En 1920, une «cour secrète» composée de cinq membres de l’administration de la prestigieuse université américaine exclut quatorze étudiants reconnus coupables d’«homosexualisme»…
C’était en 1920, dans le secret de la chambre 28 de la résidence Perkins Hall à Harvard. Des étudiants homosexuels se retrouvent pour des fêtes prohibées par la morale de l’époque. L’alcool coule à flots. On y danse, on s’y travestit. On fait venir des marins en secret. On vit sa sexualité en sachant qu’il faudra redevenir un «gentleman de Harvard» sitôt passée la porte de la chambre.
En mai 1920, leur vie bascule. L’un d’eux, Cyril Wilcox, se donne la mort, probablement à cause de mauvais résultats scolaires. Quelques jours plus tard, une lettre à son attention arrive à son domicile. Son frère aîné George l’ouvre. Signée Ernest Roberts, l’étudiant gay qui vit dans la chambre «Perkins 28», la lettre évoque les amis homosexuels de Cyril et les soirées secrètes. George Wilcox alerte Harvard. Un groupe de cinq membres de l’administration se forme alors avec la bénédiction du président de l’université A. Lawrence Lowell pour purger le campus de ses homosexuels. Au total, trente-huit étudiants et personnes non affiliées à l’université sont entendus par cette «cour secrète». Quatorze d’entre eux sont exclus de l’université et de la ville de Cambridge, où se trouve Harvard. Ne pouvant faire face au déshonneur, un d’eux se suicide. La «purge» ne dure que deux semaines.
Histoire secrète
Ce sombre secret, révélé en novembre 2002 par le journal étudiant d’Harvard The Crimson, a inspiré un metteur en scène new-yorkais, Tony Speciale, à monter une pièce sur le sujet. Celle-ci est jouée depuis cette semaine dans un théâtre de Manhattan. Elle s’appelle Unnatural Acts («actes anormaux»), l’expression utilisée par la cour secrète pour qualifier les relations qu’entretenaient ces étudiants. «C’était un groupe d’hommes qui avaient trouvé le moyen de s’épanouir ensemble à un moment de la vie où l’on se pose des questions sur soi, explique Tony Speciale. Je ressens beaucoup de compassion pour ces hommes.»
Tony Spéciale a passé des mois à éplucher les transcriptions des interrogatoires de la cour avant d’écrire sa pièce (ci-contre, la photo de ses acteurs). Ils décrivent des jeunes déstabilisés, niant s’être masturbés récemment ou livrés à des actes homosexuels. Avant de céder sous la pression. Difficile de dire si ces échanges manuscrits n’ont pas été réécrits par la cour, indique Speciale. Difficile aussi de savoir où exactement ils ont eu lieu, peut-être dans le bureau du doyen d’Harvard C. N. Greenough. Un journal de l’époque parlait d’une salle obscure aux rideaux tirés, éclairée par une bougie.
Emotion
«L’homosexualité était traitée comme un problème de santé» souligne Jess Burkle, co-auteur de la pièce et ancien d’Harvard. Harvard considérait que c’était rendre service aux autres universités que de les informer de l’homosexualité de ces étudiants pour les empêcher de reprendre leur scolarité.»
Malgré ces actes, Speciale et Burkle disent tout deux avoir été frappés par la lecture des correspondances entre les familles de ces jeunes et le doyen de Harvard. «Les parents ne pensaient pas que cette situation méritait une exclusion, indique Tony Speciale. C’était émouvant de voir ces familles en avance sur leur temps.»