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 d’ADHEOS

Début décembre, un spectacle adressé aux tout-petits à Bordeaux était vilipendé par les médias d’extrême-droite, puis par l’émission Touche pas à mon poste. Son tort ? Avoir programmé une drag queen, La Maryposa. Loin d’être un événement isolé, cette vague de harcèlement doit au contraire alerter sur une montée de l’homophobie.

À Bordeaux, la Caba Baby Party propose un cabaret destiné aux tout-petits avec danses, animations et jeux accessibles aux 0-3 ans.

Un « concept artistique » dont Jenny Morgane James est la créatrice, elle-même artiste burlesque et inspirée par un spectacle vu à Londres. Une manière pour elle de « réunir les gens, issus de toutes les nationalités, de toutes les catégories sociales et de partager un moment ensemble », grâce à des mini-shows pour les tout-petits, entrecoupés de pauses avec des jeux. « C’est dynamique et festif, les parents passent un bon moment avec leurs enfants, il y a un stand de change pour les bébés, des stands de maquillage et de paillettes, un photo booth géant » explique-t-elle auprès de MadmoizelleSes mots d’ordre ? « Bienveillance, tolérance et amour. »

C’est parce qu’elle a voulu programmer La Maryposa, une drag queen dont elle apprécie beaucoup les performances, que Jenny Morgane James s’est retrouvée au cœur de la polémique.

Si elle a voulu engager La Maryposa, c’est par admiration pour son personnage « qui n’est pas comme les autres » et sa liberté revendiquée : « Elle n’est pas juste une expression de féminité ou de beauté. J’étais heureuse de lui proposer de se produire à mon événement. J’avais envie de montrer qu’une drag queen n’est pas qu’un oiseau de nuit. » Le 11 décembre doit donc être la première fois qu’est programmé le spectacle d’une drag queen dans le cadre de la Caba Baby Party. Mais rien ne va se passer comme prévu.

C’est l’annonce de la venue de la performeuse quelques semaines avant l’événement qui a été reprise par plusieurs sites d’extrême droite et a déclenché une vague de harcèlement à l’encontre de Jenny Morgane James et de La Maryposa, accusées de pédophilie et de vouloir endoctriner les enfants.

De son côté, la créatrice de Caba Baby Party estime qu’à travers la polémique, c’est son spectacle qui a été caricaturé : « Le concept a été complètement déformé pour devenir un événement organisé par des drag queens et avec seulement des drag queens. » Ayant reçu des menaces, elle a porté plainte.

Quand TPMP s’en mêle

Mais l’affaire a pris une tout autre ampleur quand l’émission Touche pas à mon poste s’en est emparée. À l’antenne le 5 décembre 2022, Cyril Hanouna a savamment jeté de l’huile sur le feu en questionnant ses chroniqueurs et chroniqueuses sur le bien-fondé d’un spectacle pour les tout-petits où apparaît une drag queen.

Chez celles et ceux qui descendent le spectacle, on retrouve le même argument : la nécessité de protéger les enfants du danger que représenterait une drag queen. Danger qui n’est jamais explicité bien sûr, mais qu’à cela ne tienne : « 0 à 3 ans, on n’a pas à leur faire des stages sur le mariage pour tous, les droits LGBT, l’inclusivité », tempête Géraldine Maillet. « Laissons nos enfants tranquilles, on fera du militantisme un peu plus tard ! », ronchonne Danielle Moreau. Et pour Kelly Vedovelli, c’est carrément un « Ça va en faire des enfants perturbés ! ».

Paradoxalement, chez les défenseurs du cabaret et de la présence de La Maryposa, on retrouve même un discours réactionnaire, comme lorsque Mathieu Delormeau exprime son opposition à aborder la question du genre à l’école : « Qu’on vienne expliquer les LGBT, tout ça, je trouve que c’est pas la place dans une école, autant là au contraire, 0-3 ans, tu ne leur expliques rien, tu leur montres. »

Agitant la rhétorique de la protection des enfants face à ces choses qui ne concerneraient que les adultes, il devient facile d’ainsi semer l’inquiétude et la menace d’un endoctrinement. Et cela n’a pas loupé. Après la diffusion de l’émission, La Maryposa a annoncé via son compte Instagram être victime d’un harcèlement de masse.

Dans la roue de l’extrême-droite, et pour l’amour du clash, l’émission de Cyril Hanouna a donc attisé les violences à l’égard d’un artiste queer.

« En utilisant des termes injurieux, en propageant de fausses informations, en n’invitant aucune personne capable de rendre ce débat valable, Touche pas à mon poste nourrit une haine anti-LGBTQIA+ face à une large audience. Les mots et leur sens ont un poids et l’ignorance entraîne des représailles sur les minorités »

Maintenir ou annuler le spectacle ?

Suite à l’émission, Jenny Morgane James a dû prendre une décision pour la représentation du 11 décembre : « Trois possibilités s’offraient à moi : annuler le cabaret, annuler la venue de La Maryposa, ou bien être plus intelligente, montrer le beau, et enlever le côté provocant. » Les deux premières options lui paraissant inenvisageables, elle demande alors aux artistes programmés de se « réadapter » : « On a mis des leggings aux danseuses de cabaret, je me suis retirée de la programmation. Tout le monde a joué le jeu. »

Mais le jour J, la tenue dans laquelle La Maryposa s’apprête à performer ne lui convient pas. « Ce n’était pas le bon angle. C’était trop sexy et trop provoc’ », estime Jenny Morgane James qui veut avant tout faire redescendre la tension et préserver la Caba Baby Party. La Maryposa ne souhaite pas en changer, et l’une et l’autre restent campées sur leur position. La Maryposa finit par se retirer du spectacle au dernier moment.

Dans une vidéo publiée sur son compte Instagram, la performeuse déplore que sa tenue — pas franchement vulgaire — soit jugée « pas assez convenable par les organisateurs » « J’ai décidé de ne pas me représenter pour la Caba Baby Party. That’s it : la tenue est trop sexy », déclare-t-elle avant de conclure, comme un pied de nez à la bienséance : « That is drag, girls ! »

Contactée par Madmoizelle, La Maryposa n’a pas donné suite à notre demande d’interview. De son côté, Jenny Morgane James regrette cette situation et défend qu’elle a voulu avant tout préserver son projet : « Je me suis peut-être trompée, j’aurais peut-être dû prendre une artiste d’un autre registre. Mais je comprends qu’elle ait voulu défendre ses droits, qu’elle n’ait pas voulu baisser les bras, que ça fasse partie de sa manière de résister. Je ne lui en veux pas, mais ça n’était pas mon concept. Chacune était dans son combat. »

Ce que révèle cette affaire

Des lectures ou des spectacles pour enfants animés par des drag queens ou des drag kings, l’idée n’est pas nouvelle. Mais depuis quelque temps, ces événements subissent un violent retour de bâton.

Si le harcèlement qu’a subi La Maryposa doit inquiéter, c’est aussi parce que depuis plusieurs mois, c’est aux États-Unis, au Canada, ou encore au Royaume-Uni que l’on voit ce phénomène se répéter et s’intensifier, plus particulièrement lors de lectures d’histoires pour enfants. Ce sont presque à chaque fois des actions menées par des groupes de suprémacistes blancs qui accusent les organisateurs de ces lectures, spectacles, ou encore de pervertir les plus jeunes.

En France, la bibliothèque Louise Michel du 20ᵉ arrondissement de Paris avait été attaquée en mars 2019 pour avoir programmé dans le cadre de la Queer Week des lectures de contes non genrées par des drag queens. Sans vraiment de surprise, trois ans après, on retrouve les mêmes sites d’extrême-droite à l’origine du harcèlement en ligne contre la Caba Baby Party et La Maryposa.

Alors que la tuerie du Club Q à la veille du TDoR est encore dans les esprits, les violences multiformes qui s’exercent contre la communauté LGBTQI+ doivent être prises au sérieux.

Si ce sont les drag queens qui sont visées en premier lieu, cela n’est certainement pas un hasard, mais le reflet d’une homophobie et d’une transphobie décomplexées qui prend un nouvel essor en tablant sur les mêmes réflexes : la protection des enfants, face à une popularisation croissante du drag. Candidate de RuPaul’s Drag Race en 2019, Nina West le disait de la façon la plus saisissante auprès de BuzzFeed : « On ne peut plus nous traiter de pédales, alors on nous traite de prédateurs et de pédophiles. »

La protection des enfants n’en finit pas d’être le joker le plus efficace pour s’opposer aux droits des minorités. Et dans ce cas précis, les mots « censure » ou « liberté d’expression » ne sont jamais prononcés comme cela peut être le cas quand il s’agit de défendre Bastien Vivès d’une soi-disant bien-pensance ambiante par exemple…