Le gouvernement avait promis de s’opposer “avec force” à la proposition de loi de la droite sénatoriale qui prétend limiter l’accompagnement médical des ados transgenres. Juste avant que le texte soit voté en première lecture ce mardi 28 mai, l’Élysée a cependant hésité à afficher une bienveillante neutralité face à la transphobie.
Il commence à être tard, dans l’hémicycle du Sénat ce mardi 28 mai, quand Anne Souyris attrape le micro. L’élue écologiste s’oppose à la proposition de loi portée par la droite visant à limiter la possibilité pour les mineurs transgenres d’accéder à un encadrement médical. Elle alerte notamment contre l’idée de leur interdire les mammectomies alors que celles-ci sont autorisées pour diminuer la poitrine d’adolescentes cisgenres. Émoi sur les bancs de la droite Les Républicains (LR). “Cisgenre ? cisgenre ? qu’est-ce que ça veut dire ?”, peut-on entendre depuis la tribune presse. Réponse de la sénatrice Jacqueline Eustache-Brinio, autrice du texte, à ses collègues : “C’est le terme woke pour dire hétéro.”
C’est dire le niveau de la droite dans cette démarche, elle qui affirme vouloir “éviter aux mineurs en questionnement de genre de regretter des traitements médicaux ou de chirurgie de réassignation sexuelle suite à un mauvais diagnostic”, selon les mots de Jacqueline Eustache-Brinio. Son texte sera finalement adopté en première lecture, après minuit, par 180 voix (et 136 contre).
La droite en roue libre
Si l’on peut évidemment discuter de comment améliorer l’encadrement médical des mineurs trans, la méthode de la droite aura été indigne tout au long de cette séquence. D’abord en se basant sur un rapport totalement biaisé, ensuite en précipitant l’écriture de la loi sans attendre les recommandations scientifiques de la Haute autorité de santé (attendues pour 2025), enfin en débattant d’un texte qui aura des conséquences importantes dans la vie de mineurs trans sans même les avoir écoutés… En définitive, comme l’a résumé l’écologiste Mélanie Vogel, “il y a dans cet hémicycle des gens qui veulent priver d’accès aux soins des mineurs et des personnes qui ne le veulent pas. Cette loi a pour effet de priver à des mineurs des soins qui leurs sont nécessaires”.
À la tribune, les discours ne volent pas plus haut que la méthode. La palme revenant à Laurence Muller-Bronn, sénatrice LR, avec ce raisonnement : “On part du principe que le mineur possède un discernement suffisant pour s’autodéterminer en matière de sexualité. Est-ce le cas ? Ce concept qui reconnaît l’autonomie de l’enfant dans sa vie sexuelle n’est-il pas non seulement dangereux mais potentiellement pervers car il pourrait, poussé à l’extrême, justifier le pire des crimes qu’est la pédophilie”, déclare-t-elle sans ciller. Nous voilà revenus aux éternelles infamies de la droite, déjà employées pour s’opposer à la dépénalisation de l’homosexualité en 1982, ou au mariage pour tous il y a dix ans…
L’hésitation du gouvernement
Face à une droite irresponsable, le gouvernement avait promis de prendre ses propres responsabilités. Ainsi le 11 avril, invitée aux 30 ans de l’association SOS homophobie, Aurore Bergé, la ministre de l’Égalité et de la lutte contre les discriminations, avait déclaré au micro : “Je le dis avec clarté devant vous, si la proposition de loi portée par certains sénateurs Les Républicains devait terminer au Parlement, le gouvernement s’y opposerait avec force.” Mais quelques semaines plus tard, quelques heures avant l’ouverture ce mardi des débats en hémicycle, coup de tonnerre : le gouvernement s’apprête à émettre un “avis de sagesse” sur le texte, c’est-à-dire une position neutre, qui ne donne pas de consigne de vote.
Un revirement à 180 degrés, donc, qui selon plusieurs sources vient tout droit de l’Élysée. “Ça vient d’Alexis Kohler [le secrétaire général de la présidence], fulmine auprès de têtu· un parlementaire macroniste. Cette position est incohérente avec tous nos engagements, contre les ‘thérapies de conversion’ ou dans le programme que l’on défend pour les élections européennes”. Un autre élu de la majorité nous indique que Frédéric Valletoux, le ministre délégué à la Santé, “est furax”.
Le flottement s’accentue quand, au début de l’examen du texte, le ministre démonte point par point le texte à la tribune, sans toutefois dire explicitement son rejet au nom de l’exécutif. “À titre personnel, j’estime que cette discussion aurait gagné à ce que soit attendu l’avis de la Haute autorité de santé. Je tire comme conséquence que légiférer maintenant me paraît prématuré. (…) L’avis politique ne doit surtout pas précéder l’avis scientifique”, martèle-t-il devant les sénateurs. Dans les couloirs, c’est l’incompréhension générale. “Difficile de dire ce que le gouvernement va faire, mais s’il ne se prononce pas contre, quel manque de courage !”, fustige la socialiste Laurence Rossignol.
Finalement, après la pause du dîner, Frédéric Valletoux reprend la parole. “Autant, dans ma discussion générale, j’avais exposé sans donner de direction générale quant à l’avis du gouvernement pour laisser se développer les arguments, autant après avoir entendu les uns et les autres, je veux dire de manière solennelle : le gouvernement est contre l’adoption de cette proposition de loi”, éclaircit le ministre. Alors, que s’est-il passé ? “Raphaël Gérard, Anne Brugnera et David Valence [trois députés macronistes, ndlr] en ont directement appelé au Premier ministre lors de la suspension de séance des questions au gouvernement, nous rapporte un député de la majorité présidentielle. Gabriel Attal était visiblement très embarrassé de la position adoptée jusqu’alors.” Soulagement chez les parlementaires macronistes, qui ne souhaitaient surtout pas être associés de près ou de loin à ce texte. Lequel, faute de trouver une place à l’agenda de l’Assemblée nationale, devrait heureusement finir aux oubliettes du Parlement.
- SOURCE TETU