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 d’ADHEOS

Komitid a voulu mettre en lumière l’action d’une association LGBTI+ œuvrant au Sénégal et nous avons interviewé un membre du collectif Free Sénégal.

La situation des personnes LGBTI+ au Sénégal a longtemps été préoccupante, elle est aujourd’hui de plus en plus dramatique.

En décembre dernier,  des députés de l’opposition avaient introduit un texte de loi visant à durcir la législation criminalisant l’homosexualité. Quelques semaines plus tard, un chef religieux demandait lui aussi d’utiliser toutes les ressources légales pour renforcer la lutte contre les personnes LGBTI+. Pour le moment, la majorité parlementaire du Président Macky Sall a déclaré que le sujet n’était pas à l’ordre du jour mais les homophobes ne baissent pas les bras. Dimanche 20 février, des milliers de personnes se sont rassemblées dans le centre de Dakar pour écouter les diatribes homophobes en particulier de chefs religieux.

C’est pourquoi Komitid a voulu mettre en lumière l’action d’une association LGBTI+, comme récemment avec l’association camerounaise  First Humanity Cameroun, et nous avons interviewé Souleymane, du collectif Free Sénégal.

Komitid : Quels sont les objectifs du Collectif Free Sénégal ?

Souleymane : C’est une association loi de 1901, créée en France et dont les actions vont notamment se développer au Sénégal mais aussi dans la sous région : en Gambie mais aussi en Mauritanie où il y a une forte population LGBT déplacée de la sous région. Pour l’association, on a prévu de mener des actions humanitaires et sociales et de combattre les discriminations et les violences contre les personnes LGBT. Pour les activités humanitaires, l’association vise à secourir les personnes qui se trouvent en situation de détresse et de misère en leur venant en aide pour les besoins indispensables et en favorisant leur insertion et leur promotion sociale. Ayant vécu au Sénégal, je sais que c’est la pauvreté et l’absence d’accompagnement et d’insertion qui poussent et qui favorisent l’immigration.

Quelle est votre situation personnelle en France ?

Je n’ai pas voulu partir mais les conditions de vie étaient devenues trop difficiles. J’ai subi une dernière tentative d’assassinat le 5 octobre 2020. Etant sur place, je pourrais mettre l’association en difficulté. Les associations n’ont pas de frontière et je peux utilement travailler depuis la France. Je suis en France où je coordonne l’action du Collectif.

« Dans le cadre de la lutte contre l’homophobie, il y a des actions à mener auprès des immigrés ici en Europe »

Vous avez pu bénéficier du statut de réfugié ?

J’ai bénéficié du statut de réfugié et l’association a pu avoir ses papiers. On a aussi des actions en direction de la diaspora ici aussi. Dans le cadre de la lutte contre l’homophobie, il y a des actions à mener auprès des immigrés ici en Europe car les immigrés peuvent impacter dans leurs familles au Sénégal ou dans d’autres pays. Nous nous sommes donnés comme objectif d’inclure les immigrés dans nos programmes d’action et de sensibilisation. Je commence à m’intégrer en France tout en étant concentré sur les questions relatives à mon pays.

Au Sénégal, des députés de l’opposition ont fait une proposition de loi pour durcir les peines à l’encontre des personnes LGBT. Comment avez-vous réagi à cette mesure-là ?

En tant qu’activiste, l’article 319 du code pénal, qui condamne les actes homosexuels nous pose problème. On avait fait une tribune pour ouvrir le débat sur cette loi. La loi condamnait des personnes supposées homos mais pas dans la vie privée. Cette proposition nouvelle naît du mouvement homophobe à l’encontre de tout ce qui est dignité humaine, elle va à l’encontre des conventions signées par le Sénégal par rapport à la protection des droits humains. Ça pousse aussi les gens à ne pas recourir aux soins, alors que le Fonds mondial finance des programmes d’accès aux soins pour les personnes LGBT.

Au delà des aspects législatifs, des chefs religieux attisent-ils l’homophobie ?

Moi je suis musulman, j’ai grandi dans la ville sainte de Touba, mais je n’ai jamais été d’accord avec cette vision de l’islam. C’est pour cela que les marabouts de Touba ont voulu m’assassiner. J’intervenais à la radio pour critiquer les principes islamiques dont ils parlent pour condamner les personnes homosexuelles. L’islam a mis des garde fous et même dans la charia, pour permettre à chaque personne d’avoir sa dignité et de se défendre lorsqu’il est accusé d’être homosexuel. Mais eux défendent un islam radical…

Mais c’est cet islam radical qui gagne du terrain au Sénégal…

Exactement. Mais que font les députés avec ces mouvements radicaux ? Quelle est la relation de ces mouvements homophobes avec l’Iran ? Pourquoi reçoivent-ils de l’argent de pays étrangers comme la Turquie ou l’Arabie Saoudite ? Pourquoi parlent-ils en arabe dans leur discours sachant qu’au Sénégal nous sommes un pays francophone, à cause de la colonisation. La deuxième langue est le wolof ! Ces discours en arabe s’adressent à qui ? L’islam n’a jamais dit qu’il fallait discriminer l’homosexualité. Le prophète Mahomet a trouvé l’homosexualité sur cette terre. Il n’est venu qu’en 570. Il a vécu avec l’homosexualité. Il ne faut pas que les musulmans pensent que c’est dans la sainteté du Coran, au contraire, ça va à l’encontre de l’islam.

« On ne peut pas réformer l’histoire en disant que l’homosexualité a été exportée par la colonisation. C’est pourtant ce qu’on veut nous faire comprendre »

On a un peu l’impression que ces mouvements instrumentalisent aussi le ressentiment à l’encontre des anciens colonisateurs ? Profiteraient-ils de cette histoire coloniale pour aviver cette homophobie ?

Ce que vous dites c’est tellement vrai mais c’est dramatique pour nous parce qu’on nous dit que c’est durant la période coloniale que l’homosexualité a été exportée vers l’Afrique. Pour nous c’est faux car quand on écoute notre histoire par les griots, ils expliquent clairement qu’en Afrique et singulièrement dans mon pays, le Sénégal n’était pas un pays musulman. Avant, tout ce qui concernait les baptêmes, les mariages, les funérailles étaient gérés par des personnes homosexuelles. Donc on ne peut pas réformer l’histoire en disant que l’homosexualité a été exportée par la colonisation. C’est pourtant ce qu’on veut nous faire comprendre. Et quand Mohamed Mbougar Sarr a écrit son livre (De purs hommes, ndlr) pour expliquer que l’homosexualité a toujours existé au Sénégal, les opposants l’ont réfuté.

La polémique est-elle retombée à propos du livre ?

Oui, ils ont voulu fermer le débat en l’enfermant dans des lobbys homosexuels et maçonniques. Ils n’ont pas voulu ouvrir un débat de fond. Ils n’ont pas écouté l’avis de l’auteur. Ils ont voulu le diaboliser et ils s’attaquent à un bouc émissaire donc on s’attaque à la France. Le livre de Mohamed Mbougar Sarr, les gens de la communauté savent que c’est vrai, les membres du gouvernement ou les gens âgés savent que c’est vrai. Mais toute personne qui dit cette vérité devient une cible.

Mais comment analysez-vous la position du président, qui s’était dit favorable à une évolution avant son élection mais qui depuis s’oppose fortement à tout changement ? Comment voyez-vous l’évolution au Sénégal ?

La population ne sait pas s’il est pour ou contre. Il dit juste que le Sénégal n’est pas prêt. Il a déclaré que les homos sont libres au Sénégal et qu’ils n’auront pas de problème avec le gouvernement. Ce que certains dans la population ont entendu comme : c’est à nos de prendre nos responsabilités. C’est Macky Sall qui a déchainé cette homophobie populaire, parce qu’il n’a pas voulu dire qu’il a le rôle de protéger les 16 millions d’habitants dont les personnes LGBT.

Que demande Free Sénégal ?

Je demande que la France puisse accompagner les organisations sénégalaises parce que sont des organisations qui sont au devant de la protection des droits humains et LGBT. Nous Africains et activistes on ne veut pas attendre que Madame Élisabeth Moreno  se prononce. Ainsi, nous avons mis en place un refuge pour les LGBT en détresse et ça a marché. En novembre 2020, on en a discuté avec l’ambassade de France qui était un peu perplexe sur les chances de succès. Ça a marché. Plus de 95 personnes sont prises en charge depuis un an en matière d’hébergement, pour une période de deux mois. On va monter à 24 pensionnaires et prendre en considération les femmes lesbiennes qu’on n’avait pas pris en compte. Nous avons besoin de financement pour continuer à faire fonctionner ce centre. Nous voulons montrer qu’une association légitime existe, qu’elle sait répondre à ses détracteurs, qui est une vitrine. Si ça change au Sénégal, les choses peuvent changer dans les pays limitrophes. La France doit aussi mieux accompagner les activistes qui viennent en France. Je pense à toutes ces personnes qui ont eu le statut de réfugié (en raison de leur orientation sexuelle, ndlr) mais qui finissent au McDo. C’est une réflexion qu’on doit mener. On veut que les activistes et militants reconnus et qui bénéficient des visas puissent être accompagnés afin qu’ils restent dans le combat et qu’on soutienne ceux qui sont là-bas. Car nous sommes en sécurité ici mais nous laissons beaucoup de gens qui restent derrière nous et qui ne sont pas en sécurité.

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