A 25 ans, Chalit a décidé de franchir le pas et de devenir un homme. Une clinique d’un genre nouveau à Bangkok l’épaule, avec comme ambition de briser la solitude des transsexuels, souvent livrés à une dangereuse automédication en Asie.
"Je m’en remets aux médecins. Je ne fais pas ça moi-même, afin que ce ne soit pas dangereux", explique Chalit Pongpitakwiset (à droite sur la photo), employée d’une société informatique qui se contentait jusqu’ici d’un look de garçon manqué.
Quelques jours après avoir reçu sa première injection de testostérone, Chalit revient faire un bilan à Tangerine, petite clinique dédiée au suivi des transsexuels, à deux pas d’une prestigieuse université de Bangkok.
Elle est financée par des partenaires internationaux et hébergée dans un centre de dépistage du sida de la Croix-Rouge, notamment l’agence de développement américaine USAIDS.
La clinique est un programme pilote en Asie qui pourrait essaimer dans la région. Son implantation en Thaïlande ne doit rien au hasard, le royaume étant réputé pour la visibilité de ses transsexuels et son industrie des opérations de changement de sexe. Mais ici comme ailleurs en Asie-Pacifique, région qui compterait plus de neuf millions de personnes "transgenres" selon des estimations de l’ONU, l’accompagnement des patients sur le long terme est négligé.
Les hormones s’achètent sur internet ou dans des pharmacies peu regardantes, avec en guise de conseillers en posologie les amis et forums de discussion sur internet. Chalit a consulté un psychiatre pendant plusieurs mois avant de franchir le pas, même si en Thaïlande, ce n’est obligatoire qu’avant une opération de changement de sexe, pas une "simple" prise d’hormones.
"J’ai conscience depuis l’enfance que je suis un homme. J’ai passé 25 ans dans la peau d’une femme. Je veux me transformer en ce que je suis vraiment. Les hormones font faire cesser mes règles, changer ma voix, faire pousser une barbe et développer mes muscles", détaille Chalit, qui reçoit une injection de testostérone toutes les deux semaines. Pour l’heure, seule une vingtaine de patients, dont une majorité de femmes voulant devenir hommes, sont suivis à Tangerine, où les médecins évoquent avec eux les effets secondaires tus par les sites internet.
Le centre propose également de suivre les transsexuels laissés trop rapidement à eux-mêmes après une opération de changement de sexe, afin notamment de prévenir les infections génitales. "La plupart des cliniques procédant aux opérations ne proposent qu’un suivi médical à court terme", déplore le docteur Nittaya Phanuphak, responsable de Tangerine.
Elle pointe également du doigt le danger de la surconsommation d’hormones (maladies du foie ou cardio-vasculaires), par des jeunes soucieux d’obtenir des changements rapides de leur corps. "Parmi les gens qui font des injections d’hormones en dehors de la clinique, nombreux sont ceux qui les achètent sur internet ou au marché noir", s’inquiète-t-elle.
"Cela fait deux ans que je prends des hormones moi-même", confirme Benyapon Chimsud, jeune diplômé d’une grande université de Bangkok ressemblant déjà fortement à une femme. Pour les doses, "je consulte mes amis", explique celle qui prend aussi la pilule contraceptive, en libre service en Thaïlande, montrant les ampoules d’hormones qu’il s’apprête à aller se faire injecter dans une petite clinique de quartier.
Les associations de défense des droits des transsexuels comme l’Asia-Pacific Transgender Network (APTN) pointent du doigt l’absence de prise en charge de ce sujet de santé publique. "Il n’y a pas de directives officielles claires concernant l’administration et la surveillance des traitements hormonaux parmi les personnes transgenres", explique Joe Wong, de l’APTN, réclamant plus largement des soins "accessibles" pour tous les transsexuels. Le docteur Nittaya note quant à elle en Thaïlande une "discrimination", "intentionnelle ou non", dans les services de santé classiques.
Car, derrière son apparence de libéralité, notamment envers les transsexuels, la Thaïlande est une société qui reste conservatrice. Jusqu’en 2012, la transsexualité était considérée comme une maladie mentale par l’armée. Et le changement de genre n’est toujours pas reconnu légalement, le sexe d’origine restant celui indiqué dans le passeport, ce qui rend délicat par exemple le suivi dans un service de gynécologie classique.
Quelques jours avant de commencer son traitement, Chalit, qui envisage de se faire opérer, s’est fait graver la formule de la molécule de la testostérone sur le bras. "Je vais devoir prendre des hormones toute ma vie. Ce tatouage restera lui aussi avec moi toute ma vie".
- SOURCE E LLICO