommes », écrivait en 1687 le romancier japonais Ihara Saikaku, en feignant de se faire la voix des samouraïs de son temps. Vision nuancée par un auteur anonyme des années 1640 qui ne concède une supériorité au plaisir avec les femmes qu’en ce qu’il assure une descendance.
L’homosexualité est encouragée
D’ailleurs « tous les incidents dont se plaignent les gens et qui peuvent entraîner des torts à soi-même proviennent tous d’histoires avec une femme », renchérira, au début du XVIIIe siècle, l’écrivain Yukisa Raiji pour qui « ceux qui s’adonnent exclusivement à l’amour entre hommes sont des gens fiables, qui connaissent la Voie du guerrier. Ils ne troublent pas les rites et ne cherchent jamais à se faire aimer des femmes ».
Dans la caste fermée des samouraïs, l’homosexualité est encouragée. Durant une grande partie de leur histoire, ces fiers guerriers ont pratiqué le shudo, ou « voie des éphèbes », un système éducatif impliquant une relation homosexuelle entre un adulte et un jeune garçon, comparable à celle de l’éraste et de l’éromène dans la Grèce antique.
Polygamie et liaisons avec les courtisanes ne sont pas exclues
Au Japon, il revient à un guerrier plus âgé de se consacrer à la formation d’un cadet. Cet apprenti samouraï doit, en retour, devenir son amant, le servir en temps de guerre et se métamorphoser en page efféminé en temps de paix, leurs relations sexuelles cessant lorsqu’il devient adulte. Pas plus qu’en Grèce cette homosexualité codifiée n’exclut le mariage, la polygamie et les liaisons avec les courtisanes. En témoignent les innombrables récits galants de Saikaku. Mais gare ! Un trop grand amour pour la gent féminine est suspect, car il risque de féminiser le samouraï. L’amour entre compagnons d’armes lui est d’autant préférable qu’en période de conflit, il faut se méfier des confidences sur l’oreiller d’une femme, toujours encline à bavarder avec l’ennemi.
Cette bisexualité, reconnue et admise, choque le jésuite italien Alessandro Valignano qui, à la fin du XVIe siècle, s’indigne en ces termes : « Ils sont encore plus dissolus en ce qui concerne le péché qu’on ne peut nommer. Ils en font si peu de cas que les enfants et les gens de leur entourage s’en vantent, en parlent publiquement et s’en font un honneur ; d’après l’enseignement de leurs bonzes, non seulement ils ne le tiennent pas pour péché, mais ils y voient une chose si naturelle et si vertueuse que les bonzes se la réservent en quelque manière pour eux-mêmes. »
L’empire du Soleil-Levant fondamentalement machiste ?
Ces derniers n’étaient pas en reste. Selon la légende, ce serait même le moine Kobo-Daishi (774-835), fondateur de l’école bouddhiste Shingon, qui aurait importé cette tradition de Chine avant qu’elle ne soit adoptée par les samouraïs au détriment de leurs épouses. Toujours cette méfiance envers les femmes ! L’empire du Soleil-Levant serait-il donc fondamentalement machiste ?
L’histoire semble indiquer le contraire. En l’an 239, les chroniques chinoises de la dynastie Wei rapportent l’existence d’une puissante reine nippone nommée Himiko. Aux VIIe-VIIIe siècles, le Japon compte six impératrices puis une dame de cour comme Murasaki Shikibu qui, en l’an 1015, signe Le Dit du Genji, texte fondateur de l’imaginaire nippon, tandis que des prêtresses-chamanes veillent sur toutes les campagnes.
Les Japonaises d’aujourd’hui toujours victimes de misogynie
En 1585, la liberté dont jouissent les Japonaises surprend le jésuite portugais Luís Fróis qui la juge bien supérieure à celle des Européennes. Et pourtant, déjà, les épouses de samouraïs, soumises aux devoirs confucéens de piété filiale et d’obéissance au mari, ne goûtaient plus à cette indépendance. Dichotomie qui pourrait avoir laissé ses traces dans le Japon d’aujourd’hui où les femmes jouissent d’une grande liberté et jouent un rôle prépondérant dans la société civile, tandis que le monde de l’entreprise leur demeure peu ouvert. A niveau d’étude égal ou supérieur, une Japonaise y est volontiers reléguée à un emploi subalterne ou précaire, victime d’une misogynie qui pourrait être l’héritage des samouraïs et de leur shudo, pourtant tombé en désuétude à la fin du XVIIIe siècle.
- SOURCE CAMINTERESSE.FR