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 d’ADHEOS

Au beau milieu de la splendeur de la Mamounia à Marrakech, un des hôtels les plus beaux et historiques au monde, Rachid O. s’est vu décerner le quatrième Prix Littéraire de La Mamounia pour Analphabètes, publié en France aux éditions Gallimard.
 
Le prix, doté d’un montant de 2000 dirhams marocains, est destiné aux romans écrits en français par un ou une Marocain(e), ayant pour but d’assurer à la littérature marocaine francophone, bien que peu lue à l’intérieur des frontières du royaume, une place sur la scène internationale. Analphabètes est le cinquième roman de l’auteur, venant briser dix ans de silence à la suite d’un blocage de l’écrivain depuis Ce qui reste, sa dernière publication.
 
D’âpres discussions pour le jury
 
Les onze membres du jury international, présidé par la romancière et critique casablancaise Christine Orban et également composé de l’écrivain américain francophile Douglas Kennedy, du congolais Alain Mabanckou ou encore du lauréat précédent Mohamed Nedali, a primé une œuvre "courageuse, sensible, très belle et facile à lire". L’écriture y est "stylée, passionnelle et engageante dans tous les sens du terme".
 
la mamounia
 
A l’instar de tous les romans de Rachid O., ce dernier traite des problèmes à être homosexuel et musulman au sein de ce que l’auteur dit être une "société schizophrénique". La décision a été prise après "trois heures de débats houleux" et une probable dispute, bien que d’aucuns n’ait souhaité révéler les secrets d’un jury soucieux d’éviter la controverse. Une fois la majorité ayant tranché, aucun désaccord n’a transparu parmi les jurés.
 
Le plus sérieux concurrent du gagnant était Le bonheur conjugal du célèbre Tahar Ben Jelloun (Gallimard), lauréat de la Légion d’honneur et Prix Nobel en puissance, traduit dans le monde entier. Les finalistes, qui représentaient les franges fassi, amazigh et occidentales de la littérature maghrébine, abritaient par ailleurs un volume chiklit, Amour fractal, premier roman de Ghizlaine Chraibi (Juste pour lire).
 
"Je n’allais même pas venir à la cérémonie"
 
Rachid O – il évite d’utiliser son nom entier par égard pour ses amis et sa famille au Maroc – était clairement surpris du résultat, et son discours en fut d’autant plus discret. En lui parlant quelques heures plus tard par traducteur interposé, il avoua qu’il n’avait pas encore appelé sa famille à Rabat : la nouvelle pouvait attendre leurs retrouvailles, dans un jour ou deux. Agé de 43 ans et le visage juvénile, il déclara que le prix était "une source de bonheur", en particulier au regard du succès critique mais du de l’échec commercial du livre après six mois d’exploitation en France.
 
Fervent admirateur de Mohamed Berrada, Paul Bowles ou encore des Beats, Rachid O. a été éduqué entre Rabat, Marrakech et la Villa Medicis de Rome, pour laquelle il avait gagné une bourse. Il a vécu à Paris pendant plusieurs années mais continue à rendre visite fréquemment à son pays natal.
 
Quelque soit la langue, seule importe l’honnêteté
 
Analphabètes raconte le retour à la maison d’un jeune homme au chevet de son père mourant. La mort du père de Rachid, un boulanger illettré, aura sans doute libéré la plume de l’écrivain. Le roman traite partiellement de sa hantise de la page blanche, de son sentiment qu’en tant qu’écrivain incapable d’écrire, il en devient lui-même illettré. Mais l’analphabétisme y est également une métaphore pour ces Marocains et Français incapables de "lire" leurs propres sentiments ou ceux des autres, ou tout bonnement incapables d’en parler. Il transparaît que le père "était au courant" mais ne posait aucune question à son fils, lequel a raconté dans ses livres une jeunesse remplie de garçons et de livres. Il y qualifie son frère de "prude" et sa sœur de 18 ans de plus ouverte d’esprit. Quant à ses amis, ses récits font transparaître leurs difficultés à accepter son besoin d’écrire.
 
A la question si il serait un jour prêt à écrire en arabe, il répond que ce jour serait, le cas échéant, "très spécial, car cette langue a été sanctifiée par le Coran; c’est la langue du Prophète". Ca reviendrait pour lui à écrire un "niveau très profond". Le français – comme la France – est "un refuge". Mais quelle que soit la langue, ce qui importe est de rester honnête. Se trouve-t-il courageux de se prononcer ainsi ? Il n’en est pas si sûr: "Le silence aussi est courageux".
 
Bien qu’il admette être "rempli d’anxiété", Rachid se dit "heureux". Mais il affirme également ne pas sortir beaucoup, ne pas voir beaucoup d’autres écrivains. Et il n’est aucunement tenté de lire ces bouqins à voix haute – selon lui, il ne fait pas partie de ces écrivains qui le font bien.
 
Douglas Kennedy a déclaré que tous les romans finalistes traitaient du Maroc et de la vie en tant que Marocain – un pays de 35 millions d’habitants, musulman et juif, parlant le dialecte Darijah et dotés d’une monarchie constitutionnelle et d’un parlement élu, en voie de modernisation.
 
La vieille Dame de Marrakech
 
Au cours de sa longue histoire, La Mamounia – cette "grandiose vieille dame de Marrakech" au 90 ans cette année – a accueilli Roosevelt et Churchill, De Gaulle, les Reagans et Nelson Mandela, ainsi que divers membres de la royauté internationale. Churchill, qui y passait ses hivers à peindre depuis son balcon en faisant face aux luxuriants jardins qui constituent une véritable oasis citadine, l’avait qualifiée de "lieu le plus adorable au monde". Le menu des cocktails, conçu par le gérant du bar Emanuele Balestra, offrent plusieurs indices rapportant la glorieuse histoire de La Mamounia: le Jacques Majorelle, en hommage à l’artiste qui y a peint le plafond de la galerie et dont le nom a été attribué à une nuance de bleu, une des couleurs du cocktail; le Rolling Stones, le Yves Saint Laurent, le Oum Kalthoum (sans alcool), et l’Alfred Hitchcock, bien évidemment rouge sang.
 
A cinq minutes de La Mamounia, le site historique de la ville, la Koutoubia, au minaret (70 mètres) visible à des kilomètres, appelle à la prière par un son évocateur pour les étrangers peu habitués au réveil matinal. Son nom, koutoub, signifie "livres" en arabe. Le monument est l’unique vestige du souk de bouquinistes qui peuplait l’endroit, à une autre époque.