Depuis la promulgation de la loi contre la "propagande" homosexuelle, les autorités russes multiplient les attaques contre la communauté gay. Quelle est la situation sur place ? Terrence Katchadourian, fondateur de l’association "Stop homophobie", décrit un climat de violence.
Justifier la criminalisation d’un individu en raison de sa couleur de sa peau est inadmissible. Saurait-il en être autrement pour son orientation sexuelle ?
En promulguant la loi liberticide contre la soi-disant propagande homosexuelle en juin 2013, Vladimir Poutine et son gouvernement ont sciemment discriminé une partie de la population mondiale, et ont ainsi légitimé la "chasse aux homos".
Les noirs, les juifs, les homos… Et après ?
Dans la région de Volgograd, dans le sud du pays, un jeune de 23 ans a eu le crâne fracassé après avoir été sodomisé avec des bouteilles de bière. Un autre, dans une localité du Kamchatka, a été battu puis aspergé d’essence, toujours en raison de son orientation sexuelle.
Dans un pays où l’homosexualité était un crime jusqu’en 1993, les déclarations récentes des médias publics et des responsables officiels russes sont autant d’incitations à la persécution voire à la mise à mort des personnes LGBT.
Un jour les noirs, les juifs, les vieux… Le lendemain les homos ? Et après, ce sera au tour de qui et pourquoi ?
"Il n’y a pas de gays à Sotchi", a répété le maire de la ville dernièrement. Pourtant, les témoignages, les photos et les appels à la solidarité que nous recevons quotidiennement au sein de notre association n’ont rien du fantasme. Par contre, oui, il est bien probable qu’il n’y en ait plus du tout s’ils deviennent la proie de tous les extrémistes et des nouveaux défenseurs de la morale, qui agissent avec l’assentiment du pouvoir.
La mise en place d’un système répressif
En Russie, les proches et la famille sont parfois complices de cette haine. Dmitry Isakov, un étudiant et employé de banque de 24 ans, reconnu coupable de propagande homosexuelle pour avoir écrit sur un panneau "Être gay et aimer les gays, c’est naturel. Mais les frapper et les tuer, c’est un crime", a été battu et dénoncé par ses propres parents.
Une transsexuelle de 22 ans s’est suicidée en octobre dernier après avoir été licenciée par la mairie d’Ekaterinbourg qui craignait de tomber sous le joug de la loi concernant les divergences d’orientations sexuelles. Rejetée par sa famille, elle ne l’a pas supporté.
L’adoption de cette législation s’inscrit dans une démarche plus large de privation des droits et des libertés. Face au tollé, les autorités russes ont également limité le droit de manifester durant les Jeux de Sotchi, qui se termineront le 23 février. Un décret présidentiel a d’abord interdit les rassemblements dans la ville du 7 janvier au 21 mars, mais Vladimir Poutine a ensuite revu l’interdiction afin de permettre les manifestations à des endroits choisis par le ministère de l’Intérieur.
Piotr Pavlenski, qui s’est cloué les organes génitaux en novembre 2013 sur les pavés de la place rouge, l’a fait pour protester contre tout un système répressif qui s’est mis en marche.
L’hypocrisie du Comité International Olympique
Le pays est ainsi devenu un vaste terrain de jeux et d’expérimentations pour la toute-puissance de Vladimir Poutine et de ses acolytes. Alors, pourquoi et comment le Comité International Olympique a-t-il pu valider un tel choix mégalomaniaque ? N’est-ce pas incohérent avec la charte des JO ?
Début août 2013, Jacques Rogge, président du CIO, a demandé à Moscou des éclaircissements. Les autorités russes lui ont assuré que cette loi n’empiétait pas sur les intérêts des citoyens, y compris étrangers, que ce soient les sportifs, les organisateurs ou les supporteurs.
Contre toute attente, il annonçait ensuite que le vice-premier ministre russe avait souligné dans leurs échanges que "la législation russe ne prévoit pas de restrictions ni différentes interprétations des droits et de la responsabilité des citoyens selon leur orientation sexuelle. La discrimination des minorités sexuelles, comme toute autre discrimination, est interdite par la Constitution de la Fédération de Russie".
Tous les athlètes seront donc chaleureusement accueillis aux JO de Sotchi indépendamment de leur orientation sexuelle et pourront s’exprimer librement. Vraiment ? Dans ce cas, pourquoi Pavel Lebedev, ce jeune militant LGBT russe a été arrêté pour avoir déployé un drapeau "arc-en-ciel" au passage de la torche olympique à Voronezh ? Et par des gardes qui arboraient en plus le logo du sponsor Coca-Cola ?
La charte olympique bafouée
Si les appels au boycott n’affectent pas directement le pouvoir russe, ne serait-il pas équitable de sanctionner la nation qui déroge à la charte olympique et à ses principes fondamentaux ?
Rien d’exceptionnel en vérité. En 1964, le CIO avait rejeté la participation des athlètes sud-africains aux compétitions, en raison de la politique dite de "développement séparé" qui affectait les populations selon des critères raciaux ou ethniques : l’apartheid. Malgré la promesse d’inclure des athlètes noirs à leur équipe, le CIO avait fermement exigé du gouvernement sud-africain, à majorité blanche, de renoncer publiquement à toute discrimination raciale dans le sport.
Ils ont refusé, ils sont restés interdits des jeux jusqu’en 1992. Le CIO, à l’instar des droits de l’homme aux Nations unies, n’aurait-il dû exiger que la Russie abroge ses lois discriminantes contre les homosexuels ?
La Russie aurait dû être exclue
L’ancien "Etat soviétique" n’a jamais été plébiscité pour ses largesses d’esprit, sa tolérance sinon pour toute une série de violations des droits de l’Homme.
Nous pourrons déverser des litres de Vodka dans les caniveaux, inciter les nations occidentales au boycott, faire de grandes déclarations diffusées sur toutes les chaînes de télévision du monde pour signifier à Monsieur Poutine notre désaccord avec les lois anti-homosexuelles russes, rien n’aurait été plus efficace que d’exclure la Russie.
Contrairement à d’autres suggestions, l’hypothèse d’une interdiction olympique aurait eu des répercussions considérables dans tout le pays. Pour reprendre le slogan de la manifestation de la honte, nous ne lâcherons rien non plus. Jamais, jamais, jamais.
Et personne ne pourra dire qu’il ne savait pas.
- Source NouvelObs