Grâce aux investigations et aux témoignages recueillis par plusieurs médias, les contours de la purge anti-gay se précisent.
On a déjà en tête les informations distillées par Novaïa Gazeta depuis plus de deux semaines : des centaines d’homosexuels ou présumés arrêtés et enfermés par dizaines dans les cellules d’une prison secrète à Argoun, à l’est de la capitale. Frappés, électrocutés et humiliés sur ordre des autorités tchétchènes. Victimes d’une loi du silence et de chantages, succombant parfois sous les coups de leurs bourreaux. Le journal Svoboda a entre-temps enrichi ces informations.
- Le rôle des familles
Selon la publication, les rafles auraient débuté dès décembre 2016 et impliquerait une seconde prison secrète, dans le village de Tsotsi-Yurt, gérée par le chef de la police locale.
« Les persécutions se sont calmées autour du nouvel an et ont repris en février. En mars, les premiers cadavres sont apparus. Néanmoins, les policiers ne les ont pas forcément tués. Il est plus probable qu’ils aient été battus à mort ou alors que leurs familles aient obtenu leur libération en acceptant de tuer elles-mêmes leur parent homosexuel », poursuit l’auteur du papier. Pour étayer ces informations, trois témoignages livrant trois aspects de ces violences.
À commencer par celui de Said (les prénoms ont été modifiés pour assurer leur sécurité), 27 ans. Celui-ci a été piégé en octobre dernier : plusieurs amis qu’il fréquentait depuis un an et demi lui ont demandé 2,5 millions de roubles (plus de 40.000 €) en échange de leur silence sur son orientation sexuelle – ils avaient filmé tous leurs échanges. Said a fui la Russie mais sa famille est depuis harcelée par les militaires. Deux de ses amis ont été arrêtés, dont l’un rendu à sa famille : « C’est son oncle qui l’a tué. J’en suis sûr. Il avait 20 ou 21 ans. »
Un autre Tchétchène, Malik, a été enfermé dix jours « dans une grande baraque où nous étions quinze gays et où il y avait une vingtaine de toxicomanes avec nous. » Il a raconté au journal les coups et l’humiliation, les électrodes accrochés aux doigts et aux orteils, le couchage à même le sol avant d’être rendu aux familles. « C’était une sorte de rééducation pour que ça (l’homosexualité) ne se reproduise plus. »
Beaucoup d’autres homosexuels tchétchènes auraient été victimes de tels guet apens : dragués sur les réseaux sociaux puis kidnappés, violentés et menacés contre de l’argent.
Courrier International s’est d’ailleurs fait l’écho d’une rumeur concernant « un groupe de gays qui ont tous été tués et enterrés dans une fosse commune dans le cimetière qui se trouve à la sortie de Grozny » à la fin de l’année 2016.
- De l’importance de maintenir la pression internationale
Deux semaines que la communauté internationale a été alertée de ces exactions. Du côté de la Tchétchénie, on nie. Le ministre de l’Information a encore demandé au journal de s’excuser pour avoir évoqué l’existence d’homosexuels en Tchétchénie, rapportait Human Rights Campaign dans un communiqué. À l’extérieur, on agit prudemment. Les Nations Unies, le Conseil de l’Europe, l’OSCE, les États-Unis et d’autres pays ont condamnés ces agissements.
Pour Evelyne Paradis, directrice d’ILGA-Europe contactée par TÊTU, il est crucial de maintenir la pression internationale :
Sinon, on perd le peu de chance qu’on a d’avoir une réaction des autorités. Toutes les expressions de solidarité, qu’elles soient l’œuvre des gouvernements ou des citoyens, sont cruciales pour les victimes. Ça leur parvient d’une manière ou d’une autre, du moins il faut y croire. Ces actions sont absolument essentielles sur le plan humain.
Au sein de la fédération mondiale de défense des minorités sexuelles, on œuvre à l’aide logistique des associations locales et pour la mise en place de réseaux et de politiques d’accueil dans les pays d’Europe et d’Amérique du nord.
Selon le journal d’opposition Meduza, plusieurs pays européens commencent ainsi à se mobiliser pour secourir les Tchétchènes en danger. L’Allemagne, la Suède et la Finlande collectent des fonds pour évacuer ces derniers et plusieurs pays européens se disent prêts à accélérer la procédure de délivrance de visas pour les homosexuels tchétchènes.
Dans une interview pour le Washington Post, la journaliste Elena Malishina – à l’origine des révélations de Novaïa Gazeta – confirmait qu’une centaine de personnes ont déjà été secourues pour quitter la Tchétchénie.
- SOURCE TETU