L’annonce a été rendue publique mardi 29 septembre sur le réseau social Facebook. Après douze années d’existence, le Paris Foot Gay (PFG), association de lutte contre l’homophobie dans le football, a décidé de « raccrocher les crampons » : « Face à l’indifférence notable, la peur des institutionnels à s’engager réellement, la honte pour certains à traiter ce sujet, nous devons nous rendre à l’évidence : nous ne parvenons plus à faire avancer notre combat contre l’homophobie. »
Créé en 2003 comme club de football, le PFG a très rapidement pris, dès l’année suivante, une dimension militante. Ce sont des banderoles injurieuses concernant deux joueurs partis à Marseille – Frédéric Dehu et Fabrice Fiorèse – déployées au Parc des Princes le 7 novembre 2004, qui avaient entraîné cette évolution. S’en est suivie une longue collaboration avec le PSG.
L’ancien président du club parisien (2006-2008) Alain Cayzac est ainsi le président d’honneur du PFG et l’ancien parisien Vikash Dhorasoo en est le parrain. En 2009, le PFG avait tristement gagné en notoriété à la suite d’une polémique. Le Créteil Bébel avait refusé de jouer un match contre le PFG en invoquant des « principes » liés aux convictions religieuses de ses membres, qui se présentaient comme des « musulmans pratiquants ».
Pascal Brethes, fondateur du Paris foot gay, également ancien président et ancien directeur, en retrait depuis un an puisque expatrié au Cambodge, défend, à travers la décision d’arrêter le PFG, un dernier acte militant fort. « Je ne vois pas ce que l’on peut faire de plus. Le PFG est mort. On retrouve aussi notre liberté de parole vis-à-vis de nos partenaires [la LFP et la Ville de Paris]. Nous étions peut-être tenus par nos financements. On réfléchit à de nouveaux moyens d’actions », exprime-t-il.
La Ligue de football professionnel (LFP) ainsi que la Mairie de Paris, partenaires importants du PFG, font l’expérience immédiate de cette liberté retrouvée. Dans le communiqué publié sur Internet, l’allusion à la LFP est on ne peut plus directe : « C’est au moment où nous nous mettons hors jeu qu’une énième affaire “d’homophobie ordinaire marseillaise” éclate. Toute une tribune éructe des chants homophobes à l’encontre de Mathieu Valbuena, comme cela existe depuis des années sans que vous, qui en avez pourtant le pouvoir, n’en “Thiriez [Frédéric Thiriez, président de la LFP]” les conséquences ».
La maire de Paris, Anne Hidalgo, élue en 2014, a également le droit à son clin d’œil désagréable : « Plus question pour nous de bâtir des châteaux en Espagne : nous ne croyons désormais plus au bel Hidalgo. » Joint au téléphone, Pascal Brethes développe son accusation : « Depuis le changement d’équipe municipale, nous n’avons plus aucun contact. Nous n’avons toujours pas été reçus par le service des sports. Et nous attendons encore le versement de notre subvention 2015. »
Subventions
Directement mises en cause les deux institutions sont pourtant les principales financeuses du PFG. La Mairie de Paris accorde une subvention de 30 000 à 40 000 euros, tandis que celle allouée par la LFP depuis 2010 tourne autour de 20 000 euros. A elles deux, elles financent donc environ la moitié du budget global de l’association. De quoi avoir un peu de mal à avaler la pilule. « La LFP aide et soutient le PFG depuis 2010. Il y a eu la signature de la charte contre l’homophobie dans le football par un nombre important de clubs [huit]. On verse également une subvention, ce qui est du concret », explique la LFP.
Du côté de la Mairie de Paris, on tient également à réagir. « Nous regrettons la disparition du Paris foot gay, car il est important de rappeler que nous avons toujours soutenu l’association, financièrement et également dans toutes ses initiatives comme par exemple “Carton rouge à l’homophobie” », déclare ainsi Bruno Julliard, premier adjoint d’Anne Hidalgo. De son côté, l’adjoint aux sports Jean-François Martins n’a pour le moment pas donné suite à nos sollicitations.
La scission en 2013
Il faut remonter à 2013 pour connaître les origines de la crise du PFG. Cette année-là, une vague de démissions frappe le Paris Foot Gay. La majeure partie de l’équipe de football se plaint alors du fonctionnement et de la gestion de l’association. Ils claquent la porte. Privé de footballeurs, le PFG n’est plus constitué que par un noyau dur de 4 à 5 personnes. Pour garder son créneau de foot loisir au sein de la Fédération loisirs amateurs (FLA), l’association fait appel à des joueurs qui ne sont souvent pas membres du PFG. Cette saison, deux équipes de foot à sept du PFG sont inscrits dans les championnats de la FLA.
Les démissionnaires décident, eux, de créer un autre club de football, les Panamboyz United, qui comptent aujourd’hui 75 membres (50 hommes et 25 femmes), hétérosexuels et homosexuels. Le premier adjoint à la mairie de Paris, Bruno Julliard, ne veut pas faire les frais de cette scission : « Il ne faut pas reporter sur la ville et d’autres partenaires les turpitudes causées par les dissensions internes en évoquant un prétendu manque de soutien de notre part. »
En octobre 2014, cette jeune association développe sa première action d’envergure. En s’inspirant d’une initiative anglaise, les Panamboyz collaborent avec la LFP pour que les footballeurs professionnels, mais pas que, arborent des lacets arc-en-ciel pendant leurs matchs les 18 et 19 octobre derniers. « Il est faux de prétendre que l’on ne peut pas travailler avec des partenaires comme la Mairie de Paris ou la Ligue de football professionnel. Preuve en est notre partenariat l’an passé avec les lacets arc-en-ciel », affirme Bertrand Lambert, vice-président des Panamboyz United et ancien membre du PFG.
Présentée dans le cadre de la cause plus vaste de la lutte contre toutes les discriminations, cette action subit les foudres de Pascal Brethes. « Les lacets arc-en-ciel ne suffisent bien entendu pas à lutter contre l’homophobie. Et puis la Ligue a bien pris soin de préciser qu’il s’agissait d’une action contre toutes les discriminations et pas spécifique à la lutte contre l’homophobie. A mon sens, il s’agit d’une vaste fumisterie. Nous avions réalisé des choses bien plus solides », assène-t-il.
Une critique balayée par Bertrand Lambert, qui préfère miser sur la durée et sur un dialogue apaisé avec les instances du football. « L’essentiel est qu’ils existent ces lacets et qu’ils aient été portés par des footballeurs pour la première fois en Europe. Et puis, notre action a été primée lors de la cérémonie des trophées UNFP [Union nationale des footballeurs professionnels]. Je suis monté à la tribune et je me suis exprimé devant tous les grands joueurs de Ligue 1 », répond Bertrand Lambert, qui reproche au PFG d’avoir « braqué tous ses interlocuteurs ».
« Au début du combat, il fallait taper du poing sur la table et le PFG a eu des actions très positives, notamment sur la formation des éducateurs [programme b.YOURSELF]. Après, il faut collaborer et respecter les gens avec qui l’on travaille », développe M. Lambert.
Un soldat de moins contre l’homophobie
Pour d’autres anciens membres, la mort du PFG n’a également rien d’une surprise. Porte-étendard de la lutte contre l’homophobie dans le football, depuis la revendication de son homosexualité et son éviction en 2010 du petit club amateur du FC Chooz (Ardennes), Yoann Lemaire s’est d’abord exprimé sur Facebook : « Evidemment, le club (et la cause) n’était plus crédible. Le travail fourni de 2004-2011 était formidable, mais l’association a mal vieilli… La disparition était imminente. »
Contacté par Le Monde, l’auteur de l’ouvrage Je suis le seul joueur de Foot Homo, enfin j’étais (Editions Textes gais, 2009), qui a évolué six ans au PFG, a complété sa position : « Jusqu’à 2011, un travail formidable a été effectué. Ensuite, tout s’est compliqué. Il vous faudrait la journée pour faire le tour de tous ceux qui ont claqué la porte. Il ne restait plus que 3-4 personnes, sans équipe de foot, qui faisaient leur Caliméro et tiraient sur tout ce qui bouge. »
Informé de cette prise de position tranchée, Pascal Brethes s’est montré lapidaire : « Je conseille à Yoann Lemaire de relire son livre. Nous l’avons toujours soutenu. Il doit s’ennuyer… »
Finalement, même si ce sont deux visions différentes de l’action militante qui s’opposent, la disparition d’un acteur aussi médiatique que le PFG diminue les forces de ceux qui luttent contre l’homophobie dans le football. Bertrand Lambert, vice-président des Panamboyz United, résume d’ailleurs l’état d’esprit général : « On peut regretter d’avoir perdu un soldat dans ce combat contre l’homophobie. » (…).
- SOURCE LE MONDE