Victoria a 23 ans. Cette Bruxelloise d’origine – et fière de l’être – est étudiante à l’ULB en bio ingénieur. Elle est aussi une femme transgenre : son genre – la manière dont elle se définit – ne correspond pas au genre qu’on lui a assigné à sa naissance sur base de ses organes génitaux. Elle nous raconte son histoire.Victoria a 23 ans.
A 16 ans, Victoria entame sa transition – le passage vers le genre féminin dans lequel elle se reconnaît. ” Une transition est composée de nombreuses facettes et est différente pour chaque personne trans. C’est se sentir à l’aise dans son rapport à son corps, dans la manière dont on se comporte avec les autres, dans la manière dont on s’habille, etc. Une transition n’implique pas forcément des opérations chirurgicales ou la prise d’hormones. ”
Très vite, l’adolescente affronte une étape compliquée : le coming out ou l’annonce à ses proches. Elle en parle d’abord à sa maman. ” Même si elle n’a pas dormi la nuit après cette annonce, elle s’est montrée très proactive : elle s’est informée, elle a cherché des personnes ressources, elle a regardé pour des formations. Elle a directement été un soutien. ” Puis, Victoria se confie à ses meilleurs amis. ” Ils ont été très compréhensifs et respectueux. C’est même eux qui m’ont poussé à poursuivre ma transition, car c’était compliqué pour moi de passer le cap. “
Proclamée sans prénom
Tout se complique avec son papa. Quand Victoria lui annonce, il se sent secoué et ne comprend pas du tout. ” Il pensait qu’on m’avait lavé le cerveau. Il a porté plainte contre ma maman et ma psychologue. C’était un drame, une cassure. ” Petit à petit, Victoria reconstruit sa relation avec son père, une relation aujourd’hui heureuse et saine. ” On a commencé à avoir des rapports plus humains. Il n’essaye plus de me donner une éducation qui ne me convenait pas. Pour l’anecdote, mon père a toujours voulu une fille. Il a eu ce qu’il voulait d’une certaine manière (rires) ! “
Sans oublier l’école. En rhéto, l’adolescente abandonne son deadname – le prénom assigné à sa naissance – et s’affirme avec son prénom social Victoria auprès de ses professeurs et de ses camarades de classe. La direction ne se montre pas du tout coopérative, en particulier en fin d’année. ” Je n’avais pas encore changé de prénom sur mes papiers d’identité. Le directeur a donc décidé de ne pas utiliser mon prénom Victoria pour des documents et des cérémonies officielles. Du coup, j’ai été proclamée juste avec mon nom de famille. Mais j’avais mis ma plus belle robe et mes plus beaux talons pour montrer que ce n’était pas eux qui allaient m’arrêter ! ”
Une fétichisation violente
A l’université, Victoria ne souhaite pas forcément aborder sa transidentité, mais l’étiquette lui colle à la peau : elle est la meuf trans du campus. Elle s’engage alors dans des associations, sans parvenir à trouver sa place et à s’épanouir. Puis, elle reste confrontée à la violence transphobe dans ses relations humaines, en particulier amoureuses. ” Je me suis retrouvée face à des personnes qui me voyaient comme une expérience à tester ou qui n’assumaient pas d’avoir une relation avec moi. D’autres m’ont réduite à ma transidentité, m’ont considérée comme objet et ont tenu des propos, voire des comportements violents comme des agressions sexuelles. ”
Le milieu scolaire n’est pas le seul domaine où Victoria a subi des violences et des discriminations. C’est le cas dans les soins de santé. Pour les personnes trans, se rendre chez le médecin ou dans un hôpital peut être une véritable épreuve : elles craignent d’être mégenrées (lorsqu’on utilise les mauvais pronoms pour les désigner), être appelées par leur deadname ou ne pas bien être prises en charge. ” Au début de ma transition, ma généraliste n’était pas très soutenante. J’ai décidé d’arrêter de la voir. Pendant quatre ans, je n’allais pas voir d’autres médecins. Quand j’étais malade, j’attendais que cela passe. ”
Des témoignages et de la pédagogie
Mais Victoria n’est pas du genre à baisser les bras ! ” J’ai eu un déclic. Tout le monde savait que j’étais trans. Je me suis dit : pourquoi ne pas faire quelque chose d’utile et de positif ? ” Au printemps 2021, elle lance un compte Instagram (victoriapiya) où elle crée des contenus pédagogiques à destination des personnes trans et du grand public sur la transidentité. ” Je veux aider les personnes cisgenres* à nous comprendre, mais aussi permettre aux personnes transgenres de se reconnaître dans mes contenus, d’avoir accès à un modèle, à une personne trans qui parle des transidentités d’une manière juste, vraie et sincère. ”
Sur son compte, elle propose trois grands types de publications : d’abord elle témoigne et livre ses expériences de vie sans tabou, y compris sur des sujets difficiles comme les agressions sexuelles (1). ” Mon Instagram est un exutoire de toute la violence que je subis au quotidien. En un clic, je peux vider mon sac. ”
Ensuite, elle vulgarise avec ses mots et informe sur des concepts théoriques de la communauté LGBTQIA+** (2). “ Je ne considère pas avoir la connaissance absolue, mais j’ai beaucoup réfléchi sur ces concepts. Pour les personnes non concernées, ces notions peuvent être complexes et déstabilisantes, surtout si elles ne côtoient pas des personnes queers***. Moi-même, je ne les connaissais pas. C’est le but de mon Instagram : donner des clés pour mieux comprendre. ”
Sans oublier l’actualité !
Enfin, elle rebondit sur l’actualité propre aux personnes transgenres (3). Par exemple, pour la sortie du film ” Close ” de Lukas Dhont, Victoria en a profité pour expliquer pourquoi le premier film du réalisateur belge, ” Girl “, est problématique pour la communauté trans. ” Souvent, des acteurs cisgenres qui interprètent des personnes transgenres sont extrêmement félicités et reçoivent des prix prestigieux. Si on nous exclue des rôles qui nous concernent, nous n’avons pas du tout de porte d’entrée dans le cinéma ! ”
L’influenceuse dénonce aussi une mauvaise représentation de la transidentité, une obsession malsaine sur le corps du personnage principal – Lara, une danseuse de 15 ans – et surtout la violence traumatisante de certaines scènes. ” Mon père a vu ce film au cinéma. Après la séance, il a débarqué chez moi en pleurs. Il pensait que j’allais me suicider alors que je venais juste de me faire des pâtes et que je matais tranquillement une série. ”
A travers son compte Instagram, Victoria nous montre que la transidentité n’est pas un drame absolu comme nous pouvons le voir encore trop souvent dans les séries, les films ou les médias. ” Les personnes trans ne sont pas traumatisées. Nous sommes heureuses d’être qui nous sommes. C’est plutôt la manière dont la société et les personnes cisgenres se comportent avec nous qui est douloureuse. Mais nous ne souffrons pas de notre transidentité ! ”
Les conseils culturels de Victoria : La série Euphoria (HBO) et le personnage trans de Jules (interprété par l’actrice Hunter Schafer), les documentaires Petite Fille (2020) de Sébastien Lifshitz et Disclosure : Trans Lives on Screen (2020) coproduit par l’actrice trans américaine Laverne Cox.
* Une personne cisgenre se définit dans le genre qui lui a été assigné à la naissance sur base de ses organes génitaux.
** LGBTQIA + pour Lesbienne, Gay, Bisexuel, Transgenre, Queer, Intersexe, Asexuel et le + pour ceux et celles qui ne se reconnaissent pas dans les orientations sexuelles et les identités de genre précédemment citées.
*** Une personne queer est une personne dont le sexe, le genre, l’orientation sexuelle et/ou l’expression de genre diffère de la norme hétérosexuelle et cisgenre de la société.
SOURCE : rtbf.be